Le documentariste Vincent Jarousseau tire les enseignements de dix ans d’enquête auprès des électeurs du Rassemblement national: une soif de revanche.
Il n’est quasiment pas question de Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national décédé le 7 janvier, dans l’enquête approfondie que consacre le photographe et documentariste Vincent Jarousseau aux électeurs du Rassemblement national, Dans les âmes et les urnes. Les rares «Marine, c’est pas comme son père» ou «avec Marine, c’est différent», prononcés par quelques interlocuteurs pour signifier principalement le renoncement du parti aux propos anti-immigrés désinhibés des dirigeants de l’ancienne génération, témoignent seulement de l’effort de dédiabolisation effectué par la fille Le Pen. La stigmatisation de «l’étranger profiteur» reste un des moteurs du vote pour le Rassemblement national.
L’extrême droite en France
Entre les élections municipales et européennes de 2014 (remportées par le RN avec 24,86% des voix) et les élections européennes (gagnées par le RN avec 31,37% des suffrages) et législatives de 2024, Vincent Jarousseau a suivi les électeurs d’extrême droite à Hénin-Beaumont dans le nord de la France, à Beaucaire dans le sud et à Hayange dans le nord-est, trois villes dirigées tout au long de cette période par des maires Rassemblement national. Les fractures qui contribuent à doper le vote d’extrême droite affleurent sans retenue des échanges que l’auteur développe avec les habitants: la fracture entre les personnes qui travaillent au Grand-Duché de Luxembourg et celles qui galèrent pour trouver un emploi dans la région d’Hayange; celle entre la culture du travail manuel et de la terre et ce que les électeurs du RN perçoivent comme la culture de l’assistanat des habitants des banlieues; la fracture aussi entre «ceux qui ne sont rien», selon la formule du président Emmanuel Macron, et cette classe politique qui s’est désintéressée d’eux.
«Le vote RN traduit une transformation progressive et profonde des rapports entre les habitants et la politique.»
«Le vote en faveur du Rassemblement national traduit une transformation progressive et profonde des rapports entre les habitants et la politique, marquée par une désillusion, une colère latente, mais aussi une quête de renouveau et d’humanisation de nos rapports sociaux, analyse Vincent Jarousseau. Comprendre ces électeurs, c’est aussi comprendre les failles d’un système économique qui reconnaît et rémunère si mal les travailleurs essentiels.» Après la crise du Covid, leur sort devait pourtant être transformé. Parole d’Emmanuel Macron.