samedi, novembre 23

En un an, le nombre de signalements de harcèlement sexuel a doublé. C’est ce qu’il ressort du dernier rapport annuel de l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes. La «partie visible de l’iceberg».

Bien que l’augmentation marquée des signalements pour harcèlement sexuel soit préoccupante, l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes en tire néanmoins un point positif. «S’il y a plus de signalements qu’auparavant, c’est parce que la société prend progressivement conscience du caractère inacceptable du harcèlement sexuel, ce qui est le résultat de campagnes de sensibilisation efficaces autour de ce problème», pointe Aurore Couvreur. Annalisa Casini, professeure de psychologie sociale à l’UCLouvain, tempère: «Les campagnes de sensibilisation autour du harcèlement sexuel se concentrent davantage sur les actes les plus extrêmes, comme les attouchements. Mais les gestes plus subtils sont moins abordés. Il y a donc beaucoup d’agissements qui passent entre les mailles du filet».

En effet, le harcèlement sexuel est un terme qui englobe tous comportements non désirés, verbaux, non verbaux et corporels. On parle donc à la fois des propos, des gestes, et des actions qui portent atteinte à l’environnement de travail et au bien-être des personnes. Attouchements, blagues sexistes, ou remarques salaces, le harcèlement sexuel se définit par un ensemble d’agissements très vastes, qui touchent, dans le monde du travail près d’une femme sur deux en Wallonie et à Bruxelles, selon un rapport statistique de l’IWEPS (l’institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique).

Derrière ce chiffre interpellant se cachent de vraies personnes. Aurore (prénom d’emprunt) est l’une d’entre elles: «Je travaillais dans une entreprise de construction. Après une soirée entre collègues, j’ai remarqué qu’une personne avait beaucoup trop bu et qu’il devait rentrer chez lui en voiture. Je lui ai alors proposé de venir dormir chez moi, sur mon canapé, car j’habitais tout près. Dans la voiture, il a commencé à me toucher la cuisse, et tentait de glisser sa main vers mon entre-jambe. « Si je rentre avec toi, je te baise ». Heureusement, une fois arrivé chez moi, il ne s’est rien passé. Il s’est écroulé sur mon canapé».

Un harcèlement qui a continué sur le lieu de travail: «Cette personne s’est vantée de cette histoire auprès de plusieurs collègues. Plus d’une fois, j’ai senti qu’on parlait derrière mon dos: quand je passais devant un groupe d’hommes de l’entreprise, j’entendais des ricanements et des chuchotements. J’ai laissé faire, en pensant naïvement que ça allait se tasser au fil du temps. Un peu plus tard, j’ai entendu quelqu’un de l’entreprise dire : “Il devait avoir de la merde dans les yeux pour vouloir la baiser”. De suite, j’ai été voir la secrétaire de direction, car la responsable n’était pas présente au moment des faits. Je lui ai tout expliqué en détail, et le soir même, j’étais convoquée au bureau de la responsable. Surprise en arrivant, elle m’a sermonnée car j’en ai parlé à la secrétaire de direction, au lieu de venir la voir. Pour rappel, elle n’était pas présente quand ces faits se sont produits. « Tu n’as pas à parler de ça au bureau, tu mets en péril tout le travail de l’équipe !”. Je me suis sentie minable sur le coup. Ces blagues vaseuses et ces ricanements à mon égard m’ont suivie pendant deux mois».

La Flandre: un modèle en matière de prévention?

En Flandre, le harcèlement sexuel au travail touche une femme sur quatre, un chiffre plus bas qu’en Wallonie et à Bruxelles. Selon l’IWEPS, ces différences régionales se constatent aussi au niveau européen. Par exemple, beaucoup plus de femmes des pays scandinaves se disent être victimes de violences sexuelles en comparaison de celles d’Europe de l’Est.

Les pays où le harcèlement sexuel est le plus reconnu sont aussi ceux qui possèdent les taux les plus élevés de signalements. «La liberté de parole va de pair avec la reconnaissance d’un nombre de gestes déplacés, ajoute Annalisa Casini. Dans beaucoup d’endroits, il y a moins de signalements, car un tas d’agissements sont moins reconnus comme des actes problématiques. Donc, dans cette logique, si la Wallonie et la région bruxelloise ont des taux plus élevés, c’est que les femmes reconnaissent davantage de gestes déplacés, alors qu’en Flandre, un tas d’agissements similaires passent sous le radar». 

Pour expliquer ce chiffre nettement différent en Flandre, l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes avance une autre raison, celle des différences de services et systèmes mis en place pour prévenir et lutter contre ces violences. «Au niveau des organisations et des entreprises, la Flandre est en avance en ce qui concerne la dénonciation du harcèlement sexuel, poursuit Annalisa Casini. Par exemple, il a fallu attendre une directive européenne pour pousser les universités bruxelloises et wallonnes à établir un plan genre et diversité, dispositif qui vise entre autres à faire de la prévention en matière de harcèlement sexuel et de sexisme. La majorité des universités flamandes n’ont pas attendu cette directive pour mettre en place de tels dispositifs».

Si la Flandre est en avance en matière de prévention, son impact reste limité: « Ces campagnes de sensibilisation concentrent leurs forces sur les agissements extrêmement graves, en omettant un tas de gestes déplacés à l’égard des femmes, conclut Annalisa Casini. La prévention en Flandre a un effet sur certaines pratiques, mais pas sur d’autres: des tas d’agissements sont encore monnaie courante sur le lieu de travail, et moins de femmes se rendent compte du problème dans le nord du pays».

Un point que rejoint Aurore: «Ces campagnes de sensibilisation qui s’axent sur des faits extrêmement graves me font penser que ce que j’ai vécu n’est pas si grave, et que des personnes vivent des choses bien plus horribles. Je travaille dans le secteur de la construction, et je pense sincèrement que ces comportements sont ancrés. Ça fait partie du travail quand tu es une femme, et j’ai peu d’espoir qu’il y ait des changements structurels à ce niveau-là».

Collègues ou supérieurs hiérarchiques, les multiples visages du harcèlement au travail

D’après les chiffres de l’IWEPS, les femmes belges qui ont déjà subi du harcèlement sexuel au travail indiquent que, dans 40% des cas, l’auteur des faits est un collègue. Une fois sur quatre, ces violences sont commises par un supérieur hiérarchique. Elles sont aussi près d’une femme sur deux à être victimes d’une personne qui ne travaille pas au sein de la même entreprise, mais avec lequel elles entretiennent une relation professionnelle. Neuf fois sur dix, l’auteur de ces violences est un homme. 

L’institut pour l’égalité des femmes et des hommes encourage les personnes subissant du harcèlement sexuel à contacter gratuitement le 0800 12 800.

Thomas Renard

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