dimanche, décembre 7

A quel point Jeffrey Epstein et Donald Trump étaient liés? Plongée au sein de leur relation, pour tenter de comprendre le silence du président américain à l’égard du prédateur sexuel. Dont tout le monde connaissait les travers. Sauf Trump?

Celle à qui Jeffrey Epstein a menacé de jeter un sort à ses enfants à naître s’il n’aimait pas ce qu’elle écrivait à son sujet ne l’a toujours pas oublié.

«C’était effrayant», se souvient Vicky Ward, une femme mince aux cheveux blond clair et à l’accent britannique légèrement atténué par ses années passées à New York.

Il lui a dit qu’il allait engager un sorcier. Et lui a demandé dans quel hôpital elle allait accoucher.

Epstein l’a avertie qu’il pouvait faire en sorte que ses enfants ne soient acceptés dans aucune école de Manhattan. Son mari risquait de perdre son emploi.

Epstein l’appelait presque tous les jours, raconte Vicky Ward.

C’était il y a maintenant 23 ans.

Vicky Ward, 56 ans, est journaliste et auteure de plusieurs best-sellers. Elle a été rédactrice en chef pour CNN et a écrit pour de grands journaux et magazines.

À l’automne 2002, elle a été chargée de réaliser un portrait de Jeffrey Epstein pour Vanity Fair. «A l’époque, il était une sorte de personnage à la Great Gatsby, on parlait beaucoup de lui, mais personne ne savait qui il était vraiment», explique-t-elle. Comme dans le roman classique de F. Scott Fitzgerald, qui raconte l’histoire du mystérieux célibataire Jay Gatsby, qui organise des fêtes somptueuses dans sa villa pour la haute société new-yorkaise.

Une simple recherche, pensait-elle à l’époque. Epstein vivait à New York, elle aussi. Elle allait lui rendre visite, l’interviewer, appeler quelques contacts à Wall Street, rédiger son portrait. Vicky Ward attendait alors des jumeaux, une grossesse à risque, elle ne devait pas prendre l’avion, ne pas faire d’efforts, ne pas s’énerver.

Cette «simple histoire», selon elle, s’est avérée être «un cauchemar».

Lorsque Vicky Ward se met en tête, à l’automne 2002, de découvrir qui est Jeffrey Epstein, la notoriété de ce dernier grandit au même rythme que son ventre.

«On dit aussi qu’il apprécie les belles femmes autant que moi, surtout les très jeunes femmes»

Le New York Magazine le décrit alors, dans le seul article important qui lui est consacré, comme un «magnat international de la finance plein de secrets».

Un ami est également cité dans l’article: Epstein serait «un type formidable». On peut beaucoup s’amuser avec lui, dit-il. «On dit aussi qu’il apprécie les belles femmes autant que moi, surtout les très jeunes femmes.»

Cet ami s’appelle Donald J. Trump.

A cette époque, Epstein venait de faire un voyage en Afrique avec l’ancien président Bill Clinton, l’acteur oscarisé Kevin Spacey et le top model Naomi Campbell à bord de son Boeing 727, dans le cadre d’une campagne de lutte contre le sida organisée par la Clinton Global Initiative.

C’est à ce moment-là qu’Epstein sort pour la première fois de l’ombre aux yeux du grand public.

Sans jamais quitter l’obscurité.

Epstein: un nom devenu synonyme du fait que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne

Jeffrey Epstein est mort depuis plus de cinq ans, mais il semble étrangement plus vivant que jamais. Depuis plus de 20 ans, les crimes d’Epstein occupent la justice américaine –et avec elle, la politique.

Son nom est devenu synonyme du fait que ceux qui détiennent le pouvoir sont soumis à des règles différentes de celles qui s’appliquent au reste de la population. Que la richesse et l’influence se conditionnent mutuellement et que ceux qui en disposent peuvent contourner les lois et les règles.

Cela tient d’une part aux crimes qu’il a commis. Epstein, cet homme aux yeux de reptile, à la chevelure épaisse et au bronzage éternel de ceux qui ont réussi à se faire une place au soleil, a abusé sexuellement d’enfants et d’adolescents à une échelle que l’on peut qualifier d’industrielle. Sa méthode de recrutement des filles s’apparentait à une sorte de système pyramidal, avec près de 1.000 victimes. Il se faisait livrer des filles comme d’autres des repas.

Jeffrey Epstein a montré qu’un homme qui s’entoure de présidents, de princes et de lauréats du prix Nobel n’avait rien à craindre pendant très longtemps, quoi qu’il fasse.

Les questions soulevées par cette affaire ont toujours le pouvoir de secouer la sphère politique américaine.

Qui était au courant de son réseau pédophile, qui y a participé, qui a étouffé l’affaire? Qui s’en moquait tout simplement parce qu’il ou elle voulait avoir accès à ses cercles, à son argent?

