Les polluants chimiques sont omniprésents dans notre environnement au quotidien. Ils se trouvent même à l’intérieur de notre corps. Et la perte de biodiversité aggrave encore le problème.
Combien de polluants chimiques se nichent dans la poussière des chambres à coucher? Pour le savoir, l’association flamande pour la vie et le jardinage écologique VELT (Vereniging voor Ecologisch Leven en Tuinieren) a lancé la campagne SOS Chambre à coucher. Avec des résultats préoccupants. Dans les 112 chambres analysées en Flandre, 137 pesticides différents ont été identifiés, avec une moyenne de 21 par chambre. Toute les chambres étaient concernées. Trente-huit contenaient même des traces d’un insecticide interdit en Belgique depuis 1974, le DDT, particulièrement nocif pour l’environnement. Une donnée qui fait tristement écho aux résultats du Biomonitoring humain wallon, qui a analysé le sang et les urines d’un échantillon de la population et publiait, en mars 2023, un résumé de ses phases 1 et 2: malgré l’interdiction de son utilisation, le DDT subsiste dans l’environnement mais aussi dans le corps humain. Même s’il n’est pas exclu que cet insecticide dangereux soit encore utilisé illégalement à certaines endroits, cela démontre la dangereuse persistance de ce type de substance.
Dans les chambres flamandes, les trois produits les plus fréquemment retrouvés étaient liés à une utilisation personnelle de la part des habitants: un pesticide antiguêpes, un lait antimoustiques et un fongicide pour le traitement du bois. Mais 70% des substances identifiées provenaient de l’agriculture. Dont plusieurs ont déjà été mises en cause pour certains problèmes de santé, dont un risque accru de cancer.
Les résultats de la campagne SOS Chambre à coucher comme ceux du Biomonitoring humain wallon confirment ce qui est évident depuis un certain temps: les polluants chimiques sont omniprésents dans notre environnement au quotidien et pénètrent dans nos corps.
De nouvelles substances sont approuvées sans que leurs effets ne soient complètement analysés.
Leucémie: le cas d’Emily
En France, le cas d’Emily a récemment secoué les médias. Cette fillette de 11 ans, décédée en mars 2022 des suites d’une leucémie, était la fille d’une fleuriste qui, soupçonnant un lien entre la maladie d’Emily et les pesticides avec lesquels elle a été elle-même en contact dans le cadre son travail pendant sa grossesse, a saisi le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). En juillet 2023, la commission du Fonds, composée de chercheurs et de médecins, a reconnu à l’unanimité un lien de causalité entre le décès de l’enfant et le métier de sa mère. Même si on ne peut pas le comparer à la valeur d’une étude scientifique, ce type de cas est essentiel pour dénoncer l’entêtement des lobbyistes, et malheureusement aussi de certains responsables politiques, qui continuent de minimiser les dangers des pesticides.
Autre donnée inquiétante en provenance des Pays-Bas, pays qui concentre environ 60% de la production mondiale des fleurs coupées dans le monde: une étude menée par la branche néerlandaise de l’organisation internationale Pesticide Action Network, qui entend mettre en évidence les dangers liés à l’utilisation massive de pesticides, a révélé que, chez nos voisins, en moyenne 17 pesticides sont détectés dans les bouquets de roses, et 25 dans les bouquets mixtes vendus. Un tiers des substances identifiées sont interdites en Europe mais y arrivent par les fleurs importées d’Afrique ou d’Amérique du Sud.
Certains groupes visant à minimiser les risques se sont empressés d’affirmer qu’il n’y avait aucun danger pour les acheteurs de ces bouquets. Seuls les fleuristes et les autres personnes amenées à manipuler fréquemment des fleurs pourraient courir un risque «minime».
