jeudi, novembre 14

Nommé à la tête d’un «Département de l’efficacité gouvernementale», l’homme d’affaires est appelé à jouer un rôle important dans la deuxième présidence du républicain. Ses activités industrielles ne devraient pas en pâtir.

Il y a d’abord le constat. «Elon Musk a mis l’entièreté de son réseau X au service de Donald Trump. Il a posté la deepfake où Kamala Harris parlait de la sénilité de Joe Biden et des méthodes de corruption qu’il lui avait enseignées. Il a mis 48 heures avant de dire que c’était un faux. Pendant deux jours, ce contenu a été disséminé aux quatre coins du monde à vitesse grand V. Les deepfakes gangrènent le cerveau. Il suffit d’y être confronté une fois pour que cela laisse une trace. Il faudrait pouvoir mesurer comment ses contenus numériques ont pesé sur l’élection présidentielle. On parle souvent de bourrage des urnes. Avec X, Elon Musk a procédé à un bourrage de cerveaux», accuse Olivier Lascar (1), auteur de Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science (Alisio, 2022). Vu l’ampleur de la victoire du milliardaire le 5 novembre (312 grands électeurs contre 216 pour la démocrate Kamala Harris, des succès dans les sept «swing states»…), difficile de penser que ce soutien ait joué un rôle décisif. Pour autant, ne devrait-il pas susciter un débat sur la santé de la démocratie américaine?

Le propos désabusé d’Olivier Lascar l’accrédite. «Il est intriguant de voir que lorsque Donald Trump est élu la première fois en 2016, le poids des réseaux sociaux est énormément questionné. L’affaire Cambridge Analytica amène à se demander comment les données dont la société disposait ont été utilisées pour modifier le cours de l’élection. Les ingérences russes dans la campagne d’Hillary Clinton éveillent le spectre d’une grande manipulation. On se dit alors qu’il va falloir faire très attention à l’utilisation des réseaux sociaux dans un cadre électoral. Or, qu’observe-t-on huit ans plus tard? La situation est tellement caricaturale que c’est comme si tout ce qui précède n’avait jamais existé. X a été instrumentalisé en faveur de Donald Trump au su et au vu de tout le monde. On n’est même plus dans le registre de la manipulation cachée. Et pourtant, cela passe crème. C’est effrayant.»

Jen Schradie, sociologue du numérique et professeure à Sciences Po, enchérit dans une tribune du journal Le Monde («Entre les mains d’Elon Musk, X n’est plus seulement un réseau social, mais une arme», le 4 novembre) et met en garde: «Elon Musk semble prêt à se servir [de cette arme] d’une façon qui marquera la politique américaine pendant des années.» Ses recherches l’ont en effet convaincue qu’«Internet favorise les conservateurs, habiles à utiliser ses plateformes pour diffuser leurs messages toujours plus proches de l’extrême droite». Elon Musk et les trumpistes, alliance gagnante d’une série d’élections présidentielles à venir?

«On parle souvent de bourrage des urnes. Avec X, Elon Musk a procédé à un bourrage de cerveaux.»

Une mission révée

En attendant, il importe d’évaluer les dividendes que tirera l’homme d’affaires de son appui au républicain réélu. Donald Trump l’a nommé le mardi 12 novembre à la tête d’un «Département de l’efficacité gouvernementale» qu’il dirigera avec un autre businessman, Vivek Ramaswamy. Celui-ci a concuru dans les primaires républicaines pour la présidence de 2024 avant de se rallier à Donald Trump. Les deux hommes «ouvriront la voie à mon administration pour démanteler la bureaucratie gouvernementale, réduire les réglementations excessives, diminuer les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales – essentielles au mouvement « Sauver l’Amérique »», a précisé le président réélu dans un communiqué. La mission est à durée limitée. Son terme est fixé au 4 juillet 2026. «Un gouvernement plus petit, plus efficace et moins bureaucratique sera le cadeau parfait à offrir à l’Amérique à l’occasion du 250e anniversaire de la Déclaration d’indépendance», a ajouté Trump.

