La peur de découvrir certaines informations ou vérités, souvent désagréables, pousse de nombreuses personnes à éviter des examens médicaux, des courriers ou des discussions cruciales. Mais comment faire face au syndrome du «FOFO»?
Le FOMO («Fear of missing out»), cette «peur de manquer quelque chose» (comme une information ou un événement important) est entré petit à petit dans le langage courant. Mais voici désormais que débarque le FOFO («Fear of finding out»)! Car sans le savoir, vous êtes peut-être concerné par ce syndrome qui se cache derrière cet acronyme, qui caractérise la «peur de découvrir». Généralement, cette crainte concerne une mauvaise nouvelle, qui va être évitée par tous les moyens. Comme l’explique Time Magazine, il ne s’agit pas ici d’un diagnostic clinique, mais plutôt d’une expression de plus en plus utilisée, notamment quand il s’agit d’évoquer les personnes refusant de passer des examens médicaux, par peur de ce qu’elles pourraient apprendre à l’issue de ceux-ci.
Son utilisation s’est depuis élargie «pour englober l’évitement financier, l’anxiété relationnelle, voire le changement climatique. Le terme désigne aujourd’hui une tendance humaine générale à fuir les vérités qui dérangent», précise pour 20 Minutes Noël Wolf, experte culturelle et linguistique chez Babbel. L’application d’apprentissage des langues a récemment classé le terme FOFO parmi ceux qui ont le plus marqué 2025, expliquant que «cette tendance à fuir les vérités inconfortables reflète l’évolution d’une société où l’anxiété face à l’incertitude prend désormais le dessus sur la peur de manquer».
«Un évitement lié à l’anxiété d’anticipation»
Pour résumer, celui qui craint d’ouvrir certains mails, de consulter son compte bancaire ou ses factures, ou encore d’avoir une discussion franche sur l’avenir de son couple, et qui vous fait tout pour reporter voire éviter ce genre de situation pouvant être désagréable afin de ne pas avoir à l’affronter, souffre probablement du syndrome du «FOFO». «On peut retrouver ce phénomène chez les personnes anxieuses, celles qui ont un TDAH ou une tendance à la procrastination notamment. Souvent, les anxieux sont intolérants à l’incertitude et préfèrent savoir, mais sur certaines situations, ils préfèrent tout mettre sous le tapis ou fermer les yeux», précise Delphine Py, psychologue spécialisée en thérapies cognitives et comportementales, pour qui le FOFO peut être décrit comme «un évitement lié à l’anxiété d’anticipation ou à un biais de catastrophisme, où l’on imagine le pire et préfère se bercer d’illusions».
«La peur de découvrir une information potentiellement négative ne relève ni de la paresse intellectuelle ni d’un refus irrationnel de la réalité. Elle correspond à une dynamique psychologique précise: l’anticipation émotionnelle associée au fait de savoir est perçue comme plus menaçante que l’ignorance elle-même, renchérit le psychologue Cyril Tarquinio, professeur de psychologie de la santé et de psychologie clinique. Autrement dit, ce n’est pas l’information qui est évitée, mais l’effondrement psychique qu’elle pourrait provoquer, comme la perte d’espoir, la remise en cause de l’identité, l’obligation d’agir, la confrontation à l’irréversibilité.»
FOFO ou iatrophobie?
«Les recherches montrent que plus l’information est perçue comme définitive, évaluative ou menaçante, plus la probabilité d’évitement augmente», ajoute le psychologue. Cela explique pourquoi le FOFO se vérifie notamment dans des cas liés à la santé, avec l’évitement d’examens médicaux par exemple. Il ne faut toutefois pas le confondre avec l’iatrophobie: cette peur des médecins ou des actes médicaux –reconnue cliniquement– est plutôt considérée comme une source possible du FOFO, au même titre que l’anxiété, mal qui ronge 13% des Belges selon une enquête de Sciensano, ou la peur de l’échec. «Je reçois de nombreuses personnes absolument terrorisées à l’idée d’aller faire des examens médicaux. Ce problème a pratiquement toujours la même origine: la peur de la mort, explique la psychanalyste Valérie Sengler à ce sujet. Quand c’est la santé qui est en jeu, l’angoisse devient viscérale et cette idée de mort est présente à l’extrême. Ici, c’est un système de défense mis en place. On préfère faire l’autruche et ne pas regarder, plutôt que d’aller se confronter à quelque chose qui risque de nous faire mourir.»
