jeudi, décembre 12

Près de 60% des Belges vivraient dans un logement sous-occupé. Un constat plus problématique encore dans les lotissements wallons, où le vieillissement de la population est bien plus rapide qu’ailleurs, rappelle une récente étude de l’Iweps.

C’est un lotissement qui ressemble à tant d’autres en Wallonie: 80 maisons quatre façades avec jardin, toutes construites dans les années 1980 et concentrées autour de deux rues formant presque une spirale. Une fois toutes les parcelles bâties, en 1992, ce quartier résidentiel de Grez-Doiceau, dans le Brabant wallon, accueillait principalement des ménages avec enfants (78% du total) et affichait un âge moyen par habitant de 23,8 ans. Aujourd’hui, un tout autre constat démographique s’impose: malgré un nombre de ménages presque identique (78 contre 79), le lotissement a perdu 36% de ses habitants en 31 ans. La moyenne d’âge a grimpé de 25,1 ans, pour atteindre 48,9 ans, soit un vieillissement sept fois plus rapide que la moyenne wallonne et cinq fois plus rapide que la moyenne communale. Les 65 ans et plus, marginaux en 1992 (1,4%), y représentent désormais plus d’un quart de la population (26,4%).

Tiré d’une analyse publiée ce 9 décembre par deux chercheurs de l’Iweps (l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique), cet exemple est révélateur d’une problématique que les démographes épinglent depuis plusieurs décennies déjà en dehors des villes: une inadéquation croissante entre les logements construits dans bon nombre de lotissements et l’évolution de la composition des ménages. En Wallonie comme en Flandre, la taille moyenne des ménages ne cesse de diminuer, comme le confirme Statbel, l’office belge de statistique (voir le graphique ci-dessous). Cette tendance, qui se poursuivra dans les années à venir, résulte de trois facteurs bien connus : le vieillissement de la population, la baisse de la natalité et l’éclatement des familles lié aux séparations.

Les fléaux de la sous-occupation des lotissements

De ce fait, un grand nombre de maisons construites entre les années 1960 et 1990 deviennent souvent inutilement spacieuses pour leurs occupants actuels (un couple de retraités ou une personne veuve, par exemple), voire futurs. Sur la base d’une définition européenne examinant le nombre de pièces par habitant, 59,5% de la population belge vivrait dans un logement sous-occupé en 2023, soulignent les chiffres d’Eurostat. Une proportion inférieure dans les grandes villes belges (42,6% tout de même), mais plus importante dans les villages et périphéries (65,6%) et dans les zones rurales (70,7%). «Les zones sous tension seront davantage confrontées à un problème de suroccupation, expose Jean-Marie Halleux, professeur au sein du département de géographie de l’ULiège. Dans des grandes villes telles que Bruxelles, cela compense la sous-occupation que l’on rencontre principalement dans les quartiers plus aisés.»

«Dans les lotissements, le profil-socioéconomique très similaire des ménages a conduit à un phénomène de vieillissement en bloc.»

Julien Charlier

Chargé de recherches à l’Iweps

La sous-occupation est doublement problématique: non seulement parce qu’elle contribue à tirer les prix de l’immobilier vers le haut, au détriment du droit à un logement décent pour tous, mais aussi parce qu’elle accentue le phénomène de périurbanisation, à savoir l’éloignement et l’élargissement des centres-villes. Celui-ci se traduit par une artificialisation croissante des sols dédiés à l’agriculture ou à la biodiversité, par une dépendance souvent accrue à la voiture et par une hausse des coûts dédiés aux services et aux équipements collectifs en tout genre. D’où la nécessité de renouer avec un habitat moins extensif et moins dispersé, comme le souligne le Schéma de développement du territoire (SDT) de la Wallonie.

Or, les lotissements conçus jusqu’au milieu des années 2000 figurent bien souvent aux antipodes de ces préceptes. «Leur apparition débute dès les années 1960, avec le développement progressif du réseau autoroutier, retrace Julien Charlier, chargé de recherches à l’Iweps et coauteur de la récente analyse. Construits sur un temps très court et composés de maisons qui se ressemblent, ils ont attiré des ménages partageant la même aspiration à quitter la ville pour s’installer dans un cadre de vie plus vert mais proche des grands bassins d’emploi. Le profil socioéconomique de ces ménages, lui aussi très similaire, a conduit à un phénomène de vieillissement en bloc dans les lotissements concernés.»

Les nouveaux lotissements ont changé, mais…

Entretemps, les standards ont bel et bien évolué. La plupart des lotissements les plus récents diversifient le type de biens mis en vente (maisons deux, trois et quatre façades, appartements) et misent davantage sur la mixité générationnelle, voire socio-économique. La taille moyenne des parcelles y est en outre inférieure à celle des configurations plus anciennes. C’est d’ailleurs ce que corrobore l’analyse de l’Iweps, qui s’est également penchée sur un autre lotissement de Grez-Doiceau, mais construit en 2017. Les parcelles dédiées aux maisons y font 350 m² environ, contre 640 m² dans le lotissement voisin de 1984. Sans compter les appartements, 52% des chefs de ménage y ont moins de 40 ans (71% dans le plus ancien). Ce meilleur équilibre «permettra une évolution plus harmonieuse de la pyramide des âges du lotissement au cours des prochaines décennies, notent les chercheurs. Toutefois, le phénomène ne sera qu’atténué, le déséquilibre démographique étant inhérent à ce type d’offre de logements soudaine et localisée, attirant toujours en majorité des familles avec enfants désireuses d’acquérir une maison.»

