Face à l’essor des fast-foods, de plus en plus de communes tentent de limiter les nouvelles implantations. Entre les motifs économiques et sanitaires, la stratégie du blocage a-t-elle du sens?
En 2024, près d’un Belge sur deux était en surpoids et près de deux sur dix en situation d’obésité, selon les chiffres (en hausse) de Sciensano. La même année, le pays comptait un bon millier de fast-foods, d’après la Food Service Alliance, un centre de connaissance au service de grands acteurs de l’alimentation. Leur chiffre d’affaires s’élevait à 930 millions d’euros, soit un tiers de plus qu’en 2019.
D’ici à 2030, pas moins de 250 nouveaux établissements du genre pourraient ouvrir leurs portes, si l’on en croit les investissements en cours ou annoncés. McDonald’s, Burger King, O’Tacos, Domino’s, KFC, Belchicken… Toutes ces enseignes comptent ouvrir des dizaines de restaurants supplémentaires dans les prochaines années, indiquaient récemment L’Echo et De Tijd: 27 de plus pour McDonald’s d’ici à 2027, 50 pour Burger King à l’horizon 2030, 125 pour Domino’s Pizza… L’appétit est tout aussi gargantuesque sous les bannières O’Tacos, Belchicken et KFC, tandis que le nombre de Quick devrait se stabiliser.
Ne pas mettre tous les fast-foods dans le panier de la malbouffe
Ces dernières années, le nombre de fast-foods n’a cessé de battre des records. Que recouvre une telle évolution? C’est là que ça se complique. Statbel, l’office belge de statistique, communique certes des chiffres sur les «restaurants avec un service restreint», par opposition aux établissements «à service complet». «Mais le terme « fast-food » désigne lui-même énormément de choses, nuance Linda Di Nizio, chargée de communication de la Fédération Horeca Wallonie. Chez nous, la restauration rapide concerne tous les établissements qui n’ont pas besoin d’un accès à la profession, c’est-à-dire tout ce qui est friteries, snacks, sandwicheries, salons de thé… On a tendance à mettre une connotation négative derrière le mot fast-foods, alors que beaucoup d’enseignes concernées proposent des mets de qualité et travaillent avec des producteurs locaux.»
La restauration rapide, souligne-t-elle encore, traduit aussi une évolution des attentes des consommateurs, qui n’équivaut pas nécessairement à commander un burger à une borne ou à un drive-in. «Il y a un changement culturel et social, appuie la porte-parole de la Fédération. Le temps passé au restaurant diminue, les commandes de menus trois services sont moins fréquentes qu’avant, les clients se déplacent moins loin qu’avant pour manger au restaurant… Les professionnels doivent tenir compte de ces changements pour pérenniser leur profil business.» Il ne s’agirait donc pas de mettre tous les acteurs dans le panier de la «malbouffe».
Taxes, moratoire, refus de permis… Les blocages des communes
En Wallonie comme à Bruxelles, un nombre croissant de communes tentent dès lors de limiter l’essor des fast-foods «avec drive-in» sur leur territoire. Elle visent ainsi directement les chaînes les plus connues. Auderghem a récemment décidé d’imposer une taxe de 10.000 euros à l’ouverture de tels établissements, à laquelle s’ajoute une redevance annuelle de 12.000 euros. «On ne peut pas laisser ces enseignes façonner les habitudes alimentaires de nos enfants, a justifié Sophie de Vos (DéFi), la bourgmestre de la commune bruxelloise. Il suffit de regarder les affiches en rue ou les publicités sur les réseaux sociaux pour comprendre que les jeunes sont une cible privilégiée du marketing de la malbouffe. C’est à nous de les en protéger.» Une étude menée en Flandre par Sciensano a notamment mis en lumière un lien significatif entre l’indice de masse corporelle des enfants et les présence de fast-foods supplémentaires dans un rayon de 500 mètres autour d’une école.
