Près de 80% des communications des partis sur X mentionnaient l’une ou l’autre de leurs personnalités. Parfois, sans même êtres associées à des débats politiques. Cette pratique se vérifie surtout dans le sud de la Belgique, où les partis francophones aiment mettre en lumière leurs présidents… mais beaucoup plus rarement leurs femmes politiques. Une individualité qui n’est pas sans conséquences, souligne une étude de l’Université libre de Bruxelles et de l’UAntwerpen.
Difficile, aujourd’hui, d’exister en politique sans les réseaux sociaux. De X à TikTok, en passant par Facebook et Instagram, ces médias sont devenus des canaux de communication essentiels pour les femmes et les hommes politiques. Tant et si bien que l’électeur peut avoir l’impression que les partis ont davantage à cœur de mettre en lumière leurs personnalités que leur programme. Ce constat citoyen, c’est tout l’objet d’une étude conjointe de l’ULB et de l’UAntwerpen portant sur la personnalisation de la communication des partis belges sur X.
Il en ressort que 78% des communications des partis sur les réseaux sociaux sont personnifiées. Cependant, seules 6% de ces publications sont exclusivement consacrées à la promotion des personnalités du parti. Dans la majorité des cas, les politiciens sont associés aux discussions politiques. Les partis gouvernementaux (7,8%) et traditionnels (8,2%) sont plus enclins à partager du contenu mettant en avant l’une de leurs personnalités que les partis d’opposition (3%) et ceux dit «extrêmes» (1,7%) tels que le PTB ou le Vlaams Belang.
«Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que les partis traditionnels bénéficient d’un accès plus large aux médias, ce qui leur permet de promouvoir plus facilement les apparitions médiatiques de leurs politiciens, commentent les auteurs de l’étude. En ce qui concerne la distinction entre les partis traditionnels et les partis radicaux, il est bien connu que l’électorat se concentre plus souvent sur ces derniers pour des questions spécifiques et le programme, plutôt que pour des personnalités politiques.»

Les partis flamands plus présents sur les réseaux sociaux
Il existe également des différences notables entre le nord et le sud du pays. Ensemble, les partis néerlandophones ont publié 14.915 messages sur X, entre le 1er janvier 2022 et le 8 juin 2024, veille des élections fédérales, régionales et européennes. C’est près de trois fois plus que les quelque 4.994 posts des partis francophones. En revanche, la proportion de messages mettant en avant un homme ou une femme politique est légèrement plus importante chez les partis francophones (6,5%) que flamands (5,7%).
En Flandre, si le CD&V est plus coutumier des contenus personnifiés en «temps normal» –et même le parti néerlandophone qui les pratique le plus (11%)–, pour la période de campagne, ce n’est pas du tout le cas. Aucune publication du parti sur X ne faisait spécifiquement référence à l’une de ses personnalités. Le parti qui a le plus usé des contenus personnifiés est l’Open Vld (16,5%), alors qu’hors-campagne, ce type de publication est près de deux fois moins nombreux. De manière générale, le nombre de publications personnifiées de l’ensemble des partis du nord du pays est sensiblement le même avant (7,1%) que pendant la campagne (7,8%)
Côté francophone, Les Engagés décrochent la palme dans les deux cas, avec 8,7% de leurs communications sur X portant sur l’un de leurs politiciens avant la campagne, et 20,5% pendant. Aussi constant, le PTB est le parti francophone qui communique le moins sur ses représentants (1,7% avant et 0% pendant la campagne). Son pendant flamand, le PvdA, lui, pratique plus: 6,4% et 6,6%. Tous partis francophones confondus, les publications personnifiées ont bondi de 5,3 à 11,3%.
Les partis francophones aiment leurs présidents… surtout Raoul Hedebouw
Une fois n’est pas coutume, les personnalités les plus souvent mises en avant par les partis n’occupent pas les mêmes fonctions, que celles-ci soient basées d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique. Les francophones, par exemple, promeuvent davantage les présidents de partis (48,9%) que les néerlandophones (26,3%). «Cette différence pourrait s’expliquer par le volume de communication plus faible des partis francophones. Poster moins de messages sur X signifie aussi moins d’opportunités de présenter une variété d’hommes politiques. Il en résulte une plus grande concentration de l’attention sur les personnalités les plus en vue du parti», souligne l’étude.
Aussi bien du côté francophone que néerlandophone, l’homme politique le plus souvent mentionné dans les communications de son parti est de très loin Raoul Hedebouw, avec 65% des publications du PvdA et 64,4% de celles du PTB lui faisant référence. Au nord, Sammy Mahdi (CD&V) avec 34,8%; Melissa Depraetere (Vooruit) avec 29,9%; Alexander De Croo (Open Vld) avec 28,9%; et Bart De Wever (N-VA) avec 20,5%, ferment le top cinq flamand des personnalités les plus souvent mises en avant sur X. Tandis qu’au sud, le président du PTB est suivi par celui du MR, Georges-Louis Bouchez (56,1%); par l’ancien président de DéFI, François De Smet (50,9%) –l’actuelle présidente, Sophie Rohonyi est à 30,8%–; le président du PS, Paul Magnette (40,4%); et l’ancienne co-présidente d’Ecolo, Raja Maouane (32,9%).
Où sont les femmes?
La plupart des personnalités mentionnées sur X par leurs partis sont des hommes. Bien que les Flamands fassent davantage référence à leurs femmes politiques dans leurs communications sur les réseaux sociaux (31,9%) que les francophones (28,4%), elles restent largement moins représentées que les hommes.
C’est surtout vrai pour le PTB-PvdA (12,9 et 13,8%), ce «qui peut être le reflet d’un manque de femmes à des postes clés du parti», suggèrent les chercheurs de l’ULB et de l’UAntwerpen. Coté francophone, le MR ne fait guère beaucoup mieux avec seulement 16,3% des publications sur X mentionnant une femme.
D’autres tirent néanmoins leur épingle du jeu. Et pour cause, leur chef de parti respectif sont ou étaient en réalité des présidentes ou co-présidentes: Nadja Naji (Groen), Melissa Depraetere (Vooruit) et Rajae Maouane (Ecolo). Les femmes politiques sont aussi davantage mentionnées par leur parti lorsqu’elles occupent des postes à haute responsabilité, à l’image des deux CD&V Nicole De Moor (secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration sous Alexander De Croo) et Annelies Verlinden (ministre de l’Intérieur sous Alexander De Croo et ministre de la Justice du gouvernement De Wever).
Cette individualité politique a pour conséquence de concentrer non seulement la visibilité, mais également les pouvoirs dans les mains «de quelques acteurs puissants, ce qui sape les délibérations internes des partis et affaiblit les mécanismes de responsabilité», concluent les auteurs de l’étude.