Le journaliste Timothée de Rauglaudre met en exergue «le communisme des biens, du travail, et des prises de décision» que développent des communautés monacales en France.
Le monachisme véhicule l’image d’une pratique vieillotte, presque désuète, sécularisation de la société européenne oblige. Le journaliste Timothée de Rauglaudre apporte un démenti à cette perception dans La Grâce politique du monastère (1), un voyage étonnant à la rencontre des religieuses et religieux des abbayes de France. Le monastère serait même un lieu-modèle de résistance au monde capitaliste.
«Là où la modernité capitaliste n’admet que ce qui est utile et apte à stimuler sa production, le monastère valorise la gratuité, comprise comme une inutilité productive, analyse l’auteur. Quand le capitalisme s’en prend aux solidarités communautaires pour isoler les individus, réduits à être des producteurs-consommateurs, le monastère consacre la mise en commun de la vie: communisme des biens, communisme du travail, communisme des prises de décision. Alors que la modernité capitaliste considère l’étranger, la nature et la guerre comme des sources d’enrichissement à exploiter, le monastère résiste à ces rapports prédateurs.» Timothée de Rauglaudre explique combien sont aujourd’hui avant-gardistes «l’amour de la faiblesse» que les moines entretiennent entre eux, le travail «dégagé de l’impératif de profit et d’efficacité à tout prix» qu’ils exercent, l’accueil de l’autre qu’ils développent sans restriction, et le constat qu’«une autre manière de vivre est possible» dont ils témoignent.
«Nous sommes inutiles comme un bouquet de fleurs est inutile.»
L’auteur de La Grâce politique du monastère souligne aussi que s’y exercent, tant que possible, une autosuffisance alimentaire et énergétique adaptée au défi environnemental actuel et une forme de démocratie rythmée par les réunions du chapitre et du conseil et nourrie par une écoute qu’on ne rencontrerait plus guère ailleurs.
Sans doute peut-on estimer que c’est une vision quelque peu idéalisée de la vie en monastère que décrit là Thimothée de Rauglaudre. Mais outre qu’il n’occulte pas l’influence très conservatrice que des personnalités comme l’homme d’affaires français Pierre-Edouard Stérin ou l’écrivain américain Rod Dreher, un proche du vice-président J.D. Vance, tentent d’exercer sur certains établissements, il a le mérite à travers son enquête de dévoiler une face méconnue de ces laboratoires de vie commune. «Nous sommes inutiles comme un bouquet de fleurs est inutile», décrit Dom Thomas Georgeon, père abbé de l’abbaye de La Trappe, à Soligny, en Normandie, dans une ultime illustration de la défiance de la vie monacale au capitalisme.
(1) La Grâce politique du monastère. Une utopie pour notre temps, par Timothée de Rauglaudre, Seuil, 320 p.
