lundi, décembre 15

Un cessez-le-feu en trompe-l’œil a détourné les regards des souffrances des habitants de Gaza. Pourtant, leur quotidien ne s’est que marginalement amélioré. Et l’arrivée de l’hiver fait craindre le pire.

Les promesses d’un «accord de paix» approuvé le 8 octobre par Israël et le Hamas sous la supervision tonitruante de Donald Trump, puis l’effervescence depuis la mi-novembre autour d’un plan qui rééditerait entre l’Ukraine et la Russie ce «succès», et voilà que depuis deux mois, le sort de la bande Gaza et de ses habitants a presque été gommé de l’actualité immédiate alors que la guerre qui s’y est déroulé a encore marqué profondément celle de 2025.

Un «retour sur Gaza» s’impose. On prend donc la direction de Rafah, ville de l’extrême sud du territoire palestinien. Regard empli de détermination mâtiné parfois d’une dose d’inquiétude, Caroline Seguin, qui y coordonne les activités de l’organisation Médecins sans frontières, nous éclaire sur les conditions de vie, ou de survie à Gaza, depuis l’entrée en vigueur du «cessez-le-feu». Avant celui-ci, l’armée israélienne avait lancé les premières opérations de réoccupation de l’ensemble de la bande de terre en ciblant notamment la ville de Gaza. Dans l’entendement du gouvernement de Benjamin Netanyahou, il s’agissait de traquer les derniers éléments du Hamas, censés être retranchés pour un grand nombre dans les tunnels de la principale ville du territoire. Sous la pression militaire, les organisations humanitaires avaient dû se retirer des lieux.

«Voilà où en est la population de Gaza aujourd’hui: ne pas pouvoir se mettre à l’abri de la pluie.»

Méfiance sur la sécurité

Aujourd’hui, Médecins sans frontières a repris ses activités à l’hôpital al-Shifa, au centre pédiatrique al-Rantissi, à l’hôpital al-Helou de même que ses interventions ambulatoires. Cependant, le retour de la population à Gaza-Ville et dans le nord de Gaza est plus lent que lors des précédents épisodes de déplacements forcés. «Le mouvement est moins rapide que lors de la trêve qui avait permis la libération d’otages entre le 15 janvier et le 1er mars 2025 où, en deux jours, le Sud s’était vidé de ses déplacés et le Nord avait accueilli un million de personnes, témoigne Caroline Seguin. En cause, le fait que l’armée israélienne occupe encore une grande partie de cette région, au nord de la localité de Jabaliya et à l’est de Gaza-City, et les destructions plus importantes opérées dans la zone. Certaines personnes remontent au nord, préparent les logements mais gardent la tente dans le sud du territoire car la situation est encore très instable. Les derniers chiffres évoquent le retour d’environ 600.000 personnes.»

Les ruptures du cessez-le-feu depuis octobre confortent cette incertitude. Du reste, Caroline Seguin ne parle pas de trêve. «Tout le monde est dans l’expectative. C’est le troisième cessez-le-feu depuis le début de la guerre. Il y en a eu un au début du conflit (NDLR: en novembre 2023) pour la libération de quelques otages. Il n’a pas tenu. Il y a eu celui de février-mars 2025. Il n’a pas tenu. Il y a un peu plus d’espoir avec celui-ci parce que les Américains sont davantage impliqués. Il n’empêche que les bombardements restent quotidiens. Les gens sont très inquiets.» La nature des blessures des patients soignés par MSF en témoigne. Certes, l’organisation enregistre moins de blessés par balle que lorsque la guerre était intense mais elle doit encore en soigner beaucoup. Lors d’un des pics de violences observé le 22 novembre, elle en a reçu environ 600.» Dans un autre registre, les cas de malnutrition sévère enregistrés par MSF sont moins nombreux qu’avant le cessez-le-feu, mais beaucoup d’enfants présentent encore de la malnutrition modérée. De même, le manque de nourriture, le stress, les conditions de vie précaires entraînent beaucoup de cas d’enfants prématurés dans les maternités.

Les besoins en soins hospitaliers restent élevés à Gaza. Or, le matériel n’est pas toujours disponible.

