A Hong Kong, ceux qui contestent la mainmise du pouvoir chinois en sont réduits à mener une résistance passive ou sont contraints à l’exil.
Triste, désemparée et résignée. Lisa (1), qui est née et a grandi à Hong Kong, ne reconnaît plus sa ville qui, en quelques années, a perdu les libertés dont ce territoire semi-autonome jouissait par rapport à la Chine continentale.
«Peut-on toujours dire qu’on est à Hong Kong?», s’interroge-t-elle dans un mélange d’ironie et d’amertume. Et de marquer une pause, avant de reprendre: «Il est temps pour moi de partir.» Elle était aux premières loges des impressionnantes manifestations de 2019 qui ont secoué l’ex-colonie britannique, se joignant à d’autres millions de Hongkongais, pour s’opposer avec ferveur à un projet de loi d’extradition vers la Chine continentale.
La loi de sécurité nationale
Mais après l’espoir des foules, la répression du peuple. Témoin de violences policières, Lisa a regardé avec effroi les images de cette même police hongkongaise peu réagir lorsque des gangs ont sauvagement tabassé des manifestants prodémocratie.
Une fois que vous êtes arrêté au nom de la sécurité nationale, vous perdez vos libertés individuelles.
L’année suivante, ayant mal digéré qu’on lui tienne tête, le régime chinois a imposé à Hong Kong une loi de sécurité nationale qui a décimé les partis politiques d’opposition, mis à genoux la société civile et bâillonné les derniers médias qui osaient adopter un ton peu conciliant envers les autorités locales pro-Pékin et du PCC.
Opposants emprisonnés
Lisa, diplômée de la prestigieuse université de Hong Kong, où «l’esprit critique était de mise», insiste-t-elle, a alors vu les principales figures militantes tomber comme des mouches. Soit incarcérées dans les geôles hongkongaises, comme le jeune Joshua Wong et le magnat de la presse libre de 76 ans Jimmy Lai, soit forcées à l’exil, comme l’ex-député Nathan Law, qui vit à Londres.
Quelques camarades de fac de Lisa ont fait un séjour derrière les barreaux. A sa manière, elle a continué à prendre part à des actions militantes, en envoyant des lettres de soutien aux prisonniers politiques, jusqu’à ce que cela devienne trop dangereux pour elle.
Ils quittent Hong Kong
Dans son entourage, ce sont d’abord des amis d’amis qui ont commencé à quitter Hong Kong. Puis, peu à peu, des amis. Elle y songe depuis que des proches ont décampé à Taïwan, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie, terres d’accueil des Hongkongais.
En août 2023, les départs de résidents à Hong Kong ont dépassé les arrivées de près de 300 000 personnes sur une année, selon l’agence Bloomberg. Lisa, elle, rêve d’Europe pour ne plus devoir s’autocensurer pour ne pas porter atteinte à la sécurité nationale, passible de prison à vie: «Je me renseigne sur des programmes postuniversitaires.»
La « déesse de la démocratie »
Les récentes révélations de la militante Agnes Chow ne l’ont guère rassurée. «Elle a bien fait de fuir, ils auraient pu simuler son suicide», soutient Lisa, glissant au passage que le taux de suicide des jeunes Hongkongais a quasi doublé en une décennie.
Début décembre, la célèbre Hongkongaise de 27 ans, surnommée «déesse de la démocratie», a annoncé sur les réseaux sociaux son exil au Canada, invoquant sa «sécurité personnelle» et sa «santé physique et mentale».
Arrêtée en 2020 en même temps que Jimmy Lai puis libérée sous caution après sept mois de détention traumatisante, Agnes Chow a déclaré que ses «droits fondamentaux» avaient été «bafoués». Pour récupérer son passeport confisqué par les autorités hongkongaises, elle a dû écrire des lettres de repentance sur son passé militant et visiter, escortée par la police, une exposition à Shenzhen, en Chine continentale, à la gloire du PCC.
Humilier les dissidents
Au même moment, et c’est une première à Hong Kong, un programme télé a diffusé les «confessions» d’un militant de 22 ans, actuellement en prison, pour avoir pris part à des violences lors du soulèvement populaire de 2019.
Une méthode qui ressemble cruellement aux aveux forcés, propres au régime chinois pour humilier ses dissidents. Eric Yan-ho Lai, chercheur à l’université de Georgetown, à Washington, rappelle que Hong Kong, région administrative spéciale depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, dispose de sa propre Constitution, la Basic Law, censée lui garantir un système judiciaire différent de celui en vigueur sur le continent chinois.
«Or, des pratiques mises en œuvre en Chine continentale semblent désormais être transposées à Hong Kong», observe l’expert.
La pression des autorités Hongkongaises
Fin décembre, Tony Chung, l’un des plus jeunes à avoir été incarcéré en vertu de la loi de sécurité nationale, a également pu quitter Hong Kong. Depuis le Japon, où il prétextait des vacances, il s’est envolé vers le Royaume-Uni.
Lui aussi, après avoir été libéré, a subi la pression des autorités policières, qui lui ont même proposé de devenir informateur. «Une fois que vous êtes arrêté au nom de la sécurité nationale, vous perdez vos libertés individuelles, estime Eric Yan-ho Lai. A moins de devenir patriote et de se plier à toutes les exigences de la police.»
Résister par l’abstention
Tony Chung, 22 ans, doit être ajouté à la liste des militants prodémocratie qui, en plus d’être recherchés par le gouvernement hongkongais, voient leurs familles harcelées par la police.
«Ce matin, la citoyenne américaine que je suis s’est réveillée en apprenant qu’un mandat d’arrêt et une prime d’un million de nouveaux dollars taïwanais [120 000 euros] avaient été placés sur sa tête», s’est étonnée, le 14 décembre, la militante Joey Siu sur X. Une récompense jugée «absurde» par Amnesty International.
Des livres « séditieux »
Mais dans un territoire où le fait de chanter des slogans de protestation et d’organiser une primaire peuvent être considérés comme un «crime», tout semble possible.
Récemment, rapporte Human Rights Watch, les autorités de Hong Kong ont ainsi poursuivi un homme ayant reçu des livres pour enfants: jugés «séditieux», ces bouquins racontaient l’histoire d’un troupeau de moutons résistant pacifiquement à une meute de loups tyranniques.
Hong Kong « sur le chemin de la prospérité »
La réalité est plus hostile: aux dernières élections locales du 10 décembre, aucun candidat prodémocratie n’a été autorisé à se présenter. Résultat, ce scrutin a connu le plus faible taux de participation jamais enregistré (27,54%), seule résistance possible.
Quelques jours plus tard, le leader chinois Xi Jinping a félicité le chef de l’exécutif hongkongais et ex-policier John Lee pour avoir «fermement défendu la sécurité nationale» et mis Hong Kong sur le chemin de la «prospérité».
(1) Nom d’emprunt pour des raisons de sécurité.