Une longue procédure judiciaire s’ouvre sur le chantier du Métro 3 à Bruxelles. Elle concernera beaucoup, beaucoup de monde. Décideurs politiques, administrations, organismes privés… Pour l’instant, personne ne s’inquiète, et peut-être que tout le monde a raison.
Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion du Métro 3 à Bruxelles, dont Le Vif avait révélé le contenu en exclusivité, a déclenché plusieurs événements qui, chacun à leur manière, devront faire la lumière sur les erreurs commises, leur gravité et ceux qui les portent. Presque simultanément, une commission spéciale au sein du parlement bruxellois ainsi qu’une information judiciaire menée par l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) sont mises sur pied. Cette information judiciaire devra, dans un second temps, estimer si des soupçons sont assez lourds que pour ouvrir une instruction, alors que la commission spéciale pourrait également déboucher sur une commission d’enquête. Alors, qui doit craindre le couperet?
L’OCRC creusera certainement encore un peu plus profond, sans mauvais jeu de mots, que la Cour des comptes dont le rapport servira probablement de base à l’organisme judiciaire. Et il y aura matière à creuser. Depuis la première mention officielle du métro en 2006, cinq gouvernements bruxellois se sont succédé, avec comme ministres concernés (à la mobilité ou aux travaux publics) Pascal Smet (Vooruit), Brigitte Grouwels (CD&V), Bruno De Lille (Groen), et Elke Van den Brandt (Groen). Pour les ministres en charge de Beliris, il y aura eu Laurette Onkelinx (PS), Didier Reynders (MR), Karine Lalieux (PS) et, depuis février 2025, Bernard Quintin (MR). Déjà là, il y a un bel arc-en-ciel politique.
A la frontière entre mauvaise gestion et infraction pénale
Sauf que ces ministres ne sont pas forcément responsables de la mauvaise gestion opérée par les organismes que critique la Cour des comptes dans son audit. Cela, la commission parlementaire spéciale l’a également compris puisqu’elle interrogera la Stib, Beliris, Bruxelles-Mobilité, la société momentanée Toots (chargée de construire la station de métro Toots Thielemans, en plein centre-ville), la société momentanée BMN (chargée du projet de la gare du Nord jusqu’à Bordet, à Evere) ainsi que le consortium d’entreprises dirigé par le bureau d’ingénieurs Sweco. (A souligner, sans que cela soit suspicieux pour autant, que l’ancien bourgmestre socialiste de Bruxelles, Yvan Mayeur, figure dans l’organigramme de TPF Engineering, une branche de la société momentanée BMN, depuis 2021.)
C’est là que le casse-tête pour les enquêteurs de l’OCRC commencera. Il faudra déterminer à qui incombent les erreurs pointées par la Cour des comptes, et d’autres s’ils en trouvent, et si elles sont suspectes au point d’outrepasser le cadre pénal. «Ce sera toute la question: savoir s’il y a une violation pénale, indique l’avocat constitutionnaliste spécialisé en droit des marchés publics, Me Jean Laurent. Ne pas avoir les documents (NDLR: comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes) ne relève pas spécialement du pénal. Une décision mal motivée, non plus.» Par exemple, la Cour des comptes critique la manière dont Beliris a rédigé le marché public, liant l’étude de faisabilité à la réalisation du projet. «Aucune norme ne dit que c’est interdit. Ce qui est irrégulier, en revanche, c’est qu’un architecte soit payé par l’entrepreneur du projet. Mais ce n’est pas une infraction pénale, elle relève du droit de la construction.»
Un ping-pong de responsabilités
Si des infractions pénales ressortent dans le travail des enquêteurs, il faudra encore déterminer qui en est le responsable. Dans le monde politique avec qui Le Vif a pris langue, on assure que les organismes publics sont autonomes. «On n’intervient pas dans les contrats que la Stib noue avec le privé, ce n’est pas le job du politique», note l’un d’entre eux. Balle renvoyée du côté de la Stib. «Ce n’est pas la Stib qui décide de construire le Métro 3, de s’attribuer des budgets, de dessiner les plans de la sorte. Ce sont des décisions politiques.»
Outre les responsabilités d’acteurs publics, les erreurs des sociétés privées missionnées sur le chantier du Métro 3 feront certainement l’objet d’un coup d’œil de l’OCRC. La Cour des comptes a, par exemple, prouvé que ces sociétés n’ont pas examiné les archives du sous-sol de la ville de Bruxelles au moment de creuser un tunnel à proximité du Palais du Midi (toujours en plein centre-ville), impliquant indirectement la démolition prochaine de celui-ci (bien que deux recours aient été déposés ce lundi au Conseil d’Etat à ce sujet).
Bref, l’information judiciaire ouverte par le Parquet de Bruxelles sur le métro durera probablement plusieurs années, sans compter la procédure d’instruction si celle-ci s’avère nécessaire. Du côté de la Stib, on se dit justement «serein» face à cette démarche qui, assure toujours la Stib, lavera l’organisme des soupçons et amalgames qui l’entourent depuis plusieurs semaines. Dans le camp politique non plus, on ne se barde pas encore d’avocats. Si l’OCRC trouve quelque chose, il y aura, dans tous les cas, des surpris.




