Malgré des efforts soutenus de prévention, environ quinze bébés par an décèdent encore de mort subite en Belgique. Les réseaux sociaux, entre autres, entretiennent certains mythes préjudiciables au sommeil des nourrissons, augmentant les risques de décès.
C’est un drame dont personne ne se remet jamais vraiment. Voir son enfant en bas âge mourir inopinément relève du cauchemar absolu. Pourtant, c’est une réalité qui frappe chaque année des dizaines de parents en Belgique. Sur les onze premiers mois de 2025, neuf bébés seraient ainsi décédés de mort subite au nord du pays, selon les chiffres de l’Institut médico-légal de l’UZ Leuven pour les provinces du Brabant flamand et du Limbourg, relayés par la VRT. Un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes, qui a poussé Kind en Gezin (l’équivalent flamand de l’Office de la Naissance et de l’Enfance, ONE) à lancer cette semaine une campagne de sensibilisation baptisée «Veilig Slapen» (NDLR: dormir en sécurité).
Un constat difficilement transposable au sud du pays, en raison d’une absence de données agglomérées à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Contactés, la majorité des hôpitaux francophones étaient en outre dans l’incapacité de fournir de tels chiffres. Le Vif a toutefois pu obtenir des statistiques auprès de Sciensano, indiquant plutôt une tendance à la baisse des cas de mort subite en Belgique.
La mort subite du nourrisson (MSN), c’est quoi?
Pour parler de «mort subite du nourrisson», il faut que le décès remplisse plusieurs critères. Il doit concerner un bébé de moins d’un an, mort durant son sommeil, et dont les causes de décès n’ont pu être expliquées malgré des investigations complètes post-mortem, y compris une autopsie. «Le décès d’un bébé de douze mois et trois jours ne pourra donc pas être comptabilisé dans les statistiques de MSN, tout comme celui d’un bébé qui avait de la fièvre ou qui se serait coincé la tête entre les barreaux de son lit, insiste la Pr Elin Malek, neuropédiatre au Cliniques Universitaires Saint-Luc. Dans ce dernier cas, on parlera alors d’un décès accidentel pendant le sommeil, mais pas d’une mort subite. Le cas typique de MSN est donc celui d’un bébé en excellente santé, qui se porte à merveille le jour J, mais qui ne se réveille pas lorsque ses parents viennent le chercher après sa sieste.»
Alors que l’Institut national de Santé publique recensait en moyenne 70 décès par an sur la période 1998-2002, il n’en dénombrait plus «que» quinze par an en moyenne sur la période 2018-2022. Soit une chute de 79% en 25 ans. Les cas de mort subite concernent en moyenne un peu plus de garçons (60%) que de filles (40%). A noter qu’aucune donnée postérieure à 2022 n’est actuellement disponible, en raison du délai nécessaire à l’objectivation des causes de décès du nourrisson.
De 1,3 à 0,4 cas pour 1.000 bébés
Une tendance baissière que confirme Marianne Michel, pédiatre à l’ONE. «Les cas de mort subite sont passés de 1,3 pour 1.000 bébés dans les années 1990 à 0,4 pour 1.000 aujourd’hui, indique la spécialiste. Cela paraît peu, mais les cas n’ont pas disparu et restent encore nombreux comparé au taux global de mortalité infantile.» En effet, le risque qu’un enfant décède du syndrome de mort subite du nourrisson au cours de la première année de sa vie reste encore quatre à huit fois plus élevé que le risque de décès au cours des 17 années suivantes, toutes causes confondues, y compris les accidents de la route, les suicides, les overdoses et les décès par armes à feu, selon une étude américaine de la National Library of Medicine.
La baisse marquée à partir des années 1990 n’est toutefois pas due au hasard. «C’est à cette période que plusieurs études épidémiologiques ont permis de conclure que l’environnement de sommeil, en particulier la position de couchage du nourrisson, était un facteur déterminant dans les cas de mort subite», rappelle Marianne Michel. Dans la foulée, de larges campagnes de sensibilisation encourageant les parents à faire dormir leur bébé sur le dos, et non sur le ventre, ont contribué à réduire ces drames. «On est convaincu que ce sont ces messages en faveur de la position dorsale, mais aussi la prévention des risques du tabagisme (tant de la femme enceinte qu’au sein du domicile parental) qui ont permis cette diminution», confirme la Pr Elin Malek, neuropédiatre au Cliniques Universitaires Saint-Luc. Un constat également observé outre-Atlantique: aux Etats-Unis, les campagnes de sensibilisation ont ainsi permis de réduire les cas de mort subite de 1,2 pour mille en 1998 à 0,56 aujourd’hui, pointe une étude de UptoDate.
