lundi, février 3

Les restructurations à l’œuvre dans le secteur biopharma sont le symptome d’un essoufflement, en Belgique et en Europe. Où le cash se fait plus rare…

Ils se suivent et se ressemblent, les plans de licenciement qui touchent désormais régulièrement le secteur bio et pharma belge. Qu’on en juge avec la procédure Renault (plus de 70 emplois supprimés) récemment initiée par le fleuron wallon Univercells en vue d’une restructuration qui en interpelle plus d’un. Toute fraîche également, la restructuration annoncée chez Galapagos, qui se séparera en deux entités distinctes, et pourrait provoquer la perte de quelque 200 emplois à Malines. Restructuration annoncée aussi chez Novartis, où près de 200 postes sont également menacés en Belgique. A l’été 2024, c’est la faillite de Mithra, autre ancienne fierté wallonne du secteur en matière de santé féminine, qui avait provoqué le départ forcé d’une centaine de travailleurs après la fermeture du centre de production. 

Légère inquiétude

La succession des mauvaises nouvelles (et leur fréquence) éveille l’inquiétude de parlementaires wallons, même s’ils ne veulent y voir, pour l’heure, que des cas «isolés» en Wallonie. Interrogé la semaine dernière par l’ancien patron de l’Union wallonne des entreprises Olivier de Wasseige (Les Engagés) sur le cas d’Univercells et le suivi opéré par le gouvernement, le ministre wallon en charge de l’industrie, Pierre-Yves Jeholet (MR), le concédait: «Le contexte actuel est marqué par une contraction importante du marché des levées de fonds rendant l’arrivée de nouveaux actionnaires plus difficile.»

En clair: il est moins aisé de trouver du cash

«Il y a un contexte global. On en est à 30 ans de développement, certains ont par le passé atterri dans le sable, c’est normal, parce que le secteur avance ainsi, avec des innovations de rupture.»

Frédérick Druck, directeur d’Essenscia pour Bruxelles et la Wallonie.

«A l’instar des autres entreprises du secteur des biotechnologies, le modèle économique d’Univercells repose sur une croissance rapide, soutenue par l’innovation et le développement de ses activités, financées par d’importantes levées de fonds et une progression significative de son chiffre d’affaires», a fait valoir le ministre, qui s’est voulu optimiste quant au sort des travailleurs laissés sur le carreau: «On mesure l’annonce difficile pour les travailleurs, pour les familles. On sait cependant que le secteur des biotechnologies offre des possibilités d’emploi importantes par rapport à d’autres. Nous pouvons espérer que tous ces travailleurs pourront retrouver un boulot dans une entreprise des sciences du vivant, des biotechs»

Constat partagé, sans alarmisme, par le directeur (pour Bruxelles et la Wallonie) de la Fédération belge du secteur de l’industrie chimique et des sciences de la vie (Essenscia), Frédérick Druck. «Je n’ai pas les cartes d’Univercells, de Mithra ou de Galapagos mais je comprends ce qu’ils font. D’abord il y a un contexte global. On est à 30 ans de développement, certains ont par le passé atterri dans le sable, c’est normal, parce que le secteur avance ainsi, avec des innovations de rupture

Glissement stratégique, moyens limités

«Aujourd’hui, on a atteint une masse critique d’acteurs en Belgique dans les biotechnologies et sur toute la chaîne de valeurs, que ce soit en innovation ou en production», poursuit ce spécialiste du secteur pharma. «Là, ça bouge dans ce grand écosystème, et c’est normal. Avant, quand on était « petits », une catastrophe nous aurait fort touchés. Ici, quel que soit le groupe, grand, petit, moyen, à qui il arrive quelque chose, c’est la vie normale d’un secteur très dynamique, très compétitif, surtout à l’international. Tout est intensif, qu’il s’agisse des capitaux financiers ou des capitaux humains.»

Aux premières loges dans le dossier Univercells, dans laquelle elle a injecté quinze millions d’euros, la Région, à travers Wallonie Entreprendre, dispose de ressources financières limitées pour soutenir le secteur. Le dernier rapport d’activité de la société régionale (ex-SRIW) fait état d’investissements à hauteur de 25,6 millions d’euros pour l’année 2023 en recherche et développement (dont biotechs), soit 6,2% du total des 416 millions d’euros libérés auprès de 1.342 entreprises. Pas ridicule, mais moindre que les 17% du budget attribués aux biotechs en 2022. Avec cette nuance de taille: le total d’investissements se montait alors à 227,5 millions d’euros. Certaines voix s’élèvent d’ailleurs pour interroger la pertinence de ces soutiens publics, destinés à contribuer à redresser la Wallonie mais dont les résultats se font attendre.

«Les entreprises américaines positionnées sur l’innovation n’ont aucun mal à trouver 100 millions d’euros quand elles en ont besoin.»

Frédérick Druck, directeur d’Essenscia pour Bruxelles et la Wallonie.

Reste que, comme beaucoup de représentants des industries européennes, le directeur d’Essenscia plaide pour un soutien massif des autorités politiques au secteur industriel –ce qui inclut les biotechs, grandes et petites. En ligne de mire, une plateforme de dialogue «industrie-gouvernement wallon» promise dans la Déclaration de politique régionale (DPR), mais aussi, un accès plus aisé au capital risque. Ce qui pose problème en Europe, explique Frédérick Druck, lequel déplore que les entreprises américaines positionnées sur l’innovation n’ont «aucun mal à trouver 100 millions d’euros quand elles en ont besoin». Le tout, dans un contexte de glissement stratégique, avec de gros acteurs (Pfizer, UCB, GSK), qui «tournent la page pharma  de la petite molécule chimique pour le biopharma, l’innovation qui a la plus forte valeur ajoutée».

Biotechs: pas de cash, pas d’avenir?

Dans un secteur qui a besoin de beaucoup de cash pour performer –voire simplement se maintenir à niveau –que peuvent des gouvernements amenés à se serrer la ceinture ces prochaines années? «D’autres boites continuent de lever des fonds», assure Frédérick Druck, pointant notamment la sous-exploitation d’outils européens, tel l’IPCEI (pour Projet Important d’Intérêt Européen Commun), un mécanisme  visant à promouvoir l’innovation dans des domaines industriels stratégiques et d’avenir au travers de projets européens transnationaux. Seul bémol, ce n’est pas un programme de financement, mais un moyen pour les pouvoirs publics de financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d’aides d’État. Bref, sans cash, il est à craindre que les plus gros maigrissent et que les plus maigres meurent…

Partager.
Exit mobile version