Soutenus par le Rwanda, les rebelles du M23 gagnent du terrain à l’est du Congo. Mais sur le front diplomatique, Kigali est de plus en plus isolée.
Déploiement illégal de 3.000 à 4.000 militaires de la RDF (Rwanda Defense Force) au Congo, contrôle direct du Rwanda sur les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), y compris avec du matériel de pointe comme des missiles antichars et des drones, attaques aveugles qui entraînent leur lot de victimes et de déplacés, jusqu’à des actes de «spoofing» (brouillage des GPS) près des zones contrôlées par le M23 et la RDF, qui ont touché sans distinction les vols des Nations unies, les vols humanitaires et commerciaux ainsi que les drones de surveillance… Tous ces détails sont inclus dans le dernier rapport, cinglant pour Kigali, du comité d’experts de l’ONU. Et ça ne s’arrange pas: au nord de Goma, la grande ville du Nord-Kivu, de violents combats continuent d’opposer le M23 et l’armée congolaise, appuyée par les milices Wazalendo («patriotes»). Goma est à nouveau menacée. Entre-temps, la ville de Masisi a été au centre d’âpres combats et a changé trois fois de mains en une semaine.
L’enjeu? Toujours le même: le pillage des ressources congolaises, qui sert en bout de chaîne à la fabrication de nos smartphones et ordinateurs. D’après le très fouillé rapport onusien, coordonné par la Belge Mélanie De Groof, les rebelles ont exporté frauduleusement au moins 150 tonnes de coltan vers le Rwanda en 2024, entraînant «la plus importante contamination des chaînes d’approvisionnement par des minerais non admissibles enregistrée dans la région des Grands Lacs au cours de la dernière décennie». Les flux ont commencé en avril 2024 après que le M23, à l’issue d’intenses combats, s’est emparé de la région de Rubaya, qui recèle une des plus importantes mines de coltan au monde. Le contrôle par le M23 de la route entre Rubaya et le Rwanda, élargie grâce au travail forcé des habitants, a permis de terminer le transfert en douce de la précieuse cargaison.
Progression vers le nord
«Des révélations accablantes», estime Kinshasa qui appelle à une «détermination sans faille» des partenaires internationaux. Mais les failles sont aussi du côté congolais qui peine à rétablir l’ordre à l’est depuis près de 30 ans, et à faire enfin bénéficier la population de la richesse de son sous-sol, que celui-ci se trouve en zone occupée ou sous le contrôle de Kinshasa. A la veille des élections de 2023, Félix Tshisekedi fanfaronnait encore, sur la radio Top Congo: «Si j’apprends qu’une localité a été prise par le M23 et qu’ils ont tiré sur un Congolais –un, pas deux !–, je réunis les deux Chambres en congrès et je commence la guerre contre le Rwanda.» Quelques jours plus tard, plusieurs localités tombaient aux mains de M23, au prix de la mort de nombreux Congolais. Et aucune guerre directe n’a débuté.
Les rebelles du M23 ont exporté frauduleusement au moins 150 tonnes de coltan vers le Rwanda.
Le Rwanda est un bouc émissaire facile car le M23 n’est pas seul en cause. Sur le plan politique, il peut s’appuyer sur l’Alliance Fleuve Congo (AFC), dirigée par Corneille Nangaa, originaire de l’Ituri, et qui dirigeait la commission électorale du temps de Joseph Kabila. Cela permet au Rwanda de «congoliser» davantage le M23. Mais cela nourrit aussi les craintes récurrentes d’une partition du pays. D’autant plus que quelque 150 groupes armés occupent des territoires à l’est et au nord-est. Parmi eux, les redoutables Allied Democratic Forces (ADF), originaires d’Ouganda, et appuyées par l’Etat islamique, ce qui complexifie encore davantage le tableau. L’EI a revendiqué 111 attaques entre juin et octobre 2024, avec des messages terrifiants mentionnant l’exécution sommaire de «chrétiens infidèles».
