Etre avocat fiscaliste et conseiller un ministre, est-ce compatible? La question n’est pas neuve et se pose aujourd’hui pour le ministre David Clarinval.
Les débats et crêpages de chignon interminables autour du projet de taxe sur les plus-values y sont, sans aucun doute, pour quelque chose. Certains cabinets se cherchent des poux. Plusieurs, en tout cas côté flamand, semblent être gênés par la présence d’un conseiller qui épaule le Vice-Premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Economie et de l’Agriculture David Clarinval (MR). Il s’agit de Matthieu Possoz, avocat fiscaliste au sein du réputé cabinet d’affaires international Linklaters. Au Parlement aussi, dans les rangs de l’opposition, on souffle qu’avoir comme conseiller ministériel un avocat fiscaliste est inédit et pourrait poser des soucis de conflit d’intérêt. En effet, ceux qui travaillent pour un ministre ont accès à une série d’informations qui pourraient s’avérer utiles par ailleurs, notamment si l’on est amené, par la suite, à défendre des contribuables contre l’Etat.
Les avocats, comme d’autres professions libérales, doivent bien sûr respecter des règles qui font partie de leur code de déontologie. «On doit de toute façon pouvoir prouver qu’il y a un conflit d’intérêt sur tel ou tel dossier, explique Marie Göransson, professeure de management public à l’ULB, spécialiste de la question. Mais, lorsqu’une personne travaillant dans un ministère vient du privé, a fortiori d’un grand cabinet d’avocats, on est toujours confronté à la même difficulté: il y a d’office suspicion de conflit d’intérêt. Même si les choses ont évolués, il subsiste en général une forme d’opacité sur les membres d’un cabinet ministériel. Qui sont-ils? Que font-ils dans le privé? De quels dossiers s’occupent-ils? A quels dossiers du ministère ont-ils accès? De quelles informations disposent-ils? Qu’en font-ils? Etc.»
Il est vrai que les règles de transparence ont évolué et Le Vif y a contribué par des d’enquêtes menées, depuis 2017, avec l’organisation Transparencia. Mais il reste apparemment du chemin à parcourir. Concernant le conseiller de David Clarinval, première remarque: sa qualité d’avocat fiscaliste n’est pas indiquée sous son nom dans l’organigramme du cabinet. Rien n’est précisé pour les autres conseillers non plus, mais on pourrait –pourquoi pas?– l’envisager pour tous les conseillers de tous les ministères. Les questions envoyées à Matthieu Possoz et au ministre Clarinval sont restées sans réponse. A quel titre l’avocat conseille le ministre? Combien de jours par semaine ou par mois? Quelles informations peut-il drainer au sein du cabinet et des négociations inter-cabinets? Quelles règles est-il susceptible de respecter pour éviter tout conflit d’intérêt?
Me Possoz n’a pas répondu. Le ministre, lui, l’a fait de manière lapidaire, via son porte-parole. Sa réaction: «Monsieur le ministre Clarinval a toujours veillé à disposer des meilleurs experts afin de le conseiller. Et il est indéniable que Monsieur Possoz est de ceux-là. [Son] engagement respecte toutes les dispositions légales et il est par ailleurs soumis à sa déontologie d’avocat et aux règles du barreau. Enfin, sa probité n’a pas à être démontrée. Les soupçons que vous tentez de faire peser sont malsains.»
Du côté des confrères avocats de Mathieu Possoz, certains considèrent qu’il est, en effet, sensible et rare de conseiller un ministre. Il est plus fréquent de faire appel à un cabinet d’avocats pour la rédaction d’un texte de loi précis. «Dans ces cas-là, il s’agit d’une mission claire et circonscrite, commente Marie Göransson. Il s’agit d’analyser, par exemple, l’impact fiscal d’un projet de loi. C’est un peu comme de la consultance.»
Une provocation
Cela dit, il y a consultance et consultance. En 2009, Bernard Clerfayt, alors secrétaire d’Etat du ministre des Finances Didier Reynders (MR), avait sollicité quatre éminents professeurs fiscalistes. Ceux-ci étaient chargés de faire le bilan de la Charte du contribuable, censée protéger des enquêtes trop intrusives du fisc, et émettre un avis sur les recommandations de la commission d’enquête parlementaire sur la grande fraude fiscale. Cela avait été perçu comme une provocation par certains parlementaires et au sein même de l’administration fiscale, car ces éminents professeurs étaient également de redoutables avocats dans les contentieux de fraude et d’évasion fiscale.
«J’ai préféré démissionner car je ne voulais pas fragiliser le travail du gouvernement»
Par ailleurs, dans le gouvernement Di Rupo, fin 2011, le secrétaire d’Etat à la fraude, John Crombez (SP.A, ex-Vooruit) avait demandé à Michel Maus, avocat et professeur de droit fiscal à la VUB, de rejoindre son cabinet pour le conseiller. «Ça n’a duré que trois semaines, se souvient le Pr Maus. Je n’y travaillais qu’un jour par semaine. Mais il y avait beaucoup de remarques négatives d’autres cabinets ministériels sur ma présence chez Crombez et sur la possibilité d’avoir accès à des documents et des informations que j’aurais pu utiliser par la suite dans des procédures contre l’Etat belge. Dans un tel contexte, j’ai préféré démissionner car je ne voulais pas fragiliser le travail du cabinet et du gouvernement. Il y avait d’autres avocats au sein de celui-ci, mais ils étaient spécialisés en fraude sociale. Ils n’ont pas été inquiétés. Je pense que le fait d’être fiscaliste est plus sensible.»
D’autres confrères de Me Possoz, qui jouit d’une bonne réputation dans le milieu des fiscalistes, ne voient aucun problème à conseiller un ministre. «Le projet sur les plus-values est très technique, explique l’un d’eux. Des banquiers sont aussi amenés à participer à sa rédaction, car ils vont devoir appliquer la future loi. Au niveau des avocats, rien n’empêche de travailler pour un ministre, mais nous avons des règles déontologiques strictes qui nous empêchent, par exemple, d’utiliser dans un dossier fiscal des informations qu’on aurait obtenues dans une fonction de conseiller ministériel. Et si c’était tout de même le cas, un confrère défendant la partie adverse dans un contentieux pourrait le dénoncer.» Un cadre –le bâtonnier et le conseil disciplinaire– est prévu pour cela.