Si les mystères subsistent après sa mort, c’est aussi à cause de Donald Trump. L’homme qui, pendant la campagne électorale, avait promis, bien que timidement, de divulguer les dossiers Epstein s’il était élu président, est revenu sur sa promesse.

Pourquoi? Cette question pèse depuis des mois. Pourquoi se comporte-t-il de manière si étrange? Est-il plus impliqué dans cette affaire qu’on ne le pense? L’affaire Epstein a, du moins temporairement, éloigné le président d’une partie de sa base, qui lui est pourtant habituellement inconditionnellement fidèle.

Des milliers de pages de dossiers judiciaires sur Epstein ont déjà été rendues publiques, mais elles sont loin d’être toutes accessibles. Dans les documents publiés, de nombreux passages sont caviardés. Les enregistrements audio et vidéo des interrogatoires qui ont duré plusieurs jours, ainsi que les registres de vol de ses voyages, sont en partie toujours sous scellés.

De nouvelles informations sont parfois révélées. Récemment, des pages de l’agenda d’Epstein ont été publiées. Selon celles-ci, le milliardaire d’origine allemande Peter Thiel, ancien soutien de Donald Trump et mécène du vice-président JD Vance, aurait déjeuné avec lui.

Bill Gates a fait la fête avec Epstein en 2014 et Elon Musk devait –c’était sans doute prévu– se rendre avec lui sur son île, également appelée «l’île des orgies». Musk a immédiatement démenti.

Le livre de la victime la plus célèbre d’Epstein, Virginia Roberts Giuffre, a récemment été publié. Elle y décrit en détail comment Epstein l’aurait présentée au prince Andrew d’Angleterre alors qu’elle avait 17 ans. Ce dernier nie ces accusations, mais sous la pression du roi Charles III, il n’est désormais plus autorisé à porter ses titres royaux.

Les partisans de Trump et les démocrates s’accordent sur les dossiers Epstein

Presque toute l’Amérique s’accorde sur la nécessité de rendre publics les dossiers Epstein. Une initiative bipartisane émanant de membres du Congrès vise à contraindre le gouvernement et le ministère de la Justice à le faire. Même les partisans de Trump et les démocrates s’accordent sur ce point. La commission de surveillance de la Chambre des représentants a convoqué plusieurs personnalités politiques de premier plan, dont le couple Clinton, afin qu’elles témoignent dans l’affaire Epstein.

«Chaque Américain devrait savoir que Jeffrey Epstein était ami avec certains des hommes les plus puissants et les plus riches du monde, a déclaré la porte-parole de la commission. Il est grand temps que la ministre de la Justice Bondi rende publics tous les dossiers.»

Il est peu probable qu’elle le fasse. La ministre de la Justice est une fidèle exécutrice des souhaits de Donald Trump. Et en ce qui concerne Epstein, le président est désormais passé en mode «Quoi, il y avait quelque chose?»

«Les gens parlent encore de ce type? Ce dégoûtant?» Epstein serait «une blague des démocrates». Une arnaque. So boring.

«Je n’étais pas fan», affirme Trump.

« C’est une pure perte de temps de s’occuper de ça.»

Beaucoup ne sont pas d’accord.

Selon un sondage Ipsos réalisé en juillet, près de 70 % des personnes interrogées pensent que le gouvernement cache quelque chose dans l’affaire Epstein.

Ses réactions ont plongé le président dans la plus grande crise de son second mandat cet été. Même les fans de Trump n’aiment pas les personnes qui abusent des enfants.

Photo de Trump et Epstein prise à Mar-a-Lago, le 12 février 2000. (Photo Davidoff Studios/Getty Images) © Getty Images

Depuis lors, le sujet couve; parfois, il est refoulé. Par exemple, par l’agitation autour du meurtre de Charlie Kirk, par la fermeture des autorités fédérales. Mais il ne disparaît pas pour autant.

Trump est le maître du «nous contre eux» –tant que cela lui convient. Il a commencé sa carrière politique en mentant sur l’acte de naissance de Barack Obama. Trump a beaucoup fait pour rendre les adeptes des théories du complot acceptables en société, explique le journaliste Will Sommer, qui s’intéresse depuis longtemps à l’émergence de telles théories.

Trump a également tenté de faire de Jeffrey Epstein le parrain pédophile des élites libérales. Cela a plu à sa base. Mais aujourd’hui, ses électeurs se demandent pourquoi le président s’est si rapidement désintéressé de la vérité. Le «nous contre eux» de Trump s’estompe.