De manière générale, ces nouvelles configurations ne suffisent pas à réduire la superficie moyenne par habitant en Wallonie. Au contraire: à l’exception de quelques communes au foncier plus onéreux, celle-ci continue de croître (+4,3% entre 2013 et 2023). «En 2023, en Wallonie, chaque habitant consommait en moyenne 305,3 m² au sol pour son habitat (logement, jardin, cour, garage, etc), chiffre en augmentation chaque année depuis 1985», souligne une autre note de l’Iweps. De son côté, le Centre d’études en habitat durable de Wallonie (CEHD) a constaté que 66% des couples sans enfants et 47% des ménages isolés vivaient dans un logement de cinq pièces ou plus.

Pour freiner l’artificialisation néfaste des sols, la Wallonie et la Flandre doivent à la fois poursuivre la création de logements neufs dans des cadres de vie existants et idéalement situés, mais aussi mieux valoriser le bâti existant. Selon une recherche menée pour la Conférence permanente du développement territorial, le potentiel de densification résidentielle de la Wallonie s’élèverait à environ 483.000 nouveaux logements, dont 105.000 grâce à la division de maisons. Bien entendu, il ne s’agit pas de morceler l’ensemble du parc de villas quatre façades, d’autant que les subdivisions ne sont pas exemptes de dérives. «Un grand nombre de gisements fonciers doivent pouvoir être mobilisés, mais à leur juste niveau et au juste endroit», résume l’Iweps, en s’appuyant sur d’autres études menées sur le sujet. Cela requiert de «faire sauter un nombre non négligeable de freins, qu’ils soient réglementaires, culturels ou financiers, et de mettre à disposition des pouvoirs locaux des outils et des moyens pour activer ces gisements fonciers.»

Sensibiliser

Selon Jean-Marie Halleux, la sensibilisation des propriétaires est une première condition à l’utilisation plus adéquate du bâti, dans les limites de leurs aspirations personnelles. Il ne s’agit évidemment pas de chasser les ménages vieillissants de leur propre habitation. Au fil du temps, bon nombre d’entre eux se sont en outre attachés au quartier, aux voisins, au cadre immédiat. Il semble cependant possible d’améliorer la mobilité résidentielle. En 2022, le professeur de l’ULiège avait supervisé un éloquent mémoire sur le sujet. L’auteure, Sophie La Mendola, avait demandé à 2.200 ménages de quartiers quatre façades, dans la périphérie liégeoise, s’ils souhaitaient impérativement rester dans leur configuration de logement actuelle. Alors qu’au départ, parmi les 458 réponses obtenues, 79% des ménages ne souhaitaient rien changer à leur situation, ce taux chutait à 43% après avoir pris connaissance de solutions alternatives: logement kangourou (partagé avec un autre ménage de façon indépendante), cohabitation intergénérationnelle (mêlant parties communes et privées), habitat groupé, concept Bimby (Build in my backyard, c’est-à-dire la construction d’une petite habitation supplémentaire dans les parcelles trop grandes)…

Sachant que seuls 4% des répondants disaient «bien» connaître ces options et que 18% en avaient «entendu parler», le potentiel de sensibilisation de la population paraît conséquent en Wallonie. «La première chose à faire, c’est donc d’informer suffisamment tôt les personnes, par exemple dès la cinquantaine, résume Jean-Marie Halleux. Toute contribution, aussi petite soit-elle, est déjà bonne à prendre.» Cette réflexion n’imposerait pas nécessairement aux pouvoirs publics de prévoir des incitants financiers. «Une fois la demande informée, elle devrait en toute logique s’exprimer sur le marché et inciter des acteurs de la promotion immobilière à y répondre. Par exemple via des projets d’habitat groupé, dont le potentiel reste important.»

«Des communes entretiennent l’opacité afin de ne pas se mettre la population à dos.»

Jean-Marie Halleux

Professeur au département de géographie de l’ULiège

Changer les règles urbanistiques

Dans de nombreux lotissements, il est toutefois impossible d’envisager d’autres modalités que la classique maison quatre façades unifamiliale. Les alternatives peuvent se heurter à des obstacles administratifs (adresse légale, domiciliation…), techniques (normes incendie, par exemple) et urbanistiques. Ainsi, il est souvent interdit d’envisager la construction d’une habitation supplémentaire dans une parcelle. «Il faudrait faire sauter les prescriptions urbanistiques trop contraignantes de nombreux lotissements, confirme Julien Charlier. Cela permettrait d’aboutir à une densification douce qui peut prendre plusieurs formes: division parcellaire, division horizontale du logement, ajout d’un module, voire d’un étage… Tout cela nécessite l’accord du collège communal.» Or, l’électoralisme n’aide pas. Même dans des quartiers à proximité des centres-villes, bourgmestres ou d’échevins n’osent souvent pas s’aventurer sur ce terrain, de peur de froisser les riverains concernés.

Ils n’auront bientôt plus le choix. La nouvelle législature communale sera cruciale à cet égard. Entré en vigueur en août dernier, le SDT de la Wallonie laisse en effet six ans aux pouvoirs locaux pour élaborer un schéma de développement communal (SDC). Toujours dans un souci de limiter l’étalement urbain, cette feuille de route devra notamment identifier les zones où il sera plus ou moins simple, à l’avenir, de construire du logement. «Mais des communes entretiennent l’opacité, afin de ne pas se mettre la population à dos, regrette Jean-Marie Halleux. Pourtant, certaines perdent des habitants et ne disposent pas d’assez de logements pour accueillir des jeunes ménages. En stimulant la demande, on peut espérer que le secteur économique réagira, et le politique également.» Dans les nombreux lotissements éligibles, la réflexion sera d’autant plus houleuse si elle n’est pas préparée en amont, dès 2025.

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