Time Magazine cite ainsi une étude révélant que sur 2.000 Américains interrogés, 3 personnes sur 5 ont révélé avoir évité des examens de santé recommandés, citant la peur de mauvaises nouvelles ou l’embarras comme facteurs ayant motivé leur décision. «La société est hyper anxiogène à ce sujet: on nous incite constamment à nous faire dépister», glisse Valérie Sengler. L’influence de la société sur ce type de comportement est en partie partagée par Delphine Py: «Aujourd’hui, nous sommes bombardés d’informations, beaucoup plus que nos parents ou grands-parents. Le cerveau n’est pas fait pour gérer autant d’informations simultanément, ce qui crée surcharge et charge mentale. Notre rythme de vie rapide, entre travail et obligations, favorise également l’évitement pour ne pas se rajouter de charge mentale. Le FOFO n’est pas vraiment une anxiété générationnelle, c’est un phénomène assez universel, qui n’est pas nouveau et sur lequel on met un mot dessus.»
De nombreux risques
Dans un certain sens, le FOFO serait donc «normal» et humain. Mais «faire l’autruche» face à des situations pouvant s’avérer difficiles comporte de nombreux risques. «Eviter de savoir produit presque toujours un soulagement immédiat: l’angoisse anticipatoire retombe, la menace est tenue à distance, l’équilibre psychique semble préservé. Mais ce bénéfice est trompeur. A moyen et long terme, l’évitement informationnel installe un état de tension chronique, souvent plus délétère que l’information redoutée elle-même», analyse Cyril Tarquinio, pour qui le FOFO peut devenir «un facteur silencieux de vulnérabilité psychique et sociale».
«L’évitement informationnel installe un état de tension chronique»
Cyril Tarquinio, psychologue
«Sur le plan de la santé, les conséquences peuvent être très concrètes. De nombreuses études montrent que l’évitement d’informations médicales est associé à des retards de diagnostic, à une moindre adhésion aux soins et, parfois, à une aggravation objective des pathologies. Dans la sphère professionnelle, administrative ou relationnelle, éviter de savoir conduit souvent à différer les décisions, à laisser d’autres décider à sa place, à subir plutôt qu’à choisir. Progressivement, l’individu peut perdre confiance dans sa capacité à faire face, renforçant ainsi le cercle vicieux de l’évitement», ajoute-t-il.
En prendre conscience pour l’affronter
Face aux risques encourus, quelles sont les solutions pour sortir du FOFO? «La première étape est d’en prendre conscience et de clarifier ce qui nous fait vraiment peur, conseille Delphine Py. On peut se poser la question: « Si j’ouvre cette lettre ou ce mail, qu’est-ce qui me fait peur ? » Mettre des mots sur la peur et l’émotion est essentiel. Ensuite, on peut choisir de s’exposer progressivement, en découpant la tâche en micro-tâches. Par exemple, pour un mail, lire juste l’objet et l’expéditeur, puis décider si on le traite immédiatement. Cela aide à différencier l’urgent, l’important et le moins important.»
Pour Cyril Tarquinio, il ne faut toutefois pas précipiter ni forcer les choses: «Aider à dépasser la peur de savoir ne consiste ni à contraindre les individus à affronter une information redoutée, ni à psychologiser excessivement leur évitement. Cela suppose plutôt de transformer les conditions dans lesquelles l’information est produite, transmise et reçue. Offrir des marges de choix sur le moment, le canal, le niveau de détail, redonne à l’individu le sentiment d’être l’auteur de ses propres actions sans nier la réalité des faits». Il ne faut pas non plus hésiter à consulter un professionnel de santé, afin de se faire accompagner du mieux possible face à ce syndrome dont les conséquences peuvent se révéler dangereuses dans certains cas.