Parkinson et pesticides
En France, en Allemagne et en Italie, la maladie de Parkinson est désormais reconnue comme maladie professionnelle pour les agriculteurs, en raison de leur exposition aux pesticides qu’ils pulvérisent, notamment le glyphosate, le désherbant le plus vendu sur la planète. La maladie de Parkinson est la pathologie neurologique à la croissance la plus rapide au monde, et le lien avec l’utilisation de pesticides est de plus en plus évident.
En Wallonie, le glyphosate est interdit pour les usages privés depuis le 1er juin 2017 mais il est toujours utilisé en agriculture. Dans les résultats du Biomonitoring, l’herbicide controversé était présent dans près d’un quart des échantillons d’urine de la phase 1 (adolescents et adultes) et dans un échantillon sur trois de la phase 2 (enfants). Dans la revue médicale The Lancet, des chercheurs néerlandais ont plaidé pour une action gouvernementale plus stricte contre le glyphosate, avançant que certaines études indiquent que jusqu’à 70% des personnes peuvent présenter des résidus de glyphosate dans leur organisme. Malgré ces sonnettes d’alarme, l’année dernière, la Commission européenne n’est pas parvenue à restreindre l’utilisation de ce produit, reportant la décision d’une interdiction d’au moins dix ans.
Femmes enceintes
Une étude menée en Allemagne et dont les résultats ont été publiés récemment dans Science a analysé la présence de substances chimiques potentiellement dangereuses dans le corps de plus de 600 femmes enceintes. Au total, 473 substances ont été identifiées, dont 143 considérées comme présentant un risque pour la santé (bien que certaines n’aient pas encore fait l’objet d’une analyse de risque). Le nombre de substances différentes détectées dans un même corps variait entre cinq et 146. Ces polluants provenaient aussi bien de l’alimentation et des produits d’hygiène que de l’agriculture et de l’industrie.
Une augmentation de l’utilisation du glyphosate au Brésil a été associée à une hausse de la mortalité infantile.
La conclusion principale de l’étude est que, pour la plupart, ces substances présentent des concentrations qui, isolément, sont jugées inoffensives pour la santé. Mais elles peuvent interagir et renforcer leurs effets mutuels : c’est le fameux «effet cocktail». Une discipline scientifique relativement récente se penche d’ailleurs sur cette problématique, en étudiant l’«exposome»: l’ensemble des polluants auxquels nous sommes exposés au cours de notre vie, y compris pendant la période prénatale.
Les scientifiques s’inquiètent de plus en plus pour la santé des nourrissons et des enfants dans un environnement où ils côtoient quotidiennement de multiples substances chimiques inexistantes voici encore un siècle, dont de nombreux perturbateurs endocriniens susceptibles d’influencer négativement la croissance et la fertilité. Une analyse publiée dans The Review of Economic Studies a même établi un lien entre l’augmentation de l’utilisation du glyphosate dans plusieurs régions du Brésil et une hausse de la mortalité infantile.
Les polluants chimiques peuvent également nuire au développement du cerveau et entraîner des troubles comme l’autisme et le TDAH. Mais en l’absence de preuve irréfutable, les lobbyistes continuent d’entretenir le flou et de souligner l’importance des pesticides pour assurer la sécurité alimentaire.
Chauves-souris et mortalité infantile
Dans ce contexte, certaines recherches commencent à établir des liens directs entre l’importance de la biodiversité et la santé humaine. Science publiait ainsi récemment une étude qui mettait en relation le déclin dramatique des populations de chauves-souris et une augmentation de la mortalité infantile dans les communautés agricoles américaines. Cette étude a pu «profiter» de l’introduction accidentelle d’un champignon mortel pour les chauves-souris en Amérique, probablement importé involontairement par des touristes européens. Contrairement aux chauves-souris européennes, les chauves-souris américaines ne sont pas immunisées contre ce champignon, qui a envahi en dix ans de vastes zones des Etats-Unis et du Canada, entraînant la mort de millions d’individus.