Bien avant Auderghem, d’autres communes se sont positionnées, ces dernières années, contre l’arrivée de nouveaux restaurants avec drive-in, qui ont par ailleurs la caractéristique d’éclore à proximité les uns des autres, dans une logique de cluster du burger (ou de la pizza). Namur fut la première à décider, en 2022, d’un moratoire interdisant «l’installation (déménagement ou nouvelle construction) d’établissements de type « fast food » d’une superficie de plus de 150 m² avec drive-in.» «Le moratoire a été adopté à la suite d’un nombre important de fast-foods s’installant en périphérie du centre-ville, afin d’assurer un équilibre au niveau de l’offre en restauration et de ne pas la délocaliser trop en extérieur de ville, explique l’échevine de l’Urbanisme, Stéphanie Scailquin (Les Engagés). Ce type de fast-food en extérieur a systématiquement un drive-in et un parking, ce qui est une facilité par rapport à la restauration en coeur de ville.»
Une stratégie visiblement efficace: depuis lors, «deux projets ont été souhaités mais on a clairement expliqué qu’il y aurait un refus de la part de la ville. Les demandes de permis n’ont donc pas été déposées. En revanche, nous sommes restés cohérents par rapport à des projets discutés depuis longtemps», plus spécifiquement concernant deux McDonald’s prévus avant le moratoire. Plus récemment, des communes comme Bastogne, Ath, Genappe et Frasnes-lez-Anvaing ont elles aussi marqué leur opposition pour l’arrivée de certains fast-foods.
«La hausse du nombre de fast-foods ne se fait pas au détriment des établissements à service complet.»
Les snacks épargnés
La plupart du temps, l’argument est davantage économique que sanitaire. Les communes invoquent en effet une concurrence avec les commerces de proximité et leur volonté de préserver l’attractivité des centres-villes. Par endroit, il est vrai que bon nombre de restaurateurs voient d’un mauvais œil l’arrivée de «McDo and co», privilégiant souvent des implantations sur et aux abords des voies d’accès stratégiques. Toutefois, la Fédération Horeca Wallonie note que «la hausse du nombre de fast-foods ne se fait pas au détriment des établissements à service complet qui, de manière générale, se maintiennent. L’important, c’est de préserver un équilibre.»
Sur le plan strictement sanitaire, l’argumentaire des communes est plus fou, puisqu’elles épargnent, en parallèle, les activités des nombreux snacks de proximité –y compris près des écoles– proposant des menus tout aussi gras, salés ou sucrés que les chaînes visées. Si elles n’ont pas nécessairement de prise sur la nature des activités d’une cellule commerciale, certaines confirment explicitement vouloir préserver les petits indépendants. C’est le cas à Auderghem, où la future taxe, si elle se concrétise vu les recours possibles, ne ciblera bien que les chaînes avec drive-in.
«Il faut tout faire pour limiter ce type d’accessibilité.»
A côté des initiatives communales, le débat a rebondi à quelques reprises au parlement de Wallonie. Interpellé par la député Valérie Dejardin (PS) le 21 octobre, le ministre wallon de la Santé, Yves Coppieters (Les Engagés) prépare un «nouveau cadre de soutien à la transition de la restauration collective saine et durable à l’horizon 2030». «Les fast-foods vont demander plus de 150 ou 200 permis uniques pour continuer leur implantation, indiquait-il un mois auparavant, en commission Santé. On voit quand même que le combat est assez rude. Il faut donc tout faire pour limiter ce type d’accessibilité.»
De son côté, Sciensano travaille sur une analyse des environnements alimentaires, dont les conclusions sont attendues pour 2026. Contacté, l’Institut national de santé publique ne souhaite pas communiquer sur sa mise en pratique à ce stade. Toutefois, son travail a «permis de dégager plusieurs recommandations pour la Région wallonne, renseignait encore Yves Coppieters en commission. Par exemple, cela inclut la possibilité de limiter l’implantation de certains types de points de vente, tels que les fast-foods, à proximité des lieux de vie spécifiques, comme les écoles.»















