vendredi, octobre 18

La Cour des comptes souligne la baisse des recettes réalisées par l’Etat sur les comptes-titres des Belges, alors que leurs actifs augmentent. Un paradoxe qui s’expliquerait par des techniques fréquemment utilisées par le contribuable pour éluder l’application de la taxe. Une nouvelle disposition pourrait changer totalement la donne, à la fois pour les banques et leurs clients.

Après les 470 millions récoltés entre 2021 et 2022, la taxe sur les comptes-titres n’a rapporté que 362 millions aux caisses de l’Etat en 2023. Et ce alors que les actifs des Belges ont augmenté, souligne un récent rapport de la Cour des comptes. Depuis 2021, une taxe annuelle de 0,15% est due sur les comptes-titres (dont l’ouverture est obligatoire pour réaliser des investissements) qui dépassent le million d’euros.

«Ce rapport étonne car on ne constate pas une désaffection des Belges pour la Bourse, bien au contraire, note l’avocat fiscaliste Thierry Litannie (LawTax). La diminution des recettes laisse entendre que l’Etat ne perçoit pas tout à fait ce qu’il devrait.»

Comptes-titres: trois techniques fréquentes pour éviter la taxe

Le rapport de la Cour des comptes identifie deux sources de problèmes potentiels:

1. Un certain nombre de contribuables scindent leurs comptes-titres pour éviter de franchir le seuil du million d’euros, soumis à la taxe de 0,15%;

2. La conversion fréquente de titres dématérialisés en action nominatives, qui permet aussi d’échapper à la taxe.

Une troisième technique consiste à détenir un compte dont tous les titres ont été vendus ou transférés pour créer des valeurs nulles aux points de référence (calculés quatre fois par an), diminuant ainsi la valeur des instruments financiers imposables sur la période. L’idée étant faire baisser la moyenne sous la barre du million d’euros.

Ces différentes techniques permettent en principe d’éviter -en toute légalité- la taxe sur les comptes-titres, réagit Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law.

«Un exemple: le titulaire d’un compte-titres de 4,5 millions d’euros le scinde dans le but précis d’éviter que la valeur totale soit de plus d’un million d’euro (par la détention de cinq comptes-titres auprès de la même banque, d’une valeur de 900.000 euros). En pareille hypothèse, la banque, en sa qualité de redevable de la taxe, devrait invoquer la mesure anti-abus et prélever la taxe sur tous les comptes-titres, comme si la scission n’avait pas eu lieu.»

D’après l’expert en droit fiscal belge, ces mécanismes d’évasion fiscale peuvent prospérer pour plusieurs raisons: ils sont soit justifiés par le contribuable par des raisons non fiscales, soit favorisés par la quasi-absence de contrôles fiscaux. «L’administration est en train de contrôler les processus internes des plus grosses banques belges. Les plus petites vont suivre. Il est vraisemblable que les institutions financières scruteront à l’avenir encore davantage les intentions réelles derrière les demandes de scission de comptes ou de conversion de titres dématérialisés en titres nominatifs, afin de pouvoir déceler les abus

Comptes-titres: une volte-face

Si la recommandation de la Cour des comptes voit le jour, une présomption d’abus fiscal sera automatiquement appliquée en cas de conversion de titres dématérialisés en titres nominatifs ou de scission du compte-titres. La banque devra alors prélever la taxe. Seulement dans un second temps, le contribuable pourra demander la restitution de la taxe s’il parvient à faire la preuve de motivations non fiscales (un divorce, un décès).

«C’est une véritable volte-face, prévient Me Denis-Emmanuel Philippe. Car une présomption d’abus serait appliquée à la moindre scission ou conversion.»

La logique serait donc inversée. «Aujourd’hui, la taxe ne peut être prélevée que si l’abus est prouvé au moment de la scission ou de la conversion. Demain, si la nouvelle variante de la mesure anti-abus est acceptée, la taxe sera automatiquement prélevée par la banque. Ce sera ensuite au titulaire du compte-titres de demander la restitution de la taxe en mettant en avant des motivations non fiscales.»

«Les contribuables y réfléchiront à deux fois avant de réaliser des opérations à des seules fin fiscales», estime Me Denis-Emmanuel Philippe.

Beaucoup d’informations, peu d’outils et de personnel pour la traiter

Pour Thierry Litannie, on ne peut pas parler d’évasion fiscale à proprement parler dans la mesure où une disposition anti-abus était déjà présente dans le texte originel sur les comptes-titres. Celle-ci a été réduite à néant par un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a jugé la disposition contraire au principe de prévisibilité. «Avant, la disposition considérait déjà une scission du compte comme un abus, sauf en cas de bon motif, comme un compte-titres qui provient d’une succession partagée entre plusieurs personnes. Il revient surtout au législateur de repenser les modalités d’établissement de la taxe pour lutter contre les comportements abusifs.»

Pour le fiscaliste, le problème n’est pas tant le manque de contrôle interne des banques, mais plutôt la multiplication des comptes dans plusieurs banques différentes afin de contourner la taxe. «Il n’existe pas de fichiers partagés interbancaires sur les comptes-titres», rappelle-t-il.

Le fait que la Cour constitutionnelle identifie également les comptes-titres ouverts à l’étranger comme un manque de recettes est très surprenant, selon Thierry Litannie. «Le fisc belge détient en réalité une multitude d’informations sur les comptes-titres ouverts à l’étranger -presque plus que pour ceux ouverts en Belgique-, en raison des échanges automatiques d’informations entre Etats. L’administration fiscale a presque trop d’information, mais trop peu de personnel formé pour la traiter au cas par cas.»

Et les banques privées?

D’après Jean-Pierre Buyle (Monard Law), ancien président d’avocats.be, la Cour des comptes oublie dans son rapport qu’il ne s’agit pas d’une taxe sur une personne ou son patrimoine général, mais sur une chose, à savoir le compte-titres. «Rien n’interdit le contribuable de changer de type d’investissements, de le transférer, d’acheter de l’or ou un produit d’assurance-vie, d’ouvrir des comptes séparés ou de transformer un compte nominatif en compte au porteur pour sortir du champ d’application de la taxe», liste-t-il.

Le spécialiste du droit bancaire et financier rappelle que des contrôles ont eu lieu en 2024, à la suite desquels peu de reproches ont été formulés à l’égard des banques concernant l’implémentation de la taxe sur les comptes-titres. «Le rapport de la Cour des compte donne l’impression que le fisc n’aurait pas fait suffisamment de contrôles, or les grandes banques certifient le contraire

Jean-Pierre Buyle s’étonne que la Cour des comptes recommande uniquement des contrôles dans les grandes banques, «alors que la majorité des comptes-titres se trouvent dans les banques privées de gestion de patrimoine. Le fisc n’a surtout pas suffisamment d’outils fiables à sa disposition.»

Par ailleurs, la banque n’a aucun intérêt à contourner la loi ou être complice, car elle est elle-même débitrice de l’impôt redevable au fisc, appelé «taxe d’abonnement». «Particulièrement pour ce genre d’opération, l’institution bancaire est prudente car elle risque d’être poursuivie par l’autorité de contrôle, la Banque nationale ou la FSMA.»

Si l’Arizona veut revoir cette taxe et présenter de nouvelles dispositions anti-abus, elle devra légiférer, «mais surtout passer le test de non-discrimination de la Cour constitutionnelle. Cette dernière a déjà annulé une fois la disposition anti-abus en matière de taxe annuelle sur les comptes-titres: la tâche s’annonce donc ardue.»

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