De «ligne jaune» à frontière

Une autre attitude controversée de Tsahal, autour de la «ligne jaune» marquant la première phase du retrait israélien, conforte les doutes des Gazouis. «Les troupes israéliennes occupent encore la moitié de Gaza. Et tous les jours, cette ligne jaune se rapproche; la zone israélienne s’agrandit. Cette ligne n’est pas très claire», explique la coordinatrice de MSF. Le flou sur ce qui doit être un tracé provisoire a été amplifié par la déclaration, le 7 décembre, du chef d’état-major de Tsahal, Eyal Zamir, qui a indiqué devant des soldats que «la « ligne jaune » constitue une nouvelle frontière, une ligne de défense avancée pour les localités (NDLR: israéliennes) et une ligne d’attaque». Le lendemain pourtant, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a assuré vouloir passer à la deuxième phase du plan Trump qui prévoit le retrait de l’armée israélienne sur une «ligne rouge» qui restituerait aux Gazaouis une autre partie de leur territoire. Mais il a tenu ces propos à l’occasion de la visite en Israël du chancelier allemand Friedrich Merz, allié européen qu’il ne voulait sans doute pas fâcher.

En attendant, «les personnes qui habitent à proximité de la « ligne jaune » font régulièrement état de tirs de soldats israéliens, ajoute Caroline Seguin. Problème supplémentaire, plusieurs hôpitaux sont situés dans cette zone, dont l’hôpital européen à al-Fukhari, près de Khan Younès, où MSF prenait en charge des patients pédiatriques nécessitant des soins intensifs, et au nord, l’hôpital indonésien. La situation est loin de s’améliorer, l’offre de soins ayant diminué.»

Pathologies d’hiver

D’autant que l’hiver arrive et que le paysage de destructions expose les Gazaouis à ses terribles effets. «Les premières pluies ont soulevé pas mal d’inquiétudes. Elles ont inondé beaucoup de terrains. Avec le froid et les tentes endommagées par la pluie, cela sera une vraie catastrophe, souligne la coordinatrice de MSF à Gaza. Comme l’année dernière, on s’attend à avoir des pics d’infections respiratoires chez les enfants, davantage de diarrhées, plus de maladies de la peau et plus d’infections sur les plaies des blessés parce qu’ils seront les pieds dans l’eau. Une collègue palestinienne me disait qu’elle appréhendait autant l’hiver que les bombes. Voilà où en est la population de Gaza aujourd’hui: ne pas pouvoir se mettre à l’abri de la pluie. C’est misérable. Entre l’incertitude politique, militaire, humanitaire et l’hiver qui arrive, les gens sont inquiets quant à leur avenir.»

L’intervention des organisations humanitaires est aussi entravée par l’approvisionnement encore trop parcimonieux de l’aide humanitaire. MSF a comparé le nombre de camions humanitaires entrés dans la bande Gaza lors de la trêve du début de 2025 et celui de ceux qui arrivent actuellement. «Les fournitures restent limitées, commente Caroline Seguin. L’ONU fait rentrer l’aide humanitaire; il y a des camions commerciaux; et aussi les aides des Etats, notamment des Emirats arabes unis et du Qatar. Eux ont pu faire rentrer pas mal de produits, notamment des tentes. Mais ils ne pourront pas couvrir tous les besoins, c’est évident. Les camions commerciaux rentrent plus qu’ils ne rentraient avant le cessez-le-feu mais pas nécessairement avec des nourritures saines à l’intérieur. Ce que l’on en voit sur les marchés n’est pas trop adapté aux besoins des Gazaouis. Gaza est approvisionné en chips et en Coca-Cola alors que les gens ont besoin d’œufs, de poulet, de nourriture adaptée, pas de junk food américaine. Tous les gens se plaignent de cela.»

Le matériel insuffisant

La responsable humanitaire pointe aussi les difficultés engendrées par le système des produits considérés à double usage. «Depuis le début de la guerre, l’armée israélienne a établi une liste de produits dont l’entrée est restreinte, parmi lesquels des éléments indispensables comme des générateurs pour faire fonctionner les hôpitaux ou du matériel en lien avec la production d’eau. Nous fonctionnons avec de vieilles machines de désalinisation qui peuvent tomber en panne à tout moment, et nous ne pouvons pas faire entrer les pièces de rechange pour les réparer. C’est encore sous contrôle israélien. Il n’y a aucun changement à ce niveau.»

«Gaza est approvisionné en chips et en Coca-Cola alors que les gens ont besoin de nourriture adaptée.»

