Les pensions du personnel statutaire, que les communes doivent elles-mêmes financer, représentent des montants de plus en plus exorbitants pour les pouvoirs locaux. Qualifiée d’insoutenable, cette réalité est vécue dans les trois régions. L’an prochain, les montants nécessaires pour les pensions dépasseront même ceux des salaires des agents statutaires encore actifs.
C’est un casse-tête, une impasse et sans doute une source de cauchemars pour quelques échevins des finances et directeurs financiers. La charge des pensions des anciens agents statutaires communaux devient de plus en plus lourde à porter, pour les finances locales. A partir de 2026, elle sera même supérieure à la masse salariale du personnel statutaire encore actif. Formulé autrement: les communes, en moyenne, vont dépenser plus pour payer leurs pensionnés (statutaires) que leur personnel (statutaire).
Inquiétante, cette projection a récemment été effectuée par Belfius, à l’occasion de son étude annuelle sur l’état des finances locales en Wallonie. En Flandre, le tableau est similaire. L’étude portant sur les communes bruxelloises arrivera après l’été, mais rien n’indique qu’elles se trouvent dans une meilleure situation, confirme Arnaud Dessoy, le responsable de ces études chez Belfius.
Les données collectées par Belfius concernent l’ensemble des entités des trois régions, considérées globalement, sans entrer de le détail commune par commune. La réalité, c’est que la problématique des pensions est disparate, elle ne touche pas chaque entité dans des proportions similaires. En général, d’ailleurs, ce sont les grandes villes qui sont les plus concernées.
«Il est possible que la situation soit plus homogène en Flandre, car les communes ont davantage profité d’incitants pour ne pas procéder à des nominations. En Wallonie, la situation est plus contrastée, entre communes, parce que certaines ont continuer à nommer plus que d’autres dans le passé», indique Arnaud Dessoy.
De moins en moins de cotisants
Comment en est-on arrivé là? En raison d’une spécificité des pouvoirs locaux, tenus de financer eux-mêmes, dans un système fermé, les pensions de leurs agents statutaires à la pension. Les autres niveaux de pouvoirs publics, comme les employeurs privés d’ailleurs, n’ont pas cette contrainte. Les agents contractuels des communes, contrairement aux statutaires, émargent au régime général des pensions.
Dans le passé, les communes se sont contentées de financer les pensions au moyen d’une «cotisation de base» prélevée auprès des agents statutaires encore actifs. Mais la proportion de statutaires partant à la retraite a augmenté, pendant que les communes ont été encouragées à ne plus nommer. Conséquence: la part de contractuels a augmenté, tandis que celle des statutaire «cotisants» a fondu.
En 2011, Michel Daerden (PS), alors ministre des Pensions, imaginait une cotisation supplémentaire, dite «de responsabilisation», pour combler une part du solde restant entre la cotisation de base et le coût réel des pensions.
«C’est à partir de 2018-2019 que le problème est vraiment apparu, malgré les alertes qui avaient été lancées. Les choses ne font que s’aggraver», explique Arnaud Dessoy. La part d’agents statutaires a diminué, rendant l’équation de plus en plus intenable. En 2019, cette catégorie représentait encore 26,3% du personnel, mais uniquement 19,4% en 2024, selon les données de Belfius. «Il faut se rendre compte que dans les années 1980, on avoisinait les 60%», recadre Arnaud Dessoy.
L’an dernière, d’après les chiffres de l’ONSS, le personnel des administrations communales se chiffrait 37.957 équivalents temps plein, un nombre qui avait connu une hausse de 2,9% par rapport à l’année précédente, mais uniquement en raison de l’engagement de personnel contractuel (+3,8%) et non statutaire (-1%).

Ce qui devait arriver arriva: la courbe de la masse salariale de l’ensemble du personnel statutaire croise en cette année 2025 celle de la charge des pensions. Et c’est le cas, pour rappel, dans les trois régions du pays.
La cotisation de responsabilisation étaient censée couvrir la moitié du différentiel entre la cotisation de base et le coût réel des pensions, au départ. En Wallonie, elle a explosé à partir de 2023, pour atteindre 75% cette année et dépasser 85% à partir de 2029, selon les projections de l’Union des villes et communes de Wallonie.
3 milliards d’euros en Wallonie, d’ici à 2030
Quelques chiffres permettent de rendre le problème financier plus tangible. Pour l’ensemble des communes wallonnes, la seule cotisation de responsabilisation représentait 75 millions d’euros en 2019, 160 millions en 2024, pour grimper à environ 320 millions à l’horizon 2030.
En englobant toutes les entités locales (communes, CPAS et provinces), toutes soumises à ce régime, il apparait que les cotisations de responsabilisation augmenteront de 295 millions entre 2024 et 230, soit des charges cumulées de l’ordre de trois milliards d’euros sur cette seconde moitié de décennie. L’enjeu fait peu parler de lui, mais il est gigantesque. En Flandre, les cotisations de responsabilisations passeront au total de 526 millions en 2025 à un milliard en 2030, soit un total cumulé d’environ 4,9 milliards d’euros.
Sans réforme du système, cela pèsera d’autant plus sur les finances communales que le personnel représente le poste le plus important (41%) des dépenses ordinaires des communes, wallonnes en l’occurrence. Et au sein de ce poste, les seules pensions représentent 16% des dépenses de personnel total, alors que le personnel qui cotise (les statutaires) représente désormais moins de 20% de l’ensemble des agents.
Les régions, à l’exception de Bruxelles, ont mis en place des systèmes d’aide ces dernières années. La Flandre prend la moitié de la facture de la cotisation de responsabilisation à sa charge. La Wallonie, elle permet aux communes les plus en difficulté d’emprunter, à travers son Plan Oxygène. Mais c’est du fédéral que sont attendues des mesures basculantes.
L’accord du gouvernement Arizona prévoit un allègement de ces charges de pension pour les communes, qui doivent encore être précisées. L’Union des villes et communes de wallonies a récemment fait part de vives craintes face à ce qu’elle appelle une répartition inéquitable. Parmi les experts en finances locales, c’est un certain scepticisme qui prévaut. De même qu’une vive inquiétude face à une catastrophe annoncée.