vendredi, décembre 27

Paul Magnette, pourtant affaibli, pilote un processus de refondation du Parti socialiste qui, en deux ans, doit refonder le PS et consolider sa présidence. Voici comment.

Le 9 décembre, six mois jour pour jour après la défaite aux élections régionales, législatives et européennes, devant le bureau élargi du Parti socialiste, Paul Magnette a sauvé sa présidence. La séance, bien sûr, fut longue, une quinzaine d’intervenants, et bien plus de deux heures de discussions. Après le bureau, Paul Magnette a présenté à la presse le processus de refondation du PS qu’il est censé piloter. Celui-ci sera, dit Paul Magnette dans toutes ses interviews, « sans tabou », c’est-à-dire que personne ne sait précisément de quoi il s’agira, sauf lui. Les mots creux s’alignent dans des formules vides, comme dans ce communiqué de presse qu’aurait pu rédiger une intelligence artificielle configurée sur les meilleurs mails de votre direction des ressources humaines (ceux que vous n’ouvrez même pas).  « Ce processus ambitieux incarne une volonté forte : celle d’être un acteur de changement, sans tabous, prêt à proposer des solutions concrètes pour construire un avenir meilleur » y lit-on par exemple, et n’y cherchez pas un sens ou un contenu. Il n’y en a aucun et c’est délibéré.

Car, ce 9 décembre, c’est surtout le calendrier d’exécution de ce vaporeux processus de refondation du PS qui a été établi et validé, et c’est pour Paul Magnette la seule chose qui compte.

Une « phase préliminaire » a été inaugurée ce 9 décembre, consistant en un « diagnostic interne approfondi », diagnostic que posera Paul Magnette. Dès le printemps prochain, les jalons précis de la refondation seront posés (il aura une rencontre avec les parlementaires les 7-8 février, avec les élus locaux le 15 février, et avec les militants dans leurs fédérations via « une enquête coordonnée », et ce n’est qu’à ce moment que la refondation sera officiellement lancée, en septembre 2025. Il y aura des débats internes, évidemment, mais il y aura surtout des discussions avec la société civile, un « processus participatif permettant de capter les aspirations/attentes/préoccupations des citoyens à notre égard » que Paul Magnette devra mener et synthétiser.

Et puis, au printemps 2027, le PS sera refondé, peut-être même ne s’appellera-t-il plus comme ça, et le parti refondé pourra alors se préparer tout doucement aux élections de 2029. Comment ? Par une élection présidentielle, à laquelle Paul Magnette sera candidat, et qu’il compte évidemment gagner. On ne sait donc pas encore sur quel diagnostic précis se basera ce processus de rénovation sans tabou, personne ne sait précisément de quoi on va parler, on ne sait pas ce qu’on va en faire, tout ce qu’on sait c’est que c’est Paul Magnette qui va en parler et que c’est Paul Magnette qui va le faire. Sauf erreur funeste ou grave accident, le président, affaibli par les deux contre-performances électorales de l’année 2024, est encore bon pour deux ans de service jusqu’au printemps 2027 au moins. Au moins, parce que, si Paul Magnette n’est pas trop nul pendant ces deux années, son mandat présidentiel sera prolongé jusqu’aux élections de 2029.

Paul Magnette a donc sauvé sa présidence, et le bureau élargi du 9 décembre l’a confirmé, mais sans le dire.  

Les débats, selon chacun de ceux qui ont pris la parole, furent même intéressants -personne n’allait dire le contraire en parlant de sa propre intervention, ce n’est pas parce qu’on perd des élections qu’on perd toute estime de soi. Les longues expressions des uns et des autres ont surtout appuyé le clivage interne, classique désormais, entre ceux qui considèrent que le PS a perdu parce qu’il était trop à gauche, et ceux qui estiment que le PS aurait encore plus perdu s’il s’était trop recentré. D’un côté, la couche de municipalistes, surtout wallons qui s’était durement frottée à Paul Magnette, en 2017, lors du débat sur le décumul. De l’autre, les socialistes plus jeunes, plus urbains, plus bigarrés et plus féminins qui avaient, à cette époque, pris la foulée du Carolo quand il avait pris ce prétexte du décumul pour miner le dernier mandat d’Elio Di Rupo.