Trump-Epstein, une amitié masculine assez publique

Lors de sa visite officielle au Royaume-Uni il y a quelques semaines, des militants ont projeté des images d’Epstein et de Trump sur le mur du château de Windsor. L’ambassadeur britannique à Washington, Peter Mandelson, a été limogé en raison de ses liens avec Epstein. Et puis il y a cette carte de vœux récemment découverte, envoyée à l’occasion du 50e anniversaire d’Epstein, sur laquelle figure la signature de Trump, avec des références à des «secrets» communs et un dessin suggestif représentant une femme nue, que Trump nie avoir jamais écrite.

Le 17 mars 2010, Epstein est affalé devant une caméra dans un fauteuil en cuir massif, un micro est caché dans le col de son polo gris, il est interrogé hors champ:

– «Avez-vous déjà eu une relation personnelle avec Donald Trump

– «Que voulez-vous dire par relation personnelle?»

– «Avez-vous eu des relations privées avec lui?»

– «Oui, monsieur.»

– «Oui?»

– «Oui, monsieur.»

– «Avez-vous déjà eu des relations avec lui en présence de personnes de sexe féminin âgées de moins de 18 ans?»

Epstein, la tête appuyée sur sa main, semble presque amusé:

«Vous savez que je répondrais volontiers à cette question, mais aujourd’hui au moins, je vais faire valoir mon droit et invoquer les 5e, 6e et 14e amendements de la Constitution.» Epstein énumère les principes fondamentaux de la Constitution, selon lesquels nul n’est tenu de s’incriminer lui-même et chacun a droit à un procès équitable.

Pour lever tout doute: Donald Trump n’a commis aucun délit en rapport avec Jeffrey Epstein; il n’a jamais fait l’objet d’une enquête dans cette affaire. Il n’y a rien qui l’incrimine à cet égard. Le fait que Trump ait été reconnu coupable dans une affaire civile pour agression sexuelle est une autre histoire.

Lors de sa visite officielle au Royaume-Uni il y a quelques semaines, des militants ont projeté des images d’Epstein et de Trump sur le mur du château de Windsor. © In Pictures via Getty Images

Les deux hommes étaient amis jusqu’en 2004 environ, c’est un fait connu, documenté, il existe des photos et des vidéos.

Epstein aime s’asseoir au premier rang des défilés de mode de la marque de lingerie Victoria’s Secret, qui envoie ses mannequins presque nues sur le podium, avec des ailes d’ange et un peu de paillettes. Tout comme Donald Trump. Une vidéo montre les deux hommes peu avant un défilé en 1999, Trump est déjà accompagné de Melania.

Quand Epstein aime une fille, peu importe où, il se fait parfois passer pour un agent de mannequins.

Une autre vidéo datant de 1992 montre les deux hommes en train de danser et de chuchoter à Mar-a-Lago, la propriété de Trump en Floride. Il porte une cravate rose vif, Epstein une chemise en jean, et la chanson «Rhythm Is a Dancer» de Snap passe en fond sonore.

Le glamour des magazines people: des fêtes en Floride et à New York, entourés de mannequins, de pom-pom girls et d’avions privés

Epstein était également invité au mariage de Trump avec sa deuxième femme, Marla Maples.

Une amitié masculine assez publique, qui a duré environ quinze ans. Le glamour des magazines people: des fêtes en Floride et à New York, entourés de mannequins, de pom-pom girls et d’avions privés.

Les deux hommes se ressemblaient en quelque sorte, tous deux originaires de la banlieue new-yorkaise, ils avaient réussi à intégrer la haute société de Manhattan.

Puis il y a eu une dispute, les deux hommes se sont brouillés, probablement à cause d’un bien immobilier. Depuis, c’est le silence radio, selon Trump, et jusqu’à présent, rien ne contredit cette version.

L’histoire du livre d’or

En juillet, Donald Trump a poursuivi le Wall Street Journal de Rupert Murdoch en justice pour obtenir dix milliards de dollars de dommages et intérêts en raison de ses articles sur Epstein. Fausse représentation, atteinte à la réputation, diffamation. Lorsque Trump est offensé, il intente un procès. Il en va de même lorsqu’il souhaite intimider quelqu’un. L’attaque est sa défense.

Il s’agit d’un article qui mentionne un prétendu message de félicitations de Trump à Epstein pour son cinquantième anniversaire, le 20 janvier 2003.

Ce message n’existe pas, affirme Trump.

Le problème, c’est que le livre d’or contenant le message de félicitations pour le cinquantième anniversaire d’Epstein est apparu début septembre.

Trois volumes reliés en cuir de veau intitulés «The First 50 Years», les 50 premières années. Edité par Ghislaine Maxwell, l’ancienne amie d’Epstein, mais à l’époque probablement plus qu’une simple complice. Au sens propre du terme. Maxwell a été condamnée à 20 ans de prison en 2022 pour sa complicité dans les crimes d’Epstein. Elle est à ce jour la seule personne à être incarcérée en lien avec Epstein.

Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell en juin 1997. (Photo Dave Benett/Getty Images) © Getty Images

Les félicitations, qui proviendraient de Trump, correspondent exactement à la description faite par le Wall Street Journal.

Le texte est un dialogue imaginaire entre Epstein et le futur président, qui réfléchissent ensemble à ce qu’est le bonheur «quand on possède déjà tout». Les phrases sont encadrées par les courbes d’une femme dessinées au feutre noir.

«Nous avons certaines choses en commun, Jeffrey», peut-on lire. Et: «Un ami, c’est une chose formidable

Il faut bien dire que ce n’est pas le passage le plus déplaisant de ce livre d’or, qui atteint des sommets en matière de répugnance.

Les 238 pages sont difficiles à supporter, car une chose est claire: la vie sexuelle débridée d’Epstein était un secret de polichinelle pour la plupart des personnes qui lui ont adressé leurs félicitations. Le livre célèbre l’absence de scrupules avec laquelle il la vit, et il en est félicité.

En référence au «Vieil homme et la mer» d’Ernest Hemingway, le milliardaire Leon Black écrit une ode à Epstein, mais celui-ci n’attrape pas de poissons ici, mais des femmes: «blondes, rousses ou brunes».

On vient d’apprendre que Leon Black a transféré plus de 150 millions de dollars à Epstein au fil des ans. Epstein travaillait comme une sorte de gestionnaire financier pour le titan de Wall Street; Black est l’un des hommes les plus riches d’Amérique. Mais il s’occupait également de ses affaires privées, par exemple en dissimulant les relations extraconjugales de Black et en le conseillant sur la manière de régler discrètement les plaintes pour viol ou harcèlement sexuel: à savoir en versant beaucoup d’argent. Selon les recherches du New York Times, Black a versé plusieurs centaines de milliers de dollars à au moins trois femmes qui étaient en contact avec Jeffrey Epstein.

Donald et Melania Trump, avec Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell, en février 2000. (Photo by Davidoff Studios/Getty Images) © Getty Images

Un ami, dont le nom a été caviardé, qualifie Epstein de «dégénéré» et s’enthousiasme en disant qu’il n’y a qu’un seul problème avec lui: «Tant de filles, si peu de temps».

Un professeur émérite de Harvard fait réaliser une «empreinte de sein», qu’il peint ensuite à l’aquarelle et dédie à Epstein.

Presque toutes les contributions rendent hommage à un homme dont les obsessions sexuelles n’étaient apparemment un secret pour personne.

Ces textes, dessins et photographies ont été réalisés par des milliardaires, des lauréats du prix Nobel et des personnalités politiques de premier plan.

Une illustration de type bande dessinée représente Epstein distribuant des ballons à des enfants, puis, dans l’image suivante, se faisant masser et satisfaire par ces mêmes enfants 20 ans plus tard. Une fille est penchée sur lui, ses initiales sont tatouées sur sa fesse.

Au-dessus de la scène vole son Boeing, surnommé «Lolita Express», et en arrière-plan se dessine son île privée, Little Saint James, qu’il surnomme «Little Saint Jeff’s».

Epstein s’y rendait régulièrement avec ses amis. Et avec ses filles.

Donald Trump a un jour qualifié cette île d’«île des prostituées»; il a déclaré n’y être jamais allé, «contrairement à Bill Clinton».

Lui aussi félicite Jeffrey Epstein dans le livre, entre autres pour sa «curiosité enfantine» et son désir de «faire bouger les choses».

Un homme du nom de Nathan envoie des photos d’animaux sauvages avec des organes génitaux en érection. Il écrit que ces images sont «plus appropriées que tout ce qui pourrait être exprimé avec des mots».

Leslie Wexner, milliardaire du textile originaire de l’Ohio, ami et client d’Epstein, écrit dans son message: «Cher Jeffrey, je voulais t’offrir ce que tu désires vraiment… le voici…»

Wexner a dessiné des seins nus.

Et celle qui a rassemblé et compilé tout cela signe également. D’un simple «Joyeux anniversaire, Love, Ghislaine». Accompagné d’une photo d’elle. Nue dans la piscine, dans les bras d’Epstein.

C’est un document hors du temps, dans lequel le sexe, la disponibilité des femmes –ou des filles, des enfants– semblent être quelque chose que l’on peut obtenir ou se faire livrer comme une canette de Coca bien fraîche par une chaude journée d’été.

Mais est-ce vraiment hors du temps? 2003 n’est pas si loin.

Vicky Ward apparaît également dans le livre d’or. Alan Dershowitz, l’avocat d’Epstein et ancien professeur de droit à Harvard, lui consacre une page avec une fausse couverture du magazine Vanity Un-fair.