Le Département de l’efficacité gouvernementale, dont l’acronyme en anglais, DOGE, est un «clin d’oeil» à la cryptomonnaie Dogecoin soutenue par Elon Musk, agira «en dehors du gouvernement fédéral» et sera directement rattaché à la Maison Blanche. Le patron de Tesla, Space X et autres ne devrait donc pas avoir rang de ministre, ce qui lui permettrait d’éviter les votes de confirmation au Congrès et de conserver ses acttivités industrielles. Il n’empêche, la mission s’inscrit tout à fait dans la ligne idéologique d’Elon Musk, lui qui est un fervent pourfendeur des réglementations publiques, entraves, selon lui, à la libre entreprise…

Un rôle politique, Musk a déjà paru vouloir en jouer un quand il s’est investi et a investi sa société Starlink dans le conflit en Ukraine. Il a mis ses satellites au service des Ukrainiens, pour assurer les communications entre les militaires. Mais en a réduit la possibilité quand l’armée de Kiev a voulu utiliser leurs capacités pour attaquer la flotte russe de la mer Noire stationnée en Crimée. L’homme d’affaires s’était même autorisé à publier, le 3 octobre 2022, un «plan de paix» qui avait été jugé à l’époque outrageusement favorable à la Russie, mais qui serait peut-être jugé un peu différemment aujourd’hui, après presque trois ans de guerre (Crimée russifiée, sort des autres territoires occupés soumis aux résultats d’un référendum, neutralité de l’Etat ukrainien…)

Donald Trump pourrait-il utiliser Elon Musk et la société Starlink comme «moyens de pression» pour contraindre le président Volodymyr Zelensky à la négociation? «L’usage des satellites de Starlink a été contraint. Si on pouvait affirmer au début de la guerre qu’Elon Musk était un soutien important à l’Ukraine, on ne peut plus le dire aujourd’hui. C’est beaucoup plus ambivalent, estime Olivier Lascar. Cependant, il ne faut pas minorer la réussite technique dont sont capables Elon Musk et ses sociétés. Ce que Space X a réalisé avec le lanceur Starship le 13 octobre en récupérant le premier étage de sa fusée est extraordinaire. En matière de projection de soft power et d’incarnation de la puissance technologique des Etats-Unis, il est une pièce déterminante. Mais c’est une pièce qui polarise. Comme Trump polarise…»

Pour Tesla, l’enjeu des années à venir est la voiture autonome. Un assouplissement du cadre réglementaire servirait son développement. © GETTY IMAGES

Ambiguïté envers l’Etat

Le credo du patron de Space X, Starlink et Tesla étant surtout de soigner ses activités industrielles, trouverait-il son compte dans une nouvelle présidence de Donald Trump? Sans aucun doute. Deux exemples le démontrent.

Au préalable, il faut toutefois épingler avec l’auteur d’Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science une autre ambiguïté du personnage. «L’homme est ambivalent et hypocrite dans son rapport à la puissance publique. D’un côté, il réclame le moins de règles possibles de la part de l’Etat pour pouvoir réaliser ce qu’il a envie de faire. Ainsi, dans le domaine spatial, il tweete depuis des semaines pour se plaindre de l’attitude de l’administration fédérale de l’aviation (FAA) qui met, selon lui, beaucoup trop de temps pour délivrer des autorisations de lancement de ses fusées Starship. Mais, d’un autre côté, la puissance publique lui a été bien utile et continue de l’être. Space X doit sa manne financière aux contrats que lui procure l’Etat fédéral. Le New York Times a évalué à un montant de l’ordre de quinze milliards de dollars les sommes reçues par la société de la part des différentes agences fédérales américaines au cours des dix dernières années. L’argent public, Elon Musk l’apprécie. Les règles des autorités publiques, nettement moins.»

«Elon Musk prend le contre-pied de l’argument qui dit qu’il n’y a pas de plan B parce qu’il n’y a pas de planète B. Pour lui, c’est Mars.»

