Les bureaux se vident de plus en plus à Bruxelles. Une opportunité pour répondre à la crise du logement? Les promoteurs immobiliers se montrent peu intéressés par des reconversions. Du moins si ce n’est pas pour des appartements de standing.
Le taux de vacance des bureaux à Bruxelles ne fait que croître depuis 2018. En novembre 2023, il atteignait 8,7% selon le n°40 de l’observatoire des bureaux. Un taux qui correspond à plus d’un million de mètres carrés de surface de bureaux vides. Un chiffre sous-estimé, qui ne prend pas en compte la vacance cachée, c’est-à-dire les surfaces qui ne sont pas mises en location ou en vente.
Les causes de l’inoccupation de ces locaux se trouvent en partie dans les changements et les effets de la crise du Covid, qui a entraîné une généralisation du télétravail, en moyenne de 2,5 jours par entreprise, selon Pierre Lemaire, chargé de projet en stratégie territoriale. Les besoins en bureaux évoluent donc en conséquence. Par exemple, la Commission européenne ambitionne de réduire ses mètres carrés de bureaux de 25% d’ici 2030. Un autre facteur est celui des exigences des employeurs. Ils visent des bâtiments très performants sur le plan énergétique et dans la capitale, «le stock de bureaux est vieillissant. Des projets de reconversion sont prévus rien que pour mettre ces bâtiments aux standards actuels», explique Pierre Lemaire.
Pourtant, malgré les locaux vacants, les demandes de permis de construction de bureaux continuent à pleuvoir à Bruxelles. «Du côté de la promotion privée, on a l’idée que le stock n’est pas suffisant, précise Marion Alecian, directrice de l’atelier de recherche et d’action urbaine (ARAU). Or Bruxelles possède un héritage extraordinaire de bureaux, la ville est très marquée par la tertiarisation, nous n’avons pas besoin de nouveaux locaux. Nous insistons sur le potentiel énorme que représente la reconversion de ces bureaux.»
Les reconversions permettent en effet de limiter la bétonisation de Bruxelles et de répondre à une pénurie urgente de logements abordables. «On est dans une crise du logement qui se transforme en statu quo depuis plus de quinze ans et on n’arrive pas à répondre à la demande avec les investissements publics», alerte Veronica Pezzuti, coordinatrice de l’ASBL SoHoNet (Societal Housing Netwerk).
La conversion de bureaux en logements remonte déjà à 1997. Depuis cette date, plus d’un million de mètres carrés de bureaux ont été reconvertis en logements. Ces transformations s’accélèrent depuis le Covid, avec un record pour l’année 2021. 300.000 mètres carrés de planchers ont été autorisés à convertir entre 2021 et 2022.
Des reconversions à côté des besoins
Parmi les reconversions, 70% des bureaux deviennent des habitations. Mais sur les 2018 logements autorisés à être créé de 2021 à 2022, seulement 12 étaient à finalité sociale, soit moins de 0,6% selon l’ARAU. D’après sa directrice, Marion Alecian, les reconversions sont largement de haut standing car elles doivent être rentabilisées. «Lors de nos recherches, on est parvenus à trouver deux exemples à Bruxelles de reconversion à finalité sociale. Il y a très peu de logements abordables qui sont construits via la reconversion de bureaux», expose Pierre Lemaire.
Selon Marion Alecian, «convertir des bureaux en logement à finalité sociale demande de la créativité et de la technique, mais dans la majorité des cas, c’est possible». Veronica Pezzuti ajoute que les reconversions peuvent très bien aboutir à des logements à finalité sociale. «Les reconversions sont une question complexe, car tout dépend des décisions prises pendant le processus. Par exemple, imposer des appartements traversants, alors que d’autres solutions tout aussi qualitatives sont possibles, peut faire augmenter considérablement les coûts. De même, privilégier des terrasses individuelles plutôt que des coursives est une autre pratique qui contribue à alourdir le prix final des logements, les rendant ainsi difficilement abordables», détaille-t-elle.
Des reconversions freinées par des intérêts financiers
Néanmoins, les promoteurs privés optent principalement pour des démolitions/reconstructions. Une technique qui coûte cher à l’environnement, mais permet aux promoteurs de densifier les bâtiments et donc améliorer la recette économique. Les plans sont revus pour construire plus d’appartements sur une même surface, en réduisant la hauteur de plafond par exemple. Selon Pierre Lemaire, démolir et reconstruire permet également de s’affranchir du précompte immobilier, ce qui revêt un avantage financier considérable pour les promoteurs.
Aujourd’hui, en région bruxelloise, rien n’impose à des promoteurs privés de reconvertir des bureaux en logements à finalité sociale, malgré les forts besoins en la matière. Pour Marion Alecian, une autorité publique doit pouvoir encadrer ces projets de reconversion et exiger un minimum de reconversions à finalité sociale. De son côté, Veronica Pezzuti est plus sceptique et recommande un encadrement au cas par cas. «Si les règles sont claires, le secteur privé suivra. Il reste toutefois essentiel que le secteur public puisse acquérir les logements produits. Cela dit, la crise du logement en région bruxelloise ne se résoudra pas uniquement de cette manière».