La journaliste raconte qu’en parcourant le document, tout lui est soudainement revenu en mémoire. Ce terrible mois de janvier, il y a près de 23 ans, où Epstein l’appelait tous les jours et la menaçait à cause de son portrait. Il voulait la forcer à écrire ce qu’il voulait. Ce mois où son médecin lui avait conseillé à maintes reprises de laisser tomber «cette histoire». Ce mois où elle avait commencé à avoir des contractions et avait été admise en salle d’accouchement. Ce mois où elle avait donné naissance à ses jumeaux, plusieurs semaines avant terme, tous deux trop petits, trop légers. Tous deux en danger de mort.

Vicky Ward se demande encore aujourd’hui si la naissance prématurée de ses fils n’était pas la conséquence de ses recherches traumatisantes sur Epstein.

Une pyramide d’abus: au sommet, Epstein, juste en dessous Maxwell

Ghislaine Maxwell est à ce jour la seule personne à avoir été condamnée à une peine de 20 ans de prison pour son implication dans l’affaire Epstein, notamment pour traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.

Début octobre, la Cour suprême des Etats-Unis a rejeté son recours en appel.

Si Epstein était le créateur de ce système perfide d’exploitation sexuelle, Maxwell en était l’exécutrice. Elle lui fournissait les filles en se liant d’amitié avec elles. Elle les formait. Et leur montrait comment elles devaient à leur tour recruter de nouvelles filles.

Une pyramide d’abus: au sommet, Epstein, puis Ghislaine Maxwell, fille de l’éditeur britannique Robert Maxwell.

Ils ont formé un couple pendant un certain temps, puis elle est devenue son assistante.

Vicky Ward, la journaliste qui n’a jamais abandonné l’affaire Epstein, même après son portrait pour Vanity Fair, a enregistré une série de podcasts sur Ghislaine Maxwell, qu’elle connaissait aussi personnellement de loin. Dans l’un d’eux, on demande à l’une de ses amies pourquoi Epstein a quitté Maxwell. En réponse, l’amie se contente de rire: «Eh bien, Ghislaine n’avait plus 18 ans».

Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell à New York en 2005 (Photo Joe Schildhorn/Patrick McMullan via Getty Images) © Patrick McMullan via Getty Image

Epstein avait l’argent, mais Ghislaine Maxwell, fille de la haute société britannique diplômée d’Oxford, avait les contacts. C’était son réseau, qui s’étendait jusqu’à la famille royale britannique. Jusqu’au prince Andrew, avec qui elle était très amie.

Interrogé par des journalistes à son sujet alors qu’elle était en détention préventive, Donald Trump a déclaré: «Honnêtement, je lui souhaite bonne chance».

Au cours de l’été, Ghislaine Maxwell a été interrogée pendant neuf heures par le vice-ministre de la Justice, un événement plutôt inhabituel. Todd Blanche a autrefois représenté Donald Trump en tant qu’avocat.

«Je n’ai jamais vu le président se comporter de manière inappropriée», a-t-elle déclaré à Todd Blanche, ce qui n’est pas surprenant, et l’enregistrement audio a été rapidement rendu public . «Le président ne s’est jamais comporté de manière inappropriée envers qui que ce soit. Chaque fois que j’étais présente, il s’est comporté en gentleman à tous égards.»

Peu après l’interrogatoire, Maxwell a été transférée de sa prison actuelle vers une autre, où les mesures de sécurité sont moins strictes. Ses conditions de détention devraient désormais être nettement plus confortables.

Pourquoi se serait-il suicidé?

Le 10 août 2019, Jeffrey Edward Epstein, âgé de 66 ans, est déclaré mort, exactement cinq semaines après son arrestation.

Selon le médecin légiste de la ville de New York, il s’est pendu dans sa cellule du Metropolitan Correctional Center à Manhattan avec un morceau de tissu orange: suicide.

Et toutes les questions qui accompagnaient sa vie, les circonstances étranges, se posent également à sa mort.

Pourquoi un homme dont beaucoup disent qu’il n’avait aucune tendance suicidaire se tue-t-il après à peine plus d’un mois de détention? Pourquoi y avait-il plusieurs draps dans la cellule, et non un seul comme le prescrit le règlement? Pourquoi les images des caméras de surveillance étaient-elles incomplètes? Pourquoi les gardiens, qui étaient censés vérifier sa cellule toutes les demi-heures, dormaient-ils alors qu’il venait d’être retrouvé avec des blessures au cou? Pourquoi son codétenu avait-il été transféré juste avant, laissant Epstein seul, alors qu’il n’aurait pas dû l’être?

L’ancien ministre de la Justice parle d’«irrégularités graves» dans la surveillance d’Epstein. Néanmoins, il s’agit d’un suicide, a déclaré Bill Barr.