Pour ne rien arranger, voilà que la coalition M23-AFC progresse plus au nord, à Lubero, où le groupe d’Ahmad Mahmood Hassan, alias Abwakasi (la cellule la plus active et la plus meurtrière des ADF), et les groupes Wazalendo cherchent à établir leur contrôle sur la région. «La dynamique du conflit va probablement se détériorer», prédisent les chercheurs de l’ONU. Plusieurs sources leur ont confirmé que la coalition M23-AFC souhaitait un pacte de non-agression avec les ADF. D’après un ex-combattant des ADF, lors d’un rassemblement, le chef des ADF, le dénommé Bakulu, a déclaré que la coalition avait bel et bien proposé une collaboration, mais qu’il l’aurait refusée, tout en réaffirmant sa volonté de continuer à s’attaquer aux civils «infidèles». Depuis juin 2024, les ADF auraient causé la mort de plus de 650 civils dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
La réponse au Congo du Rwanda
Malgré les évidences, le Rwanda continue de nier son implication à l’est du Congo. Pour son remuant ministre des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, un ancien ambassadeur à Bruxelles qui tweete plus vite que son ombre, les attaques contre son pays relèvent d’un «langage biaisé et simpliste». Sans mentionner la question du pillage des ressources, il préfère mettre le focus sur d’autres rebelles qui occupent l’est du Congo, à savoir les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), descendants des auteurs du génocide de 1994 contre les Tutsis. Les FDLR prétendent défendre les intérêts des Hutus réfugiés en RDC et sont opposés au président Paul Kagame, un Tutsi. D’où la porosité de ce mouvement avec des membres du pouvoir congolais opposés au Rwanda…
Selon le ministre, les FDLR occupent des terres appartenant à des Congolais, y compris des Tutsis congolais marginalisés par le pouvoir. «C’est comme si une force génocidaire rwandaise était plus légitime sur le sol de la RDC qu’une communauté congolaise que la première tente d’exterminer», attaque-t-il. On se rappellera que le sort des Tutsis congolais, victimes de discours de haine, a déjà servi de prétexte au Rwanda pour lancer une offensive au Congo. C’était à la chute de Mobutu. Mais, cette fois, Kigali n’apporte aucune preuve d’une menace directe sur les Banyamulenge. Pire, «plus Kagame utilise cet argument, plus il transforme cette communauté en cible», estime un diplomate européen en poste à Kinshasa.
«Les dénégations de la présence rwandaise à l’est du Congo ne sont plus crédibles.»
Officiellement, les présidents Tshisekedi et Kagame ne se parlent plus. Bien qu’ils aient convenu d’appliquer un plan de neutralisation des FDLR en parallèle avec le désengagement des forces prorwandaises, «de profondes dissensions et une méfiance mutuelle quant à l’application et le calendrier de ces deux plans empêchent à ce jour la conclusion d’un accord de paix global», souligne le rapport de l’ONU. Plusieurs responsables congolais et des généraux des forces armées de la RDC craignent qu’accepter les conditions fixées par le Rwanda ne permette, en cas d’échec du plan de neutralisation, le maintien indéfini de la présence des militaires rwandais.
Le 15 décembre dernier, le président rwandais Paul Kagame ne s’est pas montré à la rencontre prévue à Luanda avec Félix Tshisekedi, à la fureur de son homologue angolais João Manuel Gonçalves Lourenço, le facilitateur désigné par l’Union africaine. Pourquoi cette volte-face? «Ils ont permis à l’Ouganda d’envoyer ses troupes pour combattre l’ADF, ils ont permis au Burundi d’entrer discrètement en RDC pour combattre les groupes armés qu’ils visaient, mais lorsqu’il s’est agi du Rwanda, ils ont refusé», a déclaré Paul Kagame, visant notamment les pays occidentaux.
Le vent tourne à l’UE
Après avoir bénéficié durant trois décennies de la compassion internationale, le vent est en effet en train de tourner en défaveur du Rwanda, dont les dénégations de sa présence à l’est du Congo «ne sont plus crédibles», estime Nina Wilén, directrice du programme Afrique à l’Institut Egmont. Le rapport de l’ONU et la déclaration de l’UE, qui «condamne fermement» l’occupation récente de la ville de Masisi et ses environs, en sont la preuve. Une page se tourne aussi au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le bras diplomatique de l’Union européenne, désormais aux mains de l’Estonienne Kaja Kallas. Son conseiller Afrique, un Portugais, se montre moins tendre à l’égard de Kigali que ne l’était son homologue –une Belge– dans l’équipe de Josep Borrell, et qui avait dû se défendre contre des soupçons d’être un peu trop alignée sur les intérêts de Kigali.