Or, les chauves-souris, grandes insectivores, jouent un rôle clé dans la régulation des populations d’insectes nuisibles. Une autre étude publiée dans Science a révélé que la disparition massive de ces animaux a forcé les agriculteurs à augmenter en moyenne de 31% l’utilisation de pesticides pour lutter contre la prolifération d’insectes. Parallèlement, on a constaté une augmentation de 8% de la mortalité infantile dans les régions touchées. Un phénomène observé de manière systématique dans tous les Etats étudiés, quel que soit le moment où le champignon s’y est propagé. La conclusion est sans équivoque: la disparition des chauves-souris est néfaste pour la santé humaine.
Grenouilles et malaria
Ces résultats illustrent l’importance cruciale de la biodiversité pour la santé humaine. Mais les expériences permettant de collecter ce type de données restent rares. Une étude parue dans la revue Environmental Research Letters a démontré que la mortalité massive des grenouilles en Amérique centrale –causée par l’introduction accidentelle d’un champignon mortel venu d’Asie– a entraîné une augmentation du nombre de cas de malaria chez les humains. Ces amphibiens jouent un rôle essentiel en régulant les populations de moustiques, principaux vecteurs du parasite responsable du paludisme. Leur disparition nuit donc directement à la santé publique.
L’article de Science souligne également que les pesticides et autres substituts technologiques ne sont pas aussi efficaces que les «services écosystémiques» rendus, par exemple, par les chauves-souris et autres prédateurs d’insectes. Les espèces nuisibles développent rapidement une résistance aux pesticides chimiques, obligeant à en utiliser davantage ou à recourir à des substances alternatives. Cette tendance s’accompagne souvent d’une hypothèse erronée, qui part du principe que les nouveaux pesticides sont moins dangereux que leurs prédécesseurs. Cela conduit parfois à leur introduction dans l’environnement sans évaluation préalable approfondie de leurs effets. Ce constat met en évidence la nécessité de repenser urgemment la gestion des écosystèmes et d’intégrer pleinement leur impact dans les stratégies de santé publique.
Des chercheurs néerlandais ont récemment publié dans Ecology Letters une étude démontrant que les néonicotinoïdes, une catégorie récente de pesticides, affectent également les oiseaux. Leur effet sur les insectes, notamment les abeilles essentielles à la pollinisation des plantes sauvages et des cultures agricoles, est bien documenté: ces substances pourraient être plus nocives pour les insectes bénéfiques que pour les ravageurs qu’elles sont censées combattre. Mais les néonicotinoïdes touchent également, directement ou par leur alimentation, des oiseaux comme le moineau domestique, la perdrix et le canard sauvage –trois espèces dont les populations sont actuellement en déclin.
Permis d’urgence
La première génération de néonicotinoïdes est désormais interdite en Europe, mais des «permis d’urgence» continuent d’être émis. D’autre part, de nouvelles substances sont approuvées sans que leurs effets ne soient complètement analysés.
Une étude parue dans Proceedings of the National Academy of Sciences a révélé que le nombre total d’oiseaux en Europe a diminué d’un quart entre 1980 et 2016, tandis qu’en Amérique du Nord, leur diminution s’élève à un tiers depuis 1970. Ce déclin dramatique a des conséquences non négligeables sur notre environnement, d’autant plus que de nombreuses espèces parmi les plus touchées sont insectivores. Ce qui pourrait donc accroître indirectement le recours aux pesticides.
Dernier élément dans ce constat alarmant: un article de synthèse publié dans Science a récemment mis en garde contre l’aggravation des effets néfastes de l’agriculture sur notre environnement en raison du réchauffement climatique. Ce dernier favorise en effet la prolifération de nombreux insectes nuisibles, entraînant là aussi une augmentation de l’utilisation de pesticides. Les intérêts économiques présentés comme essentiels à la «sécurité alimentaire» continueront de primer sur la santé publique tant qu’une transition sérieuse vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de l’homme ne sera pas mise en œuvre à grande échelle. Il est grand temps que nos décideurs politiques en prennent conscience.