Les conséquences sont directes sur l’activité des ONG humanitaires. Caroline Séguin en donne un exemple concret: «Nous sommes spécialisés dans le traitement des brûlés. Comme il n’y a plus de gaz, les gens font des feux avec des ordures pour pouvoir cuire la nourriture. Vu la promiscuité dans les tentes, beaucoup d’enfants tombent dans des feux. D’autres ont aussi été brûlés par des explosions. Or, on n’arrive pas à faire entrer à Gaza le matériel pour les greffes de peau. Celui dont on dispose est vétuste. On est aussi à flux tendu sur tout ce qui est appareil biomédical, qui ne rentre pas. On est donc obligé d’adapter ce que l’on fait avec ce que l’on a. Si on arrivait à faire entrer plus de matériel, on ferait davantage, notamment de la chirurgie de reconstruction parce que l’on a beaucoup de blessés qui ont été mal pris en charge à cause du conflit. On fait avec ce que l’on a, mais on aimerait faire mieux.»

DOHA, QATAR – JUNE 6: Hundreds of people perform the Eid al-Adha prayer in an open area within the Thumama Housing complex in Doha, Qatar, on June 6, 2025. Palestinians who lost limbs in Israeli attacks on Gaza and were brought to Doha for medical treatment also joined the prayer. (Photo by Yousef Masoud/Anadolu via Getty Images) © Anadolu via Getty Images

Pas de soutien politique en Europe

Notre «retour sur Gaza» passe aussi par un improbable détour par l’île de la Réunion. C’est là que fut honoré du «Grand Prix du roman métis» l’écrivain palestinien Karim Kattan pour son livre L’Eden à l’aube (1). Il y conte l’histoire de Gabriel et Isaac, deux amoureux protagonistes d’un périple à travers la Cisjordanie entre le «peuple des soldats» et celui qui est soumis «à l’asservissement infamant du pouvoir militaire».

La guerre à Gaza a forcément touché l’écrivain qui vit en France, dont il a aussi la nationalité. «Ces dernières années ont été extrêmement difficiles tant sur le plan intime –on ne sait plus de quoi l’avenir est fait– que politique, explique-t-il depuis Saint-Denis de la Réunion. Comme écrivain, j’ai vu comment, dans un pays comme la France, la parole palestinienne a été silenciée. Il y a donc eu la violence étatique déployée par Israël contre les Palestiniens et celle du « silenciement » des Palestiniens. Il a été documenté: la plupart des médias ont invisibilisé les Palestiniens, leurs morts surtout les premiers mois, leur projet politique, leur humanité, et cela continue aujourd’hui que ce soit dans le déni du génocide qui est pourtant démontré par la plupart des organisations internationales ou dans le déni des paroles politiques palestiniennes». Karim Kattan pense que la situation en Belgique est peut-être différente, moins «pro-israélienne.» Néanmoins, l’accusation porte globalement sur l’attitude globale des dirigeants européens. Trop frileuse, trop soucieuse de ne pas irriter les alliés israélien et américain, trop désunie.

La démesure de la guerre israélienne à Gaza a pourtant ravivé le soutien à la cause palestinienne, en dépit de l’effroyable massacre commis par le Hamas le 7 octobre 2023. Karim Kattan est sceptique sur les conséquences de ce regain d’attention. «Qu’est-ce que cela donnera? Je ne sais pas. Hisser les drapeaux aux façades, cela ne signifie pas que les Palestiniens peuvent s’exprimer comme ils veulent dans les médias. La cause est soutenue, mais ce soutien n’est pas du tout politique. Aucune sanction n’a été prise à l’encontre d’Israël. Il y a un prétendu cessez-le-feu mais Israël continue à bombarder et à tuer des Palestiniens, cela ne semble poser aucun problème… La Palestine est certainement redevenue dans l’opinion publique comme l’un des parangons de l’injustice dans le monde. Mais cela ne change pas grand-chose.»

Difficile de démentir l’écrivain quand on observe que l’Union européenne apparaît avoir remisé dans les tiroirs un projet de suspension de l’accord d’association avec Israël depuis la conclusion de l’«accord de paix» entre l’Etat hébreu et le Hamas. «Ils savent. Ce ne sont pas des ignorants, déplore Karim Kattan en parlant des dirigeants européens. Ce qui se passe à Gaza est surdocumenté alors même qu’Israël interdit aux journalistes étrangers d’entrer dans Gaza, ce qui est absolument dingue. C’est digne de la Corée du Nord. Sauf que l’on ne traite pas Israël comme la Corée du Nord. Les dirigeants européens ne savent pas prendre les sanctions les plus élémentaires, ce qui veut dire en réalité qu’ils sont indifférents au sort des Palestiniens. Que dire d’autre?»