La journaliste Vicky Ward affirme avoir parlé à l’avocat d’Epstein peu avant sa mort. Celui-ci était optimiste quant à une libération rapide d’Epstein: en raison d’un accord négocié lors d’un précédent procès en 2007, qui stipulait de renoncer à toute nouvelle poursuite pénale.

Les partisans du slogan «Make America Great Again» ne sont donc pas les seuls à penser qu’Epstein a été assassiné dans sa cellule afin de protéger d’éminents complices.

Il n’est pas totalement absurde de voir les choses ainsi.

Pendant plus de 20 ans, Jeffrey Epstein a assouvi ses fantasmes.

Les filles avaient 14 ou 16 ans, parfois plus.

Elles venaient le voir dans son hôtel particulier de sept étages situé dans l’Upper East Side, où une sculpture représentant une mariée pendait au plafond de l’atrium, attachée à une corde. Où des dizaines de globes oculaires artificiels, encadrés, fixaient les visiteurs depuis les murs.

Elles montaient les escaliers recouverts de moquette rose pour se rendre aux étages supérieurs.

Extrait du livre «Nobody’s Girl» de Virginia Roberts Giuffre, l’une des victimes d’Epstein, photographiée ici avec le prince Andrew et Ghislaine Maxwell(Photo Rasid Necati Aslim/Anadolu via Getty Images) © Anadolu via Getty Images

Des photos de nus sont accrochées dans la salle de massage. Dans les salles de bains, on trouve des grands conditionnements de lubrifiant de la marque Joy Jelly. Saveur pêche.

Il faisait venir les filles par exemple d’un collège du Queens ou, pour sa propriété de Palm Beach, des lycées de la région.

Parfois, il se contentait de les peloter. Parfois, il les violait.

Parfois, il les emmenait sur son île privée dans les Caraïbes.

Parfois, il leur faisait livrer des fleurs après une représentation théâtrale à l’école.

Pour son portrait dans Vanity Fair, Vicky Ward, alors enceinte, avait rendu visite à Epstein chez lui. Sa maison de ville, comme elle la décrit, ressemblait à un «fantasme autoritaire». Il y vivait parce qu’il n’y avait «rien de plus grand» à New York, selon ses propres mots. Cinq milles mètres carrés pour lui seul.

Qui n’a qu’un jet privé quand il peut en avoir deux, plus un hélicoptère? Une simple propriété à Palm Beach, une péninsule sur la côte dorée de Floride, alors qu’il peut posséder une véritable île dans les Caraïbes? Un ranch au Nouveau-Mexique, un appartement à Paris?

Qui se contenterait d’un orgasme par jour alors qu’il peut se faire livrer des filles toutes les heures?

Est-ce ça, l’ascension sociale? La mégalomanie? Le sentiment d’être invincible?

Le bureau d’Epstein: des murs lambrissés, de lourds rideaux, un bureau sur lequel sont soigneusement empilés des catalogues d’art. Chagall, Michel-Ange.

Un tigre empaillé repose sur le tapis persan coloré.

Plutôt une nature morte qu’un espace de vie.

Cachées dans les plafonds, dans les moulures : des caméras de surveillance.

L’appartement de Jeffrey Epstein à Paris © NurPhoto via Getty Images

Une partie du modèle commercial d’Epstein: le silence. Un donnant-donnant apparemment, où l’un sait sur l’autre ce qui ne doit pas être divulgué à l’extérieur, et vice versa. Qu’il s’agisse de sexe ou d’argent.

Selon le New York Times, une première édition de «Lolita» de Vladimir Nabokov s’y trouvait également. Dans ce roman publié en 1955, l’alter ego de Nabokov, un professeur de littérature d’âge mûr, tombe amoureux d’une fillette de douze ans qu’il viole à plusieurs reprises.

«Epstein est charmant, mais son charme ne s’étend pas à son regard»

Vicky Ward souhaite interviewer Jeffrey Epstein pour son portrait, mais celui-ci refuse dans un premier temps. «Jouons aux échecs, lui dit-il. Vous avez les blancs, vous commencez.» Le comportement d’Epstein est celui d’un homme «qui a l‘impression de toujours gagner, quels que soient les avantages de l’autre camp», écrit-elle dans son portrait.

«Epstein est charmant, mais son charme ne s’étend pas à son regard», ajoute-t-elle. Celui-ci reste toujours dur et calculateur.

Personne ne sait vraiment d’où vient son argent

Né à Brooklyn dans une famille juive, Epstein est issu d’un milieu plutôt modeste. C’est un bon élève, particulièrement en mathématiques.

Très tôt, il cherche à se rapprocher d’hommes puissants et riches. Il quitte l’université sans diplôme pour enseigner à la Dalton School de New York, où l’élite de Manhattan envoie ses enfants les plus doués. Il y donne des cours particuliers à un garçon, le fils du futur président de la banque d’investissement Bear Stearns.