Avec quelques glissements tout de même, puisque le bourgmestre de Mons et président de la Fédération de Mons-Borinage Nicolas Martin qui a (vainement) souhaité cumuler son mayorat avec une députation wallonne, est celui qui a le plus vite, dès le 10 juin, plaidé pour un recentrage. Le Montois était pourtant, en 2017, un allié résolu de Paul Magnette et un fervent décumuleur. Le président de la Fédération bruxelloise, Ahmed Laaouej, est toujours hostile au décumul intégral, sur lequel il a d’ailleurs tenté de revenir, au Parlement bruxellois, mais il incarne plutôt ce PS soucieux de rendre, avant tout, des mandales, du gauche du coup, au PTB. Ces deux-là, qui ont décidé d’associer leur parti au PTB dans les communes de leur compétence, sont avec la liégeoise Christie Morreale, la plus grande menace pour Paul Magnette.

Ils l’étaient, plutôt. Jusqu’à ce que celui-ci parvienne à leur faire valider le calendrier de ce processus de refondation. Ce fut lors d’un G8, vous savez, cette instance non statutaire, si sociale-féministe qu’elle ne compte qu’une femme (Christie Morreale), le lundi 25 novembre. Le président avait fait annuler le bureau programmé ce jour-là.

Paul Magnette a ensuite exposé son timing salvateur aux chefs de groupes parlementaires, avant de s’adresser au bureau élargi avec la certitude que, ces étapes franchies, la discussion du 9 décembre ne serait qu’une formalité.

Il fallait tout de même la préparer, et offrir une base de discussion aux membres du bureau élargi. La présentation, assez longue, que fit ce jour-là Paul Magnette, contenait avant tout des éléments de constat. La moitié des trente slides de sa powerpoint résumait en effet les contraintes auxquelles était durement confronté le PS, contraintes qui rendaient la refondation nécessaire.

Les membres du bureau n’y auront rien appris, mais leur président-politologue leur aura rappelé que le PS a perdu des électeurs en faveur des Engagés, du MR et dans une moindre mesure, du PTB, le 9 juin. Par rapport à 2019, le PS a conservé 66% de son électorat, ce qui n’est pas si mauvais (le MR en a gardé 69%, Les Engagés, 71%). Mais c’est surtout parce qu’il n’a pas pu attirer de nouveaux électeurs, dans l’électorat des autres partis, mais aussi chez les primo-votants, que le PS s’est ramassé. Conclusion qui ne mange pas de pain, dit la présentation de Paul Magnette: « On doit mieux aborder ce public cible, mieux calibrer et adapter nos messages, pour obtenir une plus grande adhésion ».

Or, a-t-il poursuivi, les socialistes subissent une série de « vents contraires« : le basculement à droite et la montée de l’extrême droite dans l’opinion, visible dans toute l’Europe, avec sa critique de « l’assistanat » et le « back-clash de la lutte contre les inégalités » n’ont pas favorisé les affaires socialistes. Et les « affaires » socialistes, elles, c’est indiqué dans la slide suivante ont contribué à « l’image abîmée du PS », parti « caricaturé par nos opposants ». Tout ceci, somme toute, résume « les difficultés à saisir les nouvelles attentes sociales » par les socialistes.