Dire que des milliers de sympathisants ont encore manifesté à Bruxelles le 16 novembre pour dénoncer «l’illusion du cessez-le-feu» et la poursuite des bombardements? «Que ces pressions aient un effet ou pas, on n’a pas le choix. Si elles ont un effet, tant mieux; si elles n’en ont pas, il faut les exercer quand même, répond l’auteur de L’Eden à l’aube. Il faut être dans l’action. Si je n’y croyais pas, je ne vous parlerais pas. De manière générale, l’échange, la parole sont importants; les livres sont très importants. En revanche, je ne dirais pas que des romans ont vocation à faire changer quelqu’un d’avis. Ils restent des œuvres de littérature. Et la littérature fait autre chose.»

«La Palestine est redevenue dans l’opinion publique l’un des parangons de l’injustice dans le monde. Mais qu’est-ce que cela change?»

L’autre guerre, en Cisjordanie

Le roman primé de Karim Kattan se déroule en Cisjordanie où la situation sécuritaire s’est sensiblement aggravée depuis le 7 octobre 2023: répression par l’armée israélienne, violences en toute impunité de la part des colons, extensions des colonies. Une dégradation majeure de la situation que la focalisation sur le conflit à Gaza a empêché de considérer avec toute l’attention qui aurait été nécessaire. Pour l’auteur, qui est né à Jérusalem et a grandi à Bethléem, c’est une souffrance supplémentaire. «La colonisation de la Cisjordanie est accélérée et démultipliée depuis deux ans d’une manière qui montre à quel point ce territoire est en train de disparaître sous les appétits israéliens. C’est le fait de l’action du gouvernement et de sa population. Les colons choisissent de s’installer illégalement sur ces territoires par conviction religieuse ou politique. On voit à quel point cette politique fait disparaître ce qui reste de la Palestine sous le regard indifférent du monde entier.»

La violence des colons en Cisjordanie interroge sur l’attitude de la population israélienne après le traumatisme qu’elle a vécu le 7 octobre 2023. La réalité, depuis lors, a montré le sentiment majoritaire d’indifférence ou de déni des Juifs israéliens face à la souffrance des habitants de Gaza. Pour Karim Kattan, leur réaction depuis l’accord de cessez-le-feu conforte ce sentiment. «Les Israéliens n’en ont pas grand-chose à faire des Palestiniens. Certes, il y a eu des manifestations massives contre le gouvernement, mais elles n’étaient pas contre la destruction de Gaza. Depuis le prétendu cessez-le-feu et la libération des otages, la société civile israélienne n’en a plus rien à cirer. Pourquoi personne ne se demande que sont devenues les manifestations israéliennes? Gaza est toujours enclavée comme elle l’est depuis des décennies, et elle est toujours affamée, bombardée. Les Israéliens y sont indifférents. Evidemment qu’il y a des Israéliens qui font un travail extraordinaire, par exemple les journalistes du magazine +972 ou certains défenseurs des droits de l’homme. Ils font un travail essentiel. Mais leur poids est insignifiant dans la société israélienne.»

Montrer ce qui s’est passé

Une dernière étape de ce «retour sur Gaza» nous mène à Doha, au Qatar. C’est là, dans le complexe médical al-Thumama, que l’écrivaine syrienne Samar Yazbek, qui avait déjà recueilli le témoignage de victimes de la guerre civile dans son pays dans le livre Dix-neuf femmes. Les Syriennes racontent (Stock, 2019), a interrogé 27 habitants de Gaza soignés pour leurs blessures encourues pendant les offensives israéliennes. «Comme c’est le cas pour les Palestiniens qui tentent désespérément de retrouver les restes de leurs proches pour reconstituer leurs corps, il y a urgence à collecter ces expériences pour raconter les histoires de ceux qui survivent à ces carnages et montrer aux générations futures ce qui s’est réellement passé», écrit-elle dans l’introduction de son nouvel ouvrage au titre éloquent Une mémoire de l’anéantissement (2).

