Plusieurs partis proposent que les citoyens puissent élire au suffrage universel un chef de l’exécutif européen. Une proposition séduisante sur le papier, mais compliquée à mettre en œuvre dans la réalité.
Ce 6 juin 2024, les Néerlandais ont donné le top départ de cette semaine hautement politique. Ils sont les tout premiers à pouvoir se rendre aux urnes dans le cadre des élections européennes. La Belgique fermera la marche dimanche, en même temps que 20 autres pays.
Pour que les citoyens aient davantage envie de s’intéresser à cette grande messe électorale, certains partis proposent une mesure précise: leur permettre d’élire un chef d’État de l’Union européenne (UE). En d’autres termes, il s’agirait de créer une sorte d’élection présidentielle, comme cela existe en France ou aux États-Unis. En Belgique francophone, une formation fait cette proposition: Les Engagés. Pour être précis, l’ancien cdH affirme vouloir faire «élire le président de la Commission européenne au suffrage universel».
Une «idée sympathique», selon Louis le Hardÿ de Beaulieu, professeur de droit à l’UCLouvain, spécialiste des questions européennes. «Sauf qu’il y a un mais», prévient-il, et pas des moindres.
Une réforme difficile à adopter
L’universitaire constate surtout la difficulté de mettre en place une telle réforme, que ce soit sur le plan politique ou juridique. Actuellement, la procédure de désignation du président de la Commission européenne est déterminée par l’article 17 du traité de Lisbonne de 2007. Cette règle est simple: le Conseil européen propose un candidat au poste, puis le Parlement européen doit donner son approbation (ou pas). Le plus souvent, ce candidat est le «meneur», ou «Spitzenkandidat» pour les intimes, de la formation politique européenne rassemblant le plus d’eurodéputés. L’actuelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a par exemple de bons espoirs de rester à son poste, celle-ci ayant été désignée Spitzenkandidat du parti en tête des sondages, le PPE (Parti populaire européen, dont sont membres Les Engagés).
Pour créer une «élection présidentielle», il faudrait adopter une réforme des traités européens, et c’est là que réside la principale difficulté. «Une procédure de révision doit se faire à l’unanimité des 27 Etats membres, conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives», explique Louis le Hardÿ de Beaulieu. «Autrement dit, il faut l’accord de leurs parlements nationaux et ou de la population par référendum. Modifier les traités européens, c’est donc une machine extrêmement lourde et en général, on ne le fait que quand on a beaucoup de choses à modifier en une fois. On ne le fait pas pour modifier une seule chose.». Chaque pays européen pourrait ainsi être tenté d’introduire toute une série d’autres modifications en tous genres à cette occasion. Un sacré mélange en perspective de gorgonzola, de spéculoos, de camembert, etc., qui rendrait le tout indigeste.
“On ouvre à chaque fois la boîte de Pandore”
Dans l’hypothèse où les Etats de l’UE s’accorderaient pour se lancer malgré tout dans cette aventure, il resterait un obstacle majeur. Généralement, ce type de procédure représente pour les eurosceptiques l’occasion parfaite pour se mobiliser. C’est notamment ce qui s’est passé avec le traité de 2004, qui a été rejeté suite aux référendums français et néerlandais où le «non» l’avait emporté. «On ouvre à chaque fois la boîte de Pandore», résume l’universitaire. «Donc techniquement, c’est faisable. Mais il ne faut pas sous estimer la difficulté pour y parvenir.».
Une élection… qui existe déjà?!
Instaurer une élection présidentielle semble donc être une entreprise risquée. Et c’est sans compter les inévitables débats sous-jacents à cette idée: faut-il un tour, deux tours, une majorité simple ou absolue, etc.?
Puis au fond, un tel scrutin ne serait-il pas superflu? En quelque sorte, cette élection, elle existe en effet déjà, à travers les Spitzenkandidaten. Un électeur qui soutient le PPE vote ainsi, en quelque sorte, pour qu’Ursula von der Leyen soit présidente. «En théorie, les électeurs devraient le savoir, acquiesce Louis le Hardÿ de Beaulieu. Mais à mon avis, ils ne se posent pas cette question.».
Car c’est un fait: au moment des élections européennes, le citoyen n’adopte la plupart du temps pas une perspective continentale mais nationale. Les sondages ont par exemple montré que le traité de 2004 n’a été vraiment rejeté par les Français à cause des réformes européennes promises à l’époque. Le but principal des partisans du «non», c’était de manifester leur opposition au gouvernement de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin. Même si cela n’avait pas grand-chose à voir avec la politique européenne.
La difficile recette pour susciter l’intérêt des Européens
En réalité, pour Louis le Hardÿ de Beaulieu, le vrai débat devrait être ailleurs: «Habituellement, les questions institutionnelles, le citoyen s’en contrefiche. Ce qui l’intéresse, c’est l’emploi, le chômage, l’environnement, la sécurité, la défense, le numérique, etc. Bref, des choses concrètes et pratiques qui touchent les gens. Or, ce sont des questions qui passent souvent un peu inaperçues.».
“Pour réenchanter la démocratie, il faut repartir de la base, pas créer ce genre de nouvelles élection”
Il en veut pour preuve le très faible écho du débat organisé le 23 mai dernier entre les Spitzenkandidaten. Autre signe évocateur: fréquemment, le professeur de droit demande à ses étudiants s’ils se souviennent pour qui ils ont voté lors des dernières élections européennes. Généralement, la réponse est négative.
«Pour réenchanter la démocratie, il faut donc repartir de la base, pas créer ce genre de nouvelles élections», tranche le néo-louvaniste. «Il faut faire comprendre la valeur ajoutée de l’UE, ou plutôt ce que cela coûterait de ne pas avoir l’Europe, à l’instar de ce que perçoivent aujourd’hui les Britanniques avec le Brexit. Si on ne fait pas avant toute chose un grand effort de pédagogie, je crois qu’on ferait pire que mieux avec la création d’une nouvelle élection. Les gens sont déjà perdus avec l’élection des eurodéputés. En rajouter une couche aujourd’hui serait, je pense, de nature à induire plus de confusion qu’autre chose. Une initiative contre-productive qui n’aboutirait à rien de concret. Ce n’est qu’après avoir traité les questions de fond que l’on peut, éventuellement, passer après aux questions institutionnelles.».