C’est ainsi que Jeffrey Epstein devient banquier d’affaires.

Il devient rapidement associé junior chez Bear Stearns, puis quitte brusquement la banque. Officiellement, pour se mettre à son compte.

D’autres parlent de délit d’initié. Il aurait été démasqué. Il est interrogé par la SEC, l’autorité de surveillance des marchés financiers, mais n’est pas inculpé.

Il touche néanmoins une prime de 100.000 dollars l’année de son départ.

Les services secrets, murmure-t-on. La CIA. Le Mossad. Ce ne sont que des rumeurs, des ragots qui n’ont toujours pas été dissipés à ce jour

Depuis lors, personne ne semble vraiment savoir ce que fait Jeffrey Epstein, d’où vient son argent.

Alors que d’autres gestionnaires de fonds spéculatifs font de la publicité auprès de leurs clients, Epstein n’est connu que d’un seul homme depuis longtemps. Le milliardaire Leslie Wexner, originaire de l’Ohio, un magnat du textile qui possède des marques telles que Abercrombie & Fitch et Victoria’s Secret.

Les services secrets, murmure-t-on. La CIA. Le Mossad. Ce ne sont que des rumeurs, des ragots qui n’ont toujours pas été dissipés à ce jour. Comme tant d’autres. Quel gouvernement ne souhaiterait pas être en relation avec un homme qui a des contacts partout dans le monde, comme Jeffrey Epstein?

Sur les buffets et les commodes de sa maison de ville de l’Upper East Side, on trouve des photos encadrées. Partout. Epstein avec le pape, Epstein avec Bill Clinton. Avec Mick Jagger. Avec Elon Musk et Fidel Castro. Avec l’ancien président de Harvard Larry Summers et le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane.

Et il y a une photo avec Donald Trump, Melania à ses côtés.

Jeffrey Epstein en 2019. (Photo by Kypros/Getty Images) © Kypros

Il existe également un billet d’un dollar signé par Bill Gates, encadré. «J’avais tort!», a écrit le fondateur de Microsoft sur le visage de George Washington. Un pari entre Gates et Epstein?

Des années plus tard, Melinda Gates racontera dans une interview que les liens entre son mari et Epstein ont été l’une des raisons qui l’ont poussée à demander le divorce. Lorsque Gates rencontre Epstein pour la première fois en 2011, celui-ci est déjà un délinquant sexuel condamné.

Elle a rencontré cet homme une fois, raconte Melinda Gates. Pour elle, il incarnait «le mal personnifié». Elle ajoute: «Après cela, j’ai fait des cauchemars».

En 2006, Epstein est arrêté pour la première fois à Palm Beach.

Il fait l’objet d’une enquête depuis 2005, notamment pour relations sexuelles avec des mineurs. La police locale transmet l’affaire au FBI.

Avec l’aide de ses avocats, qui sont des dizaines et parmi les meilleurs, Jeffrey Epstein négocie un accord qui est encore considéré aujourd’hui par les juristes comme exceptionnel, car il accorde à l’accusé –qui est, rappelons-le, soupçonné de crimes sexuels graves– des avantages considérables.

dix-huit mois de prison, en échange de quoi Epstein a plaidé coupable d’avoir recruté une mineure à des fins de prostitution. Une seule mineure.

Six jours par semaine, Epstein avait le droit à un «congé de travail»: il ne passait que les nuits en prison. À sept heures du matin, son chauffeur venait le chercher et le ramenait chez lui, soi-disant pour y travailler.

Au bout de treize mois, il est libéré avant terme.

A cela s’ajoute un accord de non-poursuite, qui stipule qu’il ne fera l’objet d’aucune autre poursuite pénale dans d’autres affaires. C’est ce qu’on appelle un sweetheart deal en Amérique.

C’est Alexander Acosta, procureur fédéral du sud de la Floride, qui a négocié cet accord avec Epstein. En 2017, il est nommé ministre du Travail par Donald Trump.

«Je ne suis pas un délinquant sexuel, je suis un simple délinquant. Il y a une différence. On ne compare pas un meurtrier à quelqu’un qui a volé un bagel», explique Epstein au New York Post en 2011.

Beaucoup semblent partager son point de vue.

Epstein, désormais inscrit au registre des délinquants sexuels, continue de vivre comme avant.

« Pour beaucoup de vos invités, vous semblez être un livre fermé, mais vous savez tout sur tout le monde »

En janvier 2016, il fête son 63e anniversaire chez lui, dans l’Upper East Side.

«Pour beaucoup de vos invités, vous semblez être un livre fermé, mais vous savez tout sur tout le monde», écrit l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak à Jeffrey Epstein à propos de cette soirée. Il le qualifie de «collectionneur d’êtres humains».

