Pavlo et Viktoriya Matyusha livrent le récit de leur éloignement douloureux et la façon dont ils ont surmonté cette épreuve. De force.
Pavlo se bat sur le front de la guerre pour la survie de la patrie, «instructeur au combat». Viktoriya se bat sur le front de la bataille pour l’éducation des enfants, exilée en France. Par l’entremise de Doan Bui, journaliste à L’Obs, ils acceptent que leur correspondance (des missives numériques plus longues que les textos du quotidien) soit publiée. Lettres d’amour et de guerre (1) est une belle et précieuse illustration des déchirures intimes que provoque la guerre.
Fragilisée par le fardeau du déracinement et des responsabilités familiales à assumer seule, Viktoriya, traductrice et agente littéraire, questionne inlassablement le choix de son mari, écrivain, d’avoir rejoint l’armée alors qu’en tant que père de quatre enfants, il pouvait s’y soustraire. «Quitte tout cela avant qu’il ne soit trop tard. Les statistiques sont une science têtue. Tu le sais, le nombre de gens dans notre cercle d’amis qui ont perdu un proche est en train d’augmenter de façon exponentielle», le met-elle en garde. Pavlo invoque la défense de la nation, l’obligation de solidarité et, argument suprême, «le futur de ses enfants» dans un pays qui sera délivré de la menace russe. De l’avenir, Viktoriya en a une vision très différente: «La guerre nous a privés de ça: la possibilité de nous projeter dans le futur. C’est pour moi le fardeau le plus lourd que nous devons porter.»
La guerre nous a privés de ça: la possibilité de nous projeter dans le futur.
Elle dépose donc une demande de divorce qu’elle justifie par la volonté de mettre Pavlo au pied du mur. «Simple» coup de pression? Le couple tangue-t-il? L’initiative pousse les deux partenaires à s’interroger sur leur couple. «Je ne veux pas que tu sois à mes côtés pour la simple raison qu’il en a toujours été ainsi, parce que nous sommes mariés depuis tant d’années. Nous valons mieux que cela», lâche Pavlo. A la fin du livre, Viktoriya se résout à accepter son choix: «Ma raison, mon cerveau m’ont toujours dit que tu avais eu raison d’aller te battre ; ma raison te soutenait, t’encourageait, elle savait que tu étais dans le vrai. Mais mon cœur, mes émotions, mes tripes, eux, me disaient le contraire. Emotionnellement parlant, je n’ai jamais réussi à accepter ta décision.» Quelques lettres plus tard, c’est lui qui annonce qu’il va démissionner de l’armée. Pour la même raison qui l’avait poussé à s’engager: «Pour le bien de mes enfants, pour leur futur». Luka, Leon, Laura et Liubava pourront revivre en famille.