La donne a également changé au Royaume-Uni, un pays qui a longtemps soutenu Kigali jusqu’à vouloir y envoyer les demandeurs d’asile indésirables… Le Premier ministre travailliste Keir Starmer a rangé ce projet dans un tiroir. Quant aux Etats-Unis, ils se montrent très critiques à l’égard de Kigali. Donald Trump, lui, ne devrait pas manifester beaucoup d’attention pour l’Afrique, «encore que son tropisme affairiste pourrait l’attirer vers le Congo, davantage que vers le Rwanda qui a beaucoup moins à offrir», estime un diplomate. En décembre dernier, le Congo a déposé des plaintes pénales contre Apple et ses filiales en France et en Belgique, accusant l’entreprise américaine d’utiliser des minerais de conflit dans sa chaîne de fabrication. Trump et Tshisekedi pourraient trouver un intérêt à s’entendre. D’autant que la RDC est candidate pour devenir en 2026 membre non permanent du Conseil de sécurité, après 30 ans d’absence.
«Pourquoi tolérer dans l’est du Congo une situation d’occupation que nous ne tolérons pas ailleurs?»
«Oui, la pression augmente sur le Rwanda, mais elle arrive bien tard, alors que le M23 a repris les armes au Congo depuis 2021, constate Nina Wilén. La compétition entre les grandes puissances, pour qui le respect de l’intégrité des territoires s’avère parfois très relatif, a retardé la dynamique. D’autre part, il faut rappeler que l’UE a elle-même conclu un accord controversé en 2024 avec le Rwanda pour renforcer la coopération dans le secteur des mines (NDLR: notamment pour des matières premières critiques comme le tantale, l’or et le tungstène), ce qui contredit complètement l’idée de pénaliser ce pays pour son soutien au pillage des ressources congolaises.»
Ce n’est pas la seule contradiction au sein de l’Union européenne. En finançant la mission de sécurisation déployée par le Rwanda au Mozambique pour la lutte contre le terrorisme –et, au passage, protéger les installations du groupe pétrolier français TotalEnergies–, les 27 ministres des Affaires étrangères de l’UE prennent le risque que ces fonds –et les armes– soient détournés vers l’est du Congo. Raison pour laquelle la Belgique a fait ajouter de nombreuses restrictions dans le texte final. A la fureur de Kigali avec qui les relations sont très tendues actuellement, les deux pays n’étant plus représentés que par des chargés d’affaires. Contrairement à la France, devenue la principale alliée de Kagame…
Goma, la ligne rouge
Goma pourrait-elle être prise à nouveau? «C’est tout à fait possible militairement, analyse Nina Wilén. Mais le risque de sanctions fera réfléchir à deux fois le M23 et ses parrains. Sans parler de la réaction du gouvernement de Kinshasa. Pour les Etats membres de l’UE, c’est très probable que prendre Goma serait franchir la ligne rouge. Ils auraient du mal à faire accepter par leurs citoyens qu’on envoie de l’aide humanitaire dans l’est du Congo alors que le Rwanda en retire de juteux profits à l’exportation.» Dans les couloirs du SEAE, on pose simplement la question: «Pourquoi tolérer dans l’est du Congo une situation d’occupation que nous ne tolérons pas ailleurs?» Allusion limpide à l’Ukraine… On y rappelle que l’intangibilité des frontières, la souveraineté et la non-ingérence sont des principes endossés par les pays africains eux-mêmes.
Pourtant, le Rwanda met ouvertement en cause le tracé des frontières hérité de la conférence de Berlin de 1885. Une expansion du pays des mille collines lui permettrait de donner davantage de terres arables à une population rwandaise qui ne cesse d’augmenter et qui, de ce fait, se trouve de plus en plus à l’étroit dans les frontières actuelles. Kigali mise-t-elle sur la politique du fait accompli? D’avril à début novembre 2024, la zone contrôlée par le M23 et la Rwanda Defense Force a augmenté de 30%. La présence de ces forces rwandaises dans l’est du Congo est actuellement le seul cas en Afrique d’un pays occupé par un autre, sans y avoir été invité.