jeudi, janvier 9

Depuis la crise du Covid-19, les tensions sociales sont particulièrement vives dans le transport aérien. Grève des pilotes, du personnel de cabine, des bagagistes ou encore des contrôleurs : l’ensemble du secteur semble plongé dans un profond malaise. Décryptage.

Enième menace de grève chez Brussels Airlines. Lundi soir, les pilotes de la compagnie aérienne belge ont agité le spectre de nouvelles actions à partir du 23 mars. S’il se concrétise, ce mouvement de grogne serait déjà le troisième de l’année 2024 au sein de l’entreprise, après une journée de débrayage le 13 janvier et trois jours de perturbations fin février.

Brussels Airlines n’est pas la seule concernée par ces tensions sociales. Il y a quinze jours, les bagagistes d’AviaPartner surprenaient les passagers de Zaventem avec une grève spontanée. Fin décembre, c’étaient les contrôleurs aériens de Skeyes qui débrayaient sans crier gare. Sans parler des vagues d’actions successives menées par les pilotes et le personnel de cabine de Ryanair entre 2022 et 2023, qui ont conduit à l’annulation de plusieurs centaines de vols au départ de Bruxelles et de Charleroi.

Si aucune donnée existante ne peut confirmer une augmentation réelle du nombre de grèves ces dernières années, le malaise est bel est bien palpable dans le secteur. La mécanique du transport aérien semble grippée. Sa paix sociale, plus que fragilisée.

Ryanair, « le grand coupable »

Ce mal-être généralisé puise sa source dans plusieurs défis concomitants. Et notamment dans l’avènement des compagnies low-cost ces dernières années. « Leur développement a contribué à mettre sous pression certains opérateurs historiques du court et moyen-corrier, les obligeant à revoir à la baisse les conditions d’emploi et de travail de leur personnel », expose Jean Vandewattyne, chargé de cours à l’UMons et membre du Groupe d’Analyse des Conflits Sociaux (Gracos). « Le grand coupable, c’est Ryanair, tranche Didier Lebbe, responsable syndical à la CNE. En imposant sa politique de réduction des coûts et en faisant fi de la législation en vigueur, la compagnie irlandaise a obligé les autres opérateurs à s’aligner. C’est à partir de ce moment-là que la situation s’est véritablement dégradée. Cette flambée des grèves est donc inéluctable. » 

Ces tensions sociales s’expliquent également par la pandémie de coronavirus, qui a laissé de lourdes traces dans le ciel belge. Très impactées par la fermeture temporaire de l’espace aérien et les restrictions sanitaires, certaines compagnies se sont « retournées » vers leur personnel, en réduisant drastiquement leur effectif et/ou en revoyant à la baisse leurs salaires et leurs conditions de travail. Ces mesures, implémentées (« imposées », diront les syndicats) durant la phase de gestion de crise, n’ont aujourd’hui plus lieu d’être, clament en chœur pilotes et stewards. « Le personnel entend bien récupérer ce à quoi il avait consenti durant cette période particulière », résume Jean Vandewattyne.

Un rapport de force favorable

Surtout que Brussels Airlines a renoué avec les bénéfices en 2023, et que Ryanair a continué à afficher des bilans positifs. « Toutes ces entreprises gagnent plus d’argent qu’avant la crise, mais le personnel gagne moins et travaille toujours plus, déplore Didier Lebbe. Il est impossible que cette situation n’explose pas. » D’autant que l’été 2024 s’annonce comme celui de tous les records en termes de nombre de vols et de passagers. Cette reprise post-pandémique s’accompagne inévitablement de pénuries de main d’œuvre, notamment de pilotes. Des conditions qui permettent aux employés de hausser le ton. « Le rapport de force est plus intéressant aujourd’hui pour le personnel navigant aujourd’hui qu’hier », résume Jean Vandewattyne.

D’autant que la force de frappe des syndicats est particulièrement importante dans le secteur aérien. Les représentants des travailleurs en sont bien conscients. « Le succès d’un vol est le résultat d’une succession d’étapes, rappelle Wouter Dewulf, professeur d’économie des transports à l’Université d’Anvers. Du check-in à la sécurité, en passant par les bagagistes, le personnel de cabine et les pilotes, chaque maillon de la chaîne est indispensable. Une action limitée peut avoir un impact très important et, ça, les syndicats le savent. » Les élections sociales, prévues en mai, ne risquent pas de faire retomber la ferveur syndicale, ajoute encore le professeur.

Si elle est bien palpable aujourd’hui, l’instabilité sociale plane sur le ciel belge depuis de longues années déjà. « La Belgique a toujours été un hotspot des grèves et des conflits sociaux, recadre Wouter Dewulf. Les gens ont parfois tendance à l’oublier, mais la situation était tout aussi chaotique avant la faillite de la Sabena ou lors des grèves chez Swissport. » Cette instabilité n’épargne pas non plus d’autres pays européens, en témoignent les grèves qui touchent actuellement la Lufthansa. « Le secteur aérien est en croissance, certes, mais il reste fragile. La crise sanitaire a démontré cette vulnérabilité, tout comme les attentats ou les défaillances de certains constructeurs comme Boeing », conclut Jean Vandewattyne. 

Partager.
Exit mobile version