lundi, décembre 8

Avec l’interdiction d’importer du gaz russe, l’UE s’apprête à acheter d’avantage de gaz liquéfié aux Etats-Unis. Une nouvelle dépendance risquée? Pas si sûr…

Il aura fallu presque quatre ans à l’Union européenne pour décider de se passer totalement du gaz russe. Désormais, c’est chose faite. L’interdiction sera effective dès le printemps 2026 pour les contrats courts d’approvisionnement et dès 2027 pour les contrats longs. Pour contourner le veto de pays membres amis avec Moscou, comme la Hongrie et la Slovaquie, la Commission européenne a opté pour un texte législatif qui a pu être adopté à la majorité qualifiée et non à l’unanimité des 27. «C’est une nouvelle ère, celle de l’indépendance énergétique totale de l’Europe vis-à-vis de la Russie», s’est réjouie la présidente Ursula von der Leyen. Il faut dire que cette saga, comme l’a nommée Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), durait depuis les années 1970. Les Européens cherchaient alors à réduire leur dépendance envers le pétrole du Moyen-Orient. Ils s’étaient tournés vers la Russie et son gaz bon marché.

Cette idylle énergétique a duré jusqu’à l’invasion de l’Ukraine en février 2022. On s’en souvient: le prix des hydrocarbures, le gaz en particulier, avaient flambé. Depuis lors, l’UE a réussi à faire passer la part du gaz russe dans ses importations de gaz de 45%, en 2021, à 19%, en 2024. Elle s’est tournée, entre autres, vers les Etats-Unis et leur gaz liquéfié (GNL). La Norvège a également augmenté ses exportations gazières vers l’Europe, pour atteindre 91,1 milliards de mètres cubes de gaz l’année dernière. Mais la part du gaz russe est encore importante en Europe, soit 51,7 milliards de mètres cubes en 2024, devant celle des Américains (45,1 milliards).

Dans moins de deux ans, les gazoducs provenant du territoire russe seront définitivement obsolètes. On risque donc de passer d’une dépendance à une autre, de celle des gazoducs de Gazprom à celle du GNL américain. Une bonne nouvelle pour le portefeuille? Les prix ne risquent-ils pas de grimper, notamment au gré des sautes d’humeur du président Trump?

Rappelons que le gaz sert de combustible bien sûr pour le chauffage domestique, mais aussi énormément pour les centrales électriques au gaz et pour des applications industrielles, notamment dans les secteurs essentiels de la chimie, de la métallurgie et de l’agroalimentaire. Son prix a donc une influence sur le budget de tous les ménages, qu’ils se chauffent au gaz ou non. La dépendance aux Etats-Unis, très critiques aujourd’hui vis-à-vis du Vieux Continent, n’est pas des plus rassurantes. «Mais cette dépendance n’est pas de même nature que celle avec la Russie, prévient Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB et secrétaire général de l’European Energy Research Alliance (EERA). La dépendance au gaz russe était surtout une dépendance connectée. Il s’agissait de contrats à long terme sur des gazoducs. Tandis que le GNL est un marché mondial. On peut très bien acheter davantage au Qatar ou ailleurs pour moins dépendre de Washington. Ce n’est pas un fournisseur dont on dépend structurellement.»

Investissements payants

Par ailleurs, au niveau des prix du gaz et du GNL en particulier, les investissements consentis depuis 2022 par les Européens dans les infrastructures de la chaîne d’approvisionnement portent aujourd’hui leurs fruits. «Le prix du gaz avait explosé à l’époque parce que la quantité de gaz fournie par Gazprom était colossale et qu’il a fallu énormément investir pour supporter la quantité de GNL importée, explique le Pr el Gammal. Ce qui était un gros problème il y a trois ans ne l’est plus actuellement. Les infrastructures sont là. Les lourds investissements européens ont engendré une forte augmentation de la capacité mondiale de GNL. Ce qui fait que les prix ont diminué. C’est la loi de l’offre et de la demande.»

Pour Damien Ernst, professeur à l’ULiège et expert des questions énergétiques, la diminution du prix du gaz devrait aussi s’accentuer au niveau mondial avec l’utilisation combinée de plus en plus importante du photovoltaïque et des batteries. «Ce mix PV-batterie est surtout prisé pour la génération d’électricité en remplacement du gaz naturel, constate-t-il. C’est particulièrement vrai dans les pays les plus ensoleillés. Un exemple très significatif: le Pakistan revend aujourd’hui des contrats d’approvisionnement de long terme en gaz liquéfié parce qu’il remplace cet hydrocarbure par le photovoltaïque couplé aux batteries. Celui-ci constitue désormais un changement majeur dans le domaine de l’énergie et son succès est dû à une question de coûts davantage qu’à une question de décarbonation.» En Europe, cette technologie est également valable, surtout entre mai et septembre.

Autre facteur notable pour expliquer l’évolution du prix du gaz: la Chine qui, comme bien d’autres pays, consomme moins de gaz à cause de la faible croissance économique qui se traduit automatiquement par un relâchement des tensions sur le gaz et le pétrole. Or la Chine est habituellement un des plus gros consommateurs de GNL de la planète. Par ailleurs, comme l’a souligné Fatih Birol il y a peu, Pékin et Moscou ont signé lors du congrès de Shangaï en septembre, un accord pour relancer le projet de construction du gazoduc Power of Siberia2 qui devrait à terme transporter 50 milliards de mètres cubes de gaz par an depuis le nord de l’Oural jusqu’en Chine, dans le cadre d’un contrat conclu sur 30 ans. «Cela remplacera une bonne partie de ses importations de GNL, avec des conséquences évidentes de l’offre sur le marché mondial», souligne Adel El Gammal.

Pour autant, le professeur de l’ULB ne pense pas que le prix du gaz va considérablement diminuer et retrouver son niveau d’avant la guerre en Ukraine. «Il est vrai que le renouvelable, dont le photovoltaïque, monte en puissance, mais la demande en électricité est de plus en plus astronomique, entre autres à cause de l’électrification du parc automobile mais aussi, par exemple, de l’air conditionné qui se développe en fonction du réchauffement climatique, dit-il. Je table plutôt sur une stabilisation –soit entre 20 et 30 euros/MWh– des prix actuels qui ont beaucoup diminué depuis la crise de 2022.»

Damien Ernst se montre plus optimiste. Pour lui, le prix du gaz va sans doute diminuer, entre autres à cause du développement du mix photovoltaïque-batteries. «Mais aussi parce que le chauffage au gaz est en train de se faire supplanter par les pompes à chaleur, dit-il. Celles-ci nécessitent certes de l’électricité, donc du gaz, mais moins qu’avec une chaudière car les pompes transforment une calorie électrique en trois calories thermiques.» Les portefeuilles s’en réjouiront.

«La dépendance au gaz américain n’est pas de même nature que celle au gaz russe»

Share.
Exit mobile version