La parole des Gazaouis et des Gazaouies rencontrés lors de leur convalescence entre mars et juin 2024 dit toute l’horreur vécue sous le déluge de feu de Tsahal dans les premiers mois du conflit: lors des «ceintures de feu», ces bombardements continus extrêmement violents concentrés sur une zone; par l’entremise des drones qui s’introduisent dans les maisons pour cibler les victimes; ou à travers les quadricoptères, les «robots de combat volants» aux capacités particulièrement meurtrières, souvent décrits comme les plus redoutés. Cette avalanche de moyens déployés depuis le 7 octobre 2023 a vite fait comprendre aux Gazaouis qu’ils étaient confrontés à un conflit à l’intensité inédite. C’était «quelque chose qui dépasse tout ce que nous avions connu jusque-là», avance Ibrahim Qudaih, 21 ans, qui habitait Khan Younès. «J’ai dû affronter quatre guerres, témoigne Nada Issa Ayyash, 40 ans, habitante du camp de Jabaliya au nord du territoire palestinien. Mais durant celles-ci, les bombardements étaient fractionnés, la mort et la destruction arrivaient doucement. Cela n’avait rien à voir avec le génocide.»

«Lors des précédentes guerres, la mort et la destruction arrivaient doucement.»

Les descriptions des souffrances s’enchaînent dans le livre de Samar Yazbek au rythme des bombardements menés par l’armée israélienne au plus fort du conflit. Saja Yaser Saleh, jeune fille de Deir al-Balah, raconte avoir été complètement ensevelie sous les décombres de l’habitation familiale. «J’ai aperçu une petite ouverture où je pouvais passer l’équivalent d’un doigt. Je n’arrivais pas à croire que j’étais encore vivante […]. J’ai sorti mon doigt par l’ouverture et j’ai commencé à vouloir le bouger avec force, puis faiblement, car de nouveau je n’arrivais plus à bien respirer et je sentais la mort approcher. Sans doute que quelqu’un avait vu un doigt et l’on a commencé à creuser pour m’extraire: quatre jeunes hommes ont fouillé à mains nues. Ils ne possédaient ni outils ni machines […]. Mais ces jeunes ont tout de même creusé jusqu’à réussir à me sortir.» Hajer Abou Semaan, du quartier d’al-Sabbra à Gaza-city, se souvient, elle, d’une petite fille couchée en face d’elle dans l’hôpital al-Maamadani assiégé par les Israéliens, qui s’est vidée de son sang. «Sa jambe avait été sectionnée et il n’y avait personne avec nous pour la soigner. Elle a perdu du sang, encore et encore, et a plongé dans le coma petit à petit jusqu’à ce que mort s’ensuive.»

Les perspectives sont sombres pour les Gazaouis, même le cessez-le-feu n’est pas appliqué. © NurPhoto via Getty Images

Les hôpitaux pour cibles

Plusieurs témoignages évoquent des affrontements autour ou à l’intérieur d’infrastructures bondées du système de santé, à l’hôpital Maamadani, à l’hôpital indonésien, à celui d’al-Shifa. Dans ce dernier, le docteur Khaled Abou Samra, 30 ans, rappelle que lui et ses collègues ont tenté d’alerter les médias. «Mais on nous a abandonnés, nous sauver n’avait aucun intérêt.» Malgré des tractations avec les soldats sur place pour tenter d’évacuer les patients, «ils ont pris d’assaut l’hôpital. Ils ne l’ont pas bombardé. Ils ont fait pire encore, à l’intérieur. Leur brutalité était indescriptible: ils ont éventré ici et là, détruit les murs et les machines et brisé le seul appareil d’imagerie à résonance magnétique existant à Gaza. Ils ont d’abord déposé à côté des armes qu’ils avaient apportées et qu’ils ont photographiées (NDLR: ils ont justifié l’assaut par la présence d’un QG du Hamas sous l’hôpital). C’était totalement idiot. Aucune personne sensée ne peut imaginer que l’on entrepose des armes métalliques dans une salle IRM. Ils voulaient faire croire au monde qu’ils avaient trouvé des armes dans l’hôpital. J’étais le témoin de cette falsification.»

Aujourd’hui, c’est notamment depuis cet hôpital al-Shifa que les équipes de Médecins sans frontières essaient de ramener un peu d’humanité dans la vie des habitants du territoire, entre deux bombardements israéliens. «Les Gazaoui.e.s n’ont nul besoin de notre pitié, insiste Samar Yazbek dans Une mémoire de l’anéantissement, mais que nous reconnaissions leur courage, leur dignité et leurs droits, et que nous montrions la réalité de leur malheur.»

(1) L’Eden à l’aube, par Karim Kattan, Elyzad, 336 p.

(2) Une mémoire de l’anéantissement. Les Gazaoui.e.s racontent, par Samar Yazbek, Stock, 336 p.

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