samedi, décembre 20

Après 35 ans d’alternance entre le centre-gauche et la droite, le Chili bascule à l’extrême droite pour la première fois depuis la dictature d’Augusto Pinochet

«J’ai foi en le Chili et son destin.» L’inscription gravée dans la pierre de la statue de Salvador Allende face à la Moneda, prononcée à quelques heures du bombardement du palais présidentiel et de la mort du chef d’Etat le 11 septembre 1973, résonne étrangement le lundi 15 décembre. Le président socialiste Gabriel Boric reçoit José Antonio Kast, un sympathisant du dictateur Augusto Pinochet pour préparer une transition qui s’achèvera avec la passation de pouvoir le 11 mars 2026. Kast a remporté la veille le second tour de la présidentielle avec 58,16% contre la candidate de gauche Jeannette Jara (41,84%). Avec une participation majeure (85,1%) due au retour du vote obligatoire, il est le président le mieux élu de l’histoire du Chili.

Trente-cinq ans après la fin du régime militaire, l’extrême droite néolibérale revient au pouvoir, cette fois par les urnes. José Antonio Kast avait fait campagne pour le maintien de Pinochet en 1988. Il est le fils d’un officier nazi immigré au Chili, le frère du ministre du Travail et président de la Banque centrale du régime militaire. «Si Pinochet était encore vivant, il aurait voté pour moi», glissait l’avocat natif de Santiago en 2017. Il a tempéré son discours depuis, mais les drapeaux avec la figure du général agités le14 décembre par certains militants lors de sa prise de parole dans la commune huppée de Las Condes montrent que les fantômes du passé ne sont pas loin. Mis en échec en 2017 et 2021, José Antonio Kast a cette fois su capter les colères pour rompre l’équilibre du «pendule chilien», l’oscillation des électeurs entre présidents de centre-gauche et de droite depuis 1990.

Ordre et autorité

«Le Chili veut un changement, pas la continuité», scande-t-il sur une scène posée devant le siège du Parti républicain, la structure qu’il a créée en 2019. Une ligne directrice: l’ordre. «Sans sécurité, pas de paix. Sans paix, pas de démocratie. Sans démocratie, pas de liberté.» «Ce scrutin marque la fin d’un cycle débuté en octobre 2019 avec l’estallido social, mouvement déclenché en réaction à l’augmentation du coût du ticket de métro dans la capitale», analyse Juan Pardo, sociologue de l’université du Chili. «Les citoyens, sans être forcément guidés par une idéologie précise, ont opté dimanche pour l’ordre et l’autorité», ajoute le directeur du cabinet d’analyse d’opinion Feedback.

Après l’estallido, le Chili s’est attelé à un processus de réécriture de la Constitution datant de la dictature. Une nouvelle version progressiste a été rejetée en 2022 dans un référendum aux résultats proches de celui de dimanche (61% des votes contre). «Ce scrutin de 2022 a marqué la nouvelle division de l’électorat, autrefois régie par le référendum de 1988 pour le maintien ou non de Pinochet au pouvoir», estime le sénateur Rojo Edwards, soutien de José Antonio Kast. «Une majorité sociale comme jamais il n’y en a eu dans l’histoire du Chili se dessine», se réjouit-il. Les élections législatives du 16 novembre ont donné une majorité à droite au Congrès et le Parti républicain est le premier parti à la Chambre des députés, «mais rien n’indique que toutes les composantes de la droite vont soutenir la politique de Kast», nuance Juan Pardo.

Dans la foule de ses soutiens à Las Condes, on agite le drapeau chilien en rêvant au «changement» promis. «Je veux que mon pays retrouve sa sécurité et sa croissance économique», avance Alejandra, une jeune dentiste de 25 ans. Le sentiment d’insécurité est élevé dans ce pays qui reste pourtant l’un des plus sûrs d’Amérique latine. Les principaux indicateurs de la délinquance sont stables et le taux d’homicide baisse depuis 2022 après une hausse à partir de 2015. Les peurs se développent autour de l’augmentation des extorsions et des enlèvements, symboles de l’implantation du crime organisé. Et sur la forte médiatisation des faits divers.

Share.
Exit mobile version