Une slide montrée par le président du Parti socialiste Paul Magnette, le 9 décembre, à la présentation du processus de refondation du PS. © DR

Et tout ceci justifie la quinzaine de slides de présentation de ce « processus de rénovation sans tabous ». « Nous devons oser l’auto-critique et s’ouvrir largement avec 3 OBJECTIFS CLAIRS« , proclame le powerpoint présidentiel:

« 1. Débattre et ajuster nos propositions

2. Mener une refonte de la gouvernance, de nos structures et de nos pratiques

3. Moderniser notre image, redéfinir notre identité et nos méthodes de communication »

Le premier point n’implique pas la refonte du programme, mais « de redéfinir notre projet ». L’enjeu là est de « faire évoluer les lignes sur des thèmes (à identifier pendant la phase de diagnostic) par l’organisation de débats entre nos élus, militants et la société civile de manière générale ». Trois de ces thématiques ont explicitement été mentionnées au bureau du 9 décembre. Le rapport au travail, d’abord. Le vivre-ensemble, ensuite. Et la sécurité, enfin. C’est spécialement sur les deux premiers que partisans (surtout wallons, mais pas que) d’un recentrage et socialistes plus à gauche (surtout les Bruxellois, rejoints notamment par Christie Morreale) ont, au cours du débat qui s’ensuivit, le plus divergé. Et c’est de l’absence de la sécurité sociale, des pensions ou des soins de santé, des thématiques auxquelles le PS est généralement identifié et que Les Engagés, souvent cités en exemple pourtant, ont souvent mobilisées, que certains se sont étonnés.

La refonte de la gouvernance et de l’organisation du parti devra aider à éviter de nouvelles « affaires » en révisant les « règles éthiques » qui s’imposent à tous les socialistes. Mais elle permettra aussi de modifier les désignations aux places éligibles. Certains membres du bureau, le 9 décembre, n’ont pas manqué de rappeler que si Maxime Prévot a pu porter efficacement son message de renouvellement électoral, c’est parce qu’il a pu recruter une moitié de nouvelles têtes de listes, issues de la société civile.

Les rapports à entretenir avec cette dernière sont un point d’importance de la modernisation de l’image du futur PS, qui ne s’appellera probablement plus comme ça. Car sous l’anodin souhait de « renouveler le dialogue avec nos compagnons de route » se posera franchement la question de l’Action commune. Le lien traditionnel avec les organisations du pilier est en effet parfois ressenti comme une chaîne, au Boulevard de l’Empereur, dont on voudrait se libérer. Les alliés historiques (la FGTB et Solidaris en particulier) autant que les interlocuteurs habituels (le CPEONS pour l’enseignement ou le Ciré pour les migrations par exemple) devraient bientôt entrer dans une relation non exclusive avec leur vieux partenaire politique.

Des experts, évidemment, encadreront ce long processus par lequel Paul Magnette veut sauver son parti, donc sa carrière. Gosselin & De Walcque, l’agence de communication fondée par l’ancienne dircom socialiste des belles années Ermeline Gosselin, associée à l’ancien porte-parole d’Elio Di Rupo au 16, Guillaume de Walcque, devra assurer la communication de ces deux années de renouvellement (le terme de refondation vient peut-être même déjà d’eux, après tout c’est possible).

Gosselin & De Walcque l’avait fait, pas sans succès, pour la campagne 2024 des Engagés.

Pour le diagnostic, Paul Magnette s’appuie, pour le moment, sur des données récoltées menées par Cluster 17, la société française de sondages d’opinions qui avait, dit-il, prédit les difficultés du 9 juin, et il a missionné le Policy Lab de l’ULB ainsi qu’un centre d’études de l’ULiège pour d’autres tâches plus ponctuelles.

Les phases ultérieures du processus, celles qui devront lui donner davantage d’épaisseur, seront guidées par d’autres acteurs de la refondation politique: la direction socialiste prospecte encore à cet égard.

Car même lorsque c’est un vieux parti socialiste qu’il faut refonder, il faut passer par le marché désormais.

Les étapes que Paul Magnette souhaite emprunter pour refonder le Parti socialiste. © DR
Partager.
Exit mobile version