Gare aux effets de mode
Mais tous ces efforts n’ont toutefois pas permis d’éradiquer totalement le phénomène. Un constat qui ne surprend pas Elin Malek. «La mort subite, par définition, est déclarée lorsqu’aucune cause explicative du décès n’a pu être identifiée, rappelle la neuropédiatre. Aujourd’hui, on peut continuer à sensibiliser aux facteurs de risque et aux mauvaises pratiques pour limiter les cas, mais quoi qu’on fasse, il restera toujours des situations de décès inexpliquées.»
En outre, la diminution des cas ces dernières années a pu contribuer à une forme de relâchement. «Les gens qui connaissent des victimes dans leur entourage ont tendance à être plus prudents et à en parler autour d’eux, observe Elin Malek. A contrario, si les cas se raréfient, le message passe moins bien et les campagnes de sensibilisation ont moins d’impact. Or, dès qu’on lâche un peu de lest, on se rend compte que ça repart.»
La puissance des réseaux sociaux contribue en outre à la prolifération de mauvais conseils. Entre les influenceurs vantant les bienfaits de coussins «anti tête plate» et les publicités pour des systèmes de monitoring d’apnée du sommeil, difficile aujourd’hui de distinguer le vrai du faux. «Or, tous ces dispositifs technologiques non médicaux mènent souvent à des dérives, rappelle Elin Malek. Les machines ont leurs failles, et elles ne peuvent en aucun cas être utilisées pour contourner les mesures de sécurité élémentaires.» Des gadgets d’autant plus tentants pour des jeunes parents parfois plongés dans des situations de détresse psychologique, confrontés aux pleurs incessants de leur bout de chou.
98% de photos inadéquates
En période de forte vulnérabilité émotionnelle, nombreux sont aussi les parents à chercher des conseils sur des sites internet peu fiables, conduisant parfois à des drames. Les images véhiculées par ces plateformes ont également de quoi semer le doute. D’après une étude néerlandaise, 98% des photos de bébés endormis circulant en ligne se révèlent contraires aux recommandations pédiatriques en matière de sommeil (lire plus loin). «On y voit des bébés tout mignon dormant sur le ventre, entourés de gros doudous ou de coussins, ce qui rend l’environnement très cocoon, mais absolument pas sécurisé pour des nourrissons», insiste Marianne Michel.
De son côté, Elin Malek pointe également les mauvais conseils prodigués par certains ostéopathes. «Aujourd’hui, c’est assez tendance de consulter ce genre de praticien si votre bébé régurgite beaucoup, observe la neuropédiatre. Or, beaucoup prêchent pour faire dormir les nourrissons en position latérale, ce qui est pourtant un facteur de risque intermédiaire de mort subite du nourrisson.»
Face à toutes ces dérives, les deux pédiatres rappellent la nécessité d’une prévention continue auprès des parents et le rôle indispensable du personnel de la santé dans cette sensibilisation. «C’est la responsabilité de tout soignant en contact de près ou de loin avec un bébé de rappeler les consignes de couchage et de sécurité, insiste Elin Malek. A force d’entendre le même message partout, les parents ne pourront que le suivre.»
Les bonnes pratiques à respecter
Pour limiter les risques de mort subite, voici les recommandations pédiatriques à respecter en matière de sommeil.
1. Faire dormir son bébé sur le dos;
2. Dans un lit adapté et dépouillé de tout accessoire (pas de coussin, pas de grosse peluche,…);
3. Sur un matelas ferme;
4. Dans un sac de couchage plutôt qu’une couverture (pour éviter les risques de suffocation);
5. Dans une chambre bien aérée (l’ONE recommande deux fois 15 minutes d’aération par jour);
6. Dans une chambre à température ambiante (entre 18 et 20 degrés);
7. Dans la chambre des parents, mais dans un lit à part (l’OMS recommande le room-sharing pendant les six premiers mois, voire un an, pour prévenir les risques de mort subite. Elle exclut par contre le bed-sharing);
8. Dans un environnement sans tabac




