lundi, janvier 20

Une clientèle vieillissante et une image poussiéreuse ont forcé Lunch Garden à déposer le bilan, lundi matin. Concurrencée à la fois par des brasseries à l’expérience client plus agréable et par des fast-foods financièrement plus abordables, l’institution belge s’est révélée incapable de répondre aux attentes de la nouvelle génération.

Une véritable révolution. En 1966, l’apparition des «Restos GB», historiquement adossés aux magasins Carrefour, bouscule le paysage culinaire belge. Reposant sur un concept visionnaire, combinant rapidité et accessibilité, l’ancêtre du Lunch Garden séduit les familles nombreuses autant que les aînés isolés. Après soixante années (et des millions de boulettes-frites) au compteur, l’emblème de la restauration en libre-service se voit aujourd’hui forcée de mettre la clé sous le paillasson.

Réunie en conseil d’entreprise extraordinaire lundi, la direction a en effet confirmé les rumeurs de faillite ébruitées dans la presse ces derniers jours. Au total, 19 restaurants sur 62 fermeront définitivement leurs portes, alors que la gestion des établissements plus rentables a été confiée à un nouvel actionnaire, CIM Capital. Malgré cette reprise partielle, environ la motié du personnel est vouée à perdre son emploi, plongeant les organisations syndicales dans un profond désarroi. Si les instances dirigeantes évoquent «l’impact durable de la pandémie de Covid-19» et la «hausse des coûts opérationnels» pour justifier son dépôt de bilan, d’autres facteurs ont également compromis la pérennité de l’enseigne.

1. Une clientèle vieillissante

Lunch Garden, c’est avant tout un restaurant qui séduit les anciennes générations. «La moyenne d’âge de la clientèle avoisine les 50 ans (47 ans exactement)», rappelle Isabelle Schuiling, professeure de marketing à la Louvain School of Management (UCLouvain). Au fil des années, les amateurs de vol-au-vent se sont donc raréfiés, certains seniors préférant de surcroît éviter les déplacements depuis la crise sanitaire. «La direction a donc essayé de rajeunir son public cible, en se fixant comme objectif la fidélisation de 50.000 familles avec jeunes enfants», souligne la professeure. Des efforts qui ont porté leur fruits, avec un chiffre d’affaires en hausse en 2023, dépassant pour la première fois les rentrées de 2019. «Ces bons résultats restaient malgré tout insuffisants pour compenser les coûts élevés liés à l’hyperinflation, et n’ont pas permis à la chaîne d’atteindre ses objectifs de rentabilité», nuance Gino Van Ossel, expert du retail à la Vlerick Business School.

2. Un concept dépassé

Malgré sa bonne volonté, Lunch Garden n’a donc pas réussi à attirer suffisamment les nouvelles générations. En partie car l’enseigne a «trop tardé à se réinventer», estime Gino Van Ossel. «Les plats proposés, à savoir des classiques de la gastronomie belge, avaient un grand succès par le passé mais ne répondent plus aux envies des jeunes», tranche le professeur. Rares sont en effet les ados de 16 ans à se délecter de carbonnades flamandes. Au-delà de sa carte immuable, l’enseigne n’a pas non plus innové dans son design intérieur, ni actualisé son image de marque. Malgré un changement de logo, Lunch Garden n’a pas investi dans de grandes campagnes de communication sur les réseaux sociaux pour rendre son offre plus attractive aux yeux des jeunes, observe Isabelle Schuiling.

3. Un restaurant trop «fonctionnel»

Au-delà des jeunes, les attentes de l’ensemble de la population ont évolué depuis la crise sanitaire. Aujourd’hui, une sortie au restaurant, au-delà du prix et de la qualité des produits offerts, doit également répondre à des impératifs de plaisir. «Les gens sont toujours prêts à payer pour aller au resto, mais à condition que ce soit un moment spécial, une expérience totale, observe Gino Van Ossel. Or, le « Lunch » reste un endroit où la clientèle se rend uniquement pour des raisons fonctionnelles, estime Gino Van Ossel. On y va pour y manger rapidement, mais pas pour passer un moment inoubliable en famille ou entre amis.»

4. Le piège du «milieu de gamme»

Aujourd’hui, Lunch Garden peine donc à trouver sa place, coincé entre les brasseries haut de gamme, plus chères mais qui offrent une véritable expérience client, et les fast-foods plus abordables. Une tendance pas uniquement propre à l’Horeca, note Isabelle Schuiling. «Que ce soit dans le secteur du prêt-à-porter ou ailleurs, le milieu de gamme souffre énormément, alors que le low-cost a le vent en poupe et que les marques de luxe continuent à bien fonctionner.» D’autant qu’à 14 euros les chicons au gratin, l’enseigne peine à rivaliser avec les prix affichés par certaines chaînes de restauration rapide plus healthy que les Quick ou les Burger King. «Aujourd’hui, des concepts originaux comme Foodmaker ou Hawaiian Poké Bowl proposent de la nourriture saine et bon marché, le tout dans un cadre plus tendance que Lunch Garden», illustre Gino Van Ossel.

5. La concurrence des livraisons

Depuis la crise santiaire, les habitudes de consommation ont également évolué. Si le Belge a faim mais a «la flemme de cuisiner», il dégaine aujourd’hui son application de livraison et commande en deux clics une pizza ou un burger. Plus aucun intérêt à se déplacer jusqu’au «Lunch» le plus proche alors qu’il peut rester dans son canapé. «L’enseigne est aujourd’hui présente sur Deliveroo, mais si vous n’êtes pas clients de base, vous n’allez jamais vous laissez séduire par leur menu alors que vous pouvez opter pour un thaï de qualité au même prix», estime Gino Van Ossel. L’expert en retail pointe également l’avènement des plats préparés ou des «boîtes-repas» dans les supermarchés, qui constituent autant d’alternatives supplémentaires à une visite au Lunch Garden.

On va au Lunch Garden pour manger rapidement, mais pas pour passer un moment inoubliable en famille ou entre amis.»

Gino Van Ossel

Expert en retail

6. La galère de l’Horeca

Malgré les erreurs de stratégie et un positionnement à revoir, la dégringolade de Lunch Garden n’est pas non plus étrangère à la conjoncture économique peu favorable à la restauration. Comme l’ensemble de l’Horeca, Lunch Garden a sérieusement pâti de la flambée des prix de l’énergie et de l’inflation des matières premières, et peine à trouver du personnel compétent. «Ces difficultés inhérentes au secteur ne doivent pas être sous-estimées et rentrent inévitablement dans l’équation de la faillite», insiste Isabelle Schuiling.

Partager.
Exit mobile version