En Belgique, un peu plus de 90% des médecins généralistes sont conventionnés. Ces praticiens sont tenus de respecter les honoraires fixés par l’Inami. Dans certaines communes, toutefois, ce taux chute sous la barre des 50%, avec un impact direct sur le portefeuille des patients.
Faire l’impasse sur un rendez-vous médical par manque d’argent? Telle est la réalité vécue par plus de quatre Belges francophones sur dix en 2024. Ce constat alarmant, dressé par les mutualités Solidaris dans son baromètre annuel, confirme les inégalités d’accessibilité à la santé qui règnent encore en Belgique, tant sur le plan géographique que financier.
Si les rendez-vous chez le dentiste ou l’ophtalmologue passent le plus souvent à la trappe, certains patients renoncent même à une consultation chez un généraliste. L’an dernier, ils étaient ainsi 9% à avoir dû faire une croix sur un soin de première ligne. Cette tendance se traduit différemment d’une commune à l’autre, selon les conditions socio-économiques propres à chaque population, mais aussi en raison des tarifs appliqués par les généralistes qui y exercent.
En effet, chaque médecin est libre d’adhérer ou non à l’accord médico-mutualiste, une convention conclue tous les deux ans entre médecins et mutuelles, qui détermine les tarifs et les remboursements des soins médicaux pour la profession. Si le généraliste est «conventionné», son patient ne devra s’acquitter que du ticket modérateur, c’est-à-dire la différence entre le montant remboursé par la mutualité (différent selon son statut, BIM ou non) et les honoraires fixés par la convention. Le généraliste déconventionné, a contrario, sera libre de fixer ses propres tarifs, et son patient devra payer de sa poche les suppléments d’honoraires éventuels.
Une obligation de transparence
«Chez les généralistes, l’écart de tarifs entre conventionné ou non-conventionné est bien plus restreint que chez les spécialistes (ophtalmologues, dermatologues…), précise toutefois Guy Delrée, président de la Fédération des Associations de Médecins Généralistes de la région wallonne (FGAW). Il se chiffre entre deux et cinq euros, voire parfois un peu plus.» Pour la bonne information de son patient, le généraliste est tenu de mentionner sur son site internet et/ou dans sa salle d’attente sa non-adhésion aux honoraires fixés par la convention.
En 2025, plus de 91% des généralistes ont décidé de ratifier la convention, contre 85% il y a dix ans (2015), rapporte l’Inami. Un taux de conventionnement nettement supérieur à celui des médecins spécialistes, qui s’élève cette année à 80,9%.
Si le conventionnement des généralistes est globalement élevé, de nombreuses disparités s’observent entre les provinces. Avec à peine 6,14 généralistes conventionnés pour 10.000 habitants, le Brabant wallon est à la traîne, selon les données les plus récentes de l’Inami sur la densité médicale (2023). Bruxelles fait à peine mieux avec 6,50 généralistes conventionnés pour 10.000 habitants. A l’autre extrémité du classement, le Limbourg se distingue par un taux particulièrement élevé (9,19), juste devant Namur (8,69) et le Luxembourg (8,61).
Effet de mimétisme
Des disparités flagrantes sont également observables à l’échelle communale. Selon les données de l’Inami (datant toujours de 2023), ce taux oscille entre 13% à Ellezelles et Neufchâteau et 100% à Hamois, Leuze-en-Hainaut ou Villers-le-Bouillet, pour ne citer que ces communes.
Plusieurs raisons peuvent pousser les généralistes à se déconventionner. «Ce choix n’est pas forcément motivé par des raisons financières», insiste Guy Delrée. Cela peut par exemple traduire une forme de désaccord avec les termes de la convention. «Une sorte de signal de mécontentement envoyé à l’Inami et aux politiques», résume le président de la FGAW.
Un effet de mimétisme se produit également dans certaines communes: si la majorité des médecins y sont déconventionnés, les nouveaux venus sont contraints d’aligner leur prix par souci de confraternité. «Dans certains cercles, une pression est exercée sur les jeunes médecins qui s’installent pour qu’ils pratiquent eux aussi le déconventionnement», confirme Pierre Drielsma, administrateur du GBO, le syndicat des médecins généralistes francophones. A Neufchâteau, par exemple, le taux de conventionnés a toujours été relativement faible. «C’est une tendance historique qui se confirme d’années en années», observe Guy Delrée.
Médecins généralistes ou Robin des bois?
Bien sûr, les aspects financiers entrent également en compte. Pour des médecins exerçant à Bruxelles ou dans le Brabant wallon, augmenter les honoraires des consultations permet d’amortir les coûts plus élevés de l’immobilier et/ou de location du cabinet. Se déconventionner permet également plus d’indépendance dans les tarifs des visites à domicile. «Dans le Luxembourg, par exemple, les déplacements sont souvent très longs et donc peu rentables, pointe Pierre Drielsma. A Bruxelles, les embouteillages ou les difficultés de parking augmentent également ces temps de visite». Et Guy Delrée de compléter: «Les visites à domicile peuvent réellement représenter un gouffre financier pour le généraliste, donc certains se déconventionnent uniquement pour pratiquer des tarifs plus élevés pour ce genre de consultations.» Une manière également de dissuader la patientèle d’exiger des visites à domicile pour «tout et n’importe quoi».
«Les médecins déconventionnés ne sont pas tous de “grands méchants vénaux”»
Evidemment, la capacité contributive de la patientèle joue également un rôle dans l’élaboration des tarifs. Sans surprise, un taux plus important de déconventionnement est observé dans les communes les plus aisées, telles que dans le sud de Bruxelles (Uccle, Woluwe-Saint-Pierre…) ou dans le Brabant wallon (Lasne, Waterloo, La Hulpe…). « Pour certaines populations –par exemple dans le quartier européen– payer dix euros de plus sa consultation n’entraîne aucune conséquence», assure Guy Delrée. «Mais pour un patient plus pauvre qui vit dans cette même commune, cela aura un impact direct sur son portefeuille», regrette Pierre Drielsma. Certains généralistes adaptent ainsi leurs tarifs aux dispositions économiques de chaque patient. «Les médecins déconventionnés ne sont pas tous de « grands méchants vénaux »», nuance Guy Delrée. De son côté, Pierre Drielsma plaide pour un conventionnement à 100%. «Ce n’est pas au généraliste de s’auto-proclamer « Robin des bois », en taxant ses patients les plus riches et en pratiquant de la médecine bénévole pour les plus pauvres, tonne-t-il. C’est sur le plan de la fiscalité que cette redistribution doit s’opérer.»