mardi, décembre 16

Créatives ou traditionnelles, les pubs de Noël captent l’attention des consommateurs grâce à quelques ficelles bien connues en marketing. Une pratique datant de bien avant le Père Noël de Coca Cola et qui s’est intensifiée ces dernières années. Jusqu’à la surenchère.

Le Loup d’Orianne Lallemand et Eléonor Thuillier a du souci à se faire. Le héros de la littérature jeunesse créé en 2009 aura bientôt un redoutable rival: son congénère «mal aimé» dont les aventures contées dans le spot publicitaire d’Intermarché font un carton mondial. L’enseigne, alléchée par cette «loup mania», a annoncé qu’elle commercialiserait la peluche de son animal. Et un buzz de plus pour la chaîne qui met déjà ses clients en garde: le succès est tel que des contrefaçons circulent. Le loup d’Intermarché, le vrai, ne sortira pas de sa tanière avant 2026.

Dans cette séquence de pas moins de deux minutes 30 labellisée «sans IA» comme un bon jambon sans nitrite, tous les ingrédients sont réunis pour servir un excellent pot-au-feu d’émotions, une quiche de bons sentiments dont on reprend volontiers une part.

Un passé idéalisé

Si les spots publicitaires de Noël suscitent une telle adhésion chez des consommateurs qui ne sont pourtant pas dupes quant aux objectifs commerciaux qu’ils servent, c’est parce qu’ils provoquent une sensation douce-amère, un pincement au cœur, comme le décrivent Sasha Séjaï, Catherine Allix-Desfautaux et Olivier Badot, trois chercheurs français en marketing. «Si elle (la fête de Noël) plaît autant aux consommateurs, c’est qu’elle active chez nous une émotion particulièrement agréable que, de surcroît, les marques savent parfaitement exploiter: la nostalgie. Une émotion antinomique, à la fois agréable et douloureuse, qui invoque un passé idéalisé, presque parfait, qui tend, parfois, à ternir le présent.»

Odeurs, chansons, plats de saison, décorations, figurines traditionnelles (cette année, c’est Casse-Noisette qui est dans toutes les vitrines), tous ces catalyseurs d’émotions rassurants font appel à la mémoire autobiographique des consommateurs pour réactiver des souvenirs de l’enfance . «Les marques savent l’exploiter dans leurs boutiques en multipliant les stimulations olfactives et gustatives (chocolat chaud, biscuits de Noël, sapin), même quand elles ne vendent pas ces produits, créant ainsi une atmosphère familiale et nostalgique», illustrent les chercheurs. Un procédé qui fonctionne aussi avec les gammes de Noël, ces produits au packaging travaillé que le consommateurs s’attend à retrouver en cette période de l’année. «Ces marques ont réussi à introduire de véritables repères temporels transformant ce qui appartenait autrefois aux traditions familiales en rituels partagés avec la marque.»

Noël rampant

Pourtant, selon l’anthropologue Martyn Perrot, Noël n’est devenu une fête de famille que récemment, en Angleterre, au milieu du 19e siècle. «La bourgeoisie de l’époque victorienne, alors en pleine ascension, s’est approprié cette fête et l’a transformée en grand rituel annuel de la famille, où l’enfant a été projeté au premier rang», décrit l’autrice de Ethnologie de Noël, une fête paradoxale (éd. Grasset, 2000) dans des entretiens accordés au Monde et au Temps. Toutes les bourgeoisies européennes ont été fascinées par cette illustration parfaite et concrète de la fameuse privacy anglaise, cette scène de choix de la famille bourgeoise très unie

A la fin du 19e siècle, les grands magasins (principalement de Paris, Londres et New York) ont compris que cette tradition était également une aubaine commerciale et ont inventé les vitrines de Noël. «Le Bon Marché à Paris ou Harrod’s à Londres ont créé l’offre et le besoin de cadeaux à ce moment précis de l’année. Assez vite, le Père Noël a fait son entrée dans ces magasins pour écouter les souhaits des enfants. Jusqu’alors, nombre de familles offraient une orange, symbole de lumière et d’opulence». C’est aussi au cours de cette période, en 1931, qu’est apparu le bedonnant Père Noël de Coca Cola. «Les années 1950 ensuite, ont amené l’industrialisation du jouet et la plupart des enfants ont commencé à recevoir des jeux. C’est au même moment que les cadeaux entre adultes ont fait leur apparition.»

Pour vendre plus, il faut vendre longtemps. C’est la raison pour laquelle les articles dorés et pailletés font leur apparition de plus en plus tôt, parfois même deux mois avant le réveillon, devançant Halloween et le Black Friday, tandis que les films de Noël sont programmés dès la mi-octobre. Une extension temporelle destinée à alimenter la surconsommation qui trouve son origine aux Etats-Unis et qui porte le nom de «Christmas creep» (Noël rampant). Une pratique qui irrite la plupart des acheteurs mais qui s’avère finalement payante, surtout pour les articles les moins onéreux tels que les petits chocolats. A force d’avoir toutes ces belles et bonnes choses sous le nez, le consommateur finit souvent par se laisser tenter.

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