Au rang des exemples de dividendes que pourrait directement tirer Elon Musk du mandat de Trump, figurent donc les commandes de la Nasa à Space X. «On peut penser que sous cette présidence, la FAA sera beaucoup plus souple dans ses autorisations de vols et de décollages», pronostique Olivier Lascar. Et il est un autre domaine où l’on aurait pu penser qu’une divergence séparait Elon Musk et Donald Trump mais qui, finalement, pourrait être servi par le mandat du second, c’est celui de la voiture électrique. On sait que l’ancien président n’était pas un fervent défenseur de ce progrès. Sa proximité nouvelle avec le patron Tesla modifiera probablement sa position. Il l’a d’ailleurs lui-même annoncé en août lors de la campagne électorale: «Elon me soutient tellement que je n’ai pas d’autre choix que de soutenir la voiture électrique»… A peine celui-ci élu, l’action de la société a d’ailleurs été valorisée à hauteur de 50% à la Bourse de New York.

Elon Musk en soutien ardent à la candidature de Donald Trump. Par admiration et intérêt. © GETTY IMAGES

Pas un écologiste

Pour Elon Musk, l’enjeu des années à venir dans ce secteur réside dans la voiture autonome. «Dépassé sur le marché mondial de la voiture électrique par le chinois BYD, il cherche à reprendre la main sur la prochaine étape du transport, la conduite autonome. Le 10 octobre, il a présenté le cœur de sa nouvelle stratégie de croissance, les taxis autonomes», commente Philippe Escande, le directeur du supplément économique du Monde. Son développement dépend beaucoup de l’assouplissement du cadre réglementaire qui régit les expérimentations dans ce créneau. Le mandat de Donald Trump pourrait l’y aider.

Selon Olivier Lascar, il n’y a pas d’un côté Musk le défenseur de l’environnement, et de l’autre, Trump le climatosceptique. Tout simplement parce que le premier n’est pas celui que le succès de Tesla définirait. «Je ne pense pas qu’Elon Musk soit venu à la voiture électrique parce que le moteur électrique empêche l’émission de gaz à effet de serre, contrairement aux moteurs thermiques. Il a investi dans ce secteur parce qu’il a fait le constat que les énergies fossiles seront épuisées à brève échéance et qu’il s’est dit qu’il fallait passer à un autre type d’énergie. Il a appuyé de temps en temps son propos de considérations écologistes pour vendre le projet ou pour trouver une typologie de clients qui y sont sensibles. Mais lui ne l’est pas. Elon Musk est quand même l’homme qui prend littéralement le contre-pied de l’argument que l’on a beaucoup entendu lors des négociations de l’accord de Paris sur le climat qui consistait à dire qu’il n’y a pas de plan B parce qu’il n’y a pas de planète B. Musk soutient le contraire. Il dit qu’il y a une planète B, Mars, et qu’il faut tout faire pour y aller. Elon Musk et Donald Trump ont sur la question du changement climatique le même point de vue: ils s’en foutent. Le premier continuera à défendre la voiture électrique pour des raisons économiques. Le second fera du «en même temps» comme Macron. Il forera à tout va et il soutiendra les activités de son nouvel ami. Mais c’est une erreur de considérer que parce qu’il est le promoteur de Tesla, Musk est un écologiste. C’est un pragmatique et un opportuniste.» On ne pourrait mieux dire que les deux hommes sont fait pour s’entendre. L’histoire dira si cette alliance a servi ou desservi les Américains et la planète.

(1) Son dernier livre a pour titre Deepfake, l’IA au service du faux (Eyrolles, 200 p).

Objectif Mars

«Elon Musk a une obsession, dont il parle régulièrement, c’est Mars. Cela fait 20 ans qu’il y travaille. Ses activités sont très diversifiées. Elles apparaissent disparates. Mais le trait d’union entre celles-ci, je pense, c’est Mars, soutient Olivier Lascar, auteur d’Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science (Alisio, 2022). C’est littéralement l’objectif de Space X, la société de lanceurs. Les satellites de Starlink envoient aujourd’hui Internet au sol; demain, ils pourront équiper une planète comme Mars. Les voitures autonomes de Tesla pourraient être très pratiques pour relier deux points d’une planète dont la surface est hostile comme Mars. Les systèmes de commande de robots par le cerveau que fabriquent Neuralink pourraient commander des ouvriers-robots sur Mars. Le point commun de toutes ces entreprises est Mars. Le projet avance de façon exponentielle. Mais Elon Musk était arrivé à un point où il avait besoin d’un partenaire politique qui lui dise « Ok, le premier voyage d’un humain sur Mars, il faut que ce soit en telle année ». Maintenant, il a ce partenaire.»

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