mercredi, novembre 13

Les microplastiques protègent les bactéries et d’autres pathogènes, même dans un environnement qui leur est hostile, démontrent de nouvelles études. Des découvertes préoccupantes pour l’environnement et la santé, humaine et animale.

Sur les rives du fjord d’Oslo, en périphérie de la capitale norvégienne, se trouve VEAS, la plus grande station d’épuration du pays. C’est là que l’équipe de recherche dirigée par Ingun Lund Witsø, de l’Université norvégienne des sciences de la vie, a décidé d’étudier des échantillons d’eau prélevés avant et après leur traitement.

En les examinant, les chercheurs ont détecté la persistance de microplastiques — de minuscules fragments de plastique de moins de cinq millimètres. Plus préoccupant encore: ces petits déchets plastiques semblent offrir une protection à plusieurs bactéries pendant le processus de purification: Listeria, E. coli, et Klebsiella pneumoniae. Autant d’agents pathogènes qui échappent aux traitements et finissent leur parcours dans l’océan sans être neutralisés.

Microplastiques et macroproblèmes

L’étude, publiée dans la revue PLOS One, interpelle Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain. «Même dans les eaux traitées!», s’exclame-t-il en découvrant les résultats. Ces colonies infectieuses, connues sous le nom de «plastisphères», avaient en effet déjà été retrouvées dans l’eau douce. Une découverte qui a suscité l’inquiétude, ces microplastiques pouvant attirer non seulement des bactéries pathogènes, mais aussi des résidus d’antibiotiques. Le contact entre les deux peut ainsi aider les premiers à stimuler leur résistance aux seconds.

«C’est un phénomène préoccupant, souligne Alfred Bernard. Ces microplastiques, extrêmement persistants, agissent comme des éponges à polluants, concentrant des substances cancérogènes et des perturbateurs endocriniens.»

Une pollution à laquelle la population peut être exposée via l’eau potable. Aux États-Unis, des analyses montrent que l’eau du robinet contient 4,24 grammes de microplastiques par litre/m³, selon un article d’Environmental Science & Technology. Ce qui serait toutefois bien moins que l’eau en bouteille et ses 94,37 g/l/m³, soit la première source d’exposition des Américains aux microplastiques, d’après cette même étude.

Relâchées dans les océans, les eaux traitées risquent également d’exposer la faune marine à ces plastisphères. Des animaux qui peuvent ensuite se retrouver dans l’alimentation. «Les produits de la mer représentent une source majeure de microplastiques, précise le toxicologue. Ils s’accumulent surtout dans leurs organes de stockage, comme le foie, et sont moins présents dans les muscles. Si l’on consomme des filets de poisson, cela réduit l’exposition. En revanche, pour les bivalves comme les huîtres et les moules, qui se consomment entiers, le risque d’ingérer des microplastiques est plus élevé. Heureusement, leur consommation reste limitée.»

Les sols autant pollués que les eaux

Le chercheur de l’UCLouvain souligne également une autre dimension du problème. Les plastisphères ne se trouvent pas seulement dans les eaux traitées, mais aussi dans les boues issues des stations d’épuration. Or, ces boues sont fréquemment utilisées comme engrais dans l’agriculture. Un sujet sur lequel il mène des recherches depuis près de 20 ans. «Cette forme d’économie circulaire présente des risques pour les nappes phréatiques et les cultures, car les microplastiques pourraient se transférer aux végétaux de manière similaire aux PFAS.»

Une étude publiée en avril dernier dans Environmental Science & Technology tend à confirmer ces craintes, en identifiant les principales sources de microplastiques dans l’alimentation à l’échelle mondiale. En Belgique, les aliments les plus exposés seraient les légumes non féculents et le lait. Cependant, l’étude ne précise pas comment les microplastiques pénètrent dans ces produits.

Quel effet sur la santé?

«Bien sûr, nous craignons un impact sanitaire, surtout en raison de l’absence de normes spécifiques concernant les polluants émergeant dans les boues d’épuration, explique Alfred Bernard. On sait déjà que les microplastiques les plus petits peuvent passer la barrière intestinale. Les études en montrent l’impact chez l’animal, mais souvent à forte dose. Nous manquons de données pour savoir ce qu’il en est chez l’humain. Nous n’en sommes qu’au début des recherches, car la prise de conscience de ces risques est récente et parce qu’il a fallu que les Etats accordent des subsides importants pour les mener.»

Les premières observations, toutefois, ne sont pas rassurantes. En 2022, une équipe de l’Université de Californie a réalisé une méta-analyse de quelques 2.000 études sur les effets sanitaires des microplastiques. Les résultats suggèrent que ces particules pourraient réduire la fertilité et augmenter le risque de cancer, notamment dans le système digestif. Fin octobre 2024, une publication dans Scientific Reports a affirmé que les nanoplastiques – des microplastiques d’une taille inférieure à un micron – vont au-delà de la simple stimulation de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Ils altéreraient également l’efficacité des médicaments en transportant leurs molécules dans des zones du corps inhabituelles, tout en favorisant la dissémination de perturbateurs endocriniens.

«Malheureusement, une fois que ces microplastiques pénètrent dans l’organisme, ils y restent de façon cumulative, sans possibilité de les éliminer, déplore Alfred Bernard. Il en va de même pour d’autres polluants persistants, comme les métaux lourds. Cela fait beaucoup de substances que le corps ne peut pas expulser, et c’est là que réside le problème.»

Le toxicologue espère toutefois voir émerger des jours meilleurs grâce à des réglementations plus strictes. «Il faudra impérativement réduire l’utilisation de ces plastiques et se tourner vers des alternatives biodégradables», insiste-t-il. Mais même avec des efforts en ce sens, il faudra aussi s’attaquer aux dégâts déjà faits. Selon le WWF, la production de plastique devrait doubler d’ici 2040, et les déchets plastiques dans les océans pourraient quadrupler d’ici 2050. Une pollution dont les impacts se feront sentir sur le très long terme.

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