Jeffrey Epstein au défilé Victoria’s Secret en 1995 à New-York. (Photo Patrick McMullan/Patrick McMullan via Getty Images)

Le magnat de l’immobilier Mortimer Zuckerman rédige une sorte de recette pour l’hôte, un plat qui, selon le New York Times, devrait refléter «la culture de la maison»: une salade simple, écrit Zuckerman, accompagnée de «tout ce qui renforce les performances sexuelles de Jeffrey».

Et le réalisateur Woody Allen, un voisin qui passe souvent avec sa femme, note à la machine à écrire que la plus grande résidence privée de Manhattan lui rappelle le «château de Dracula». Avec de «jeunes vampires féminines» qui servent les invités.

La revendication des victimes: tout doit être rendu public

Washington, 3 septembre 2025.

Teresa Helm monte sur un petit podium, derrière elle, aussi net qu’un papier peint photo, le Capitole. Elle règle le micro et dit: «Bonjour, je suis une survivante de Ghislaine Maxwell et Jeffrey Epstein».

Teresa Helm a 45 ans, c’est une belle femme vêtue de noir. Son histoire ressemble à celle de tant d’autres qui ont croisé le chemin d’Epstein et de Maxwell.

Teresa Helm suivait une formation de kinésithérapeute lorsque Ghislaine Maxwell lui a demandé si elle voulait travailler pour elle. «J’ai été systématiquement recrutée pour être abusée», dit-elle.

Cela fait maintenant 23 ans, mais elle se souvient de chaque détail.

Elle a pris l’avion la veille depuis la Floride, où elle vit avec ses deux enfants, pour se rendre à Washington. Elle est venue ici, devant le Parlement, pour faire pression sur le gouvernement avec d’autres femmes qui ont été abusées par Epstein.

Leur revendication: tout ce qui concerne l’affaire Jeffrey Epstein doit être rendu public.

Teresa Helm à Washington, avec d’autres victimes de Jeffrey Epstein (Photo Chip Somodevilla/Getty Images) © Getty Images

Elles bénéficient du soutien d’une curieuse alliance non partisane qui a pris en charge le parrainage de cette initiative.

Thomas Massie, un député républicain du Kentucky. Protestant convaincu, il est l’un des rares à ne pas renoncer à ses principes pour son président. Il y a aussi le jeune démocrate Ro Khanna, un Californien à qui certains prédisent une carrière prometteuse. Et Marjorie Taylor Greene, personnalité MAGA flamboyante de Géorgie, qui jusqu’à présent n’avait jamais manifesté le moindre scepticisme à l’égard de Trump. Mais cela est en train de changer rapidement; l’attitude de Trump envers Epstein n’est qu’une des raisons de ce revirement.

Les propres partisans de Trump se joignent désormais à la prétendue «supercherie sans fin des démocrates».

«Ils veulent vous faire croire que deux personnes, qui ont des centaines de victimes sur la conscience, ont agi seules», s’écrie Thomas Massie sur la pelouse devant le Capitole.

«Le peuple américain sait que ce n’est pas vrai.»

A côté de lui, une femme tient une banderole: «Il est sur la liste.»

«Votre petite fille n’est pas en sécurité dans le monde de Trump.»

«Croyez les victimes, rendez les dossiers publics.»

Ce matin-là, Annie Farmer se trouve également devant le Capitole. Avec sa sœur aînée Maria, Annie Farmer a été la première victime d’Epstein à se rendre à la police, puis au FBI. Mais rien ne s’est passé. C’était en 1996, Annie Farmer avait alors 16 ans. La déclaration des sœurs Farmer n’a eu aucun écho.

En 2002, elles racontent à Vicky Ward ce qui leur est arrivé avec Jeffrey Epstein. La journaliste le relate dans son portrait publié dans Vanity Fair. Il existe deux versions différentes de la suite des événements.

Vicky Ward affirme qu’Epstein a fait pression sur le rédacteur en chef du magazine de l’époque et a supprimé le passage concernant les sœurs. Graydon Carter, alors directeur de Vanity Fair, affirme que le paragraphe sur les filles et les abus dont elles ont été victimes était juridiquement contestable. Epstein aurait tout nié, et il l’aurait cru.

L’affaire Jeffrey Epstein, c’est aussi cela: un échec judiciaire sans précédent, qui s’est étendu sur plus de deux décennies

L’affaire Epstein aurait peut-être pris une autre tournure si le passage sur ce qui était arrivé à Maria et Annie Farmer dans les années 1990 avait été publié dans Vanity Fair en 2003. Peut-être que des centaines de filles auraient été épargnées, auraient pu être protégées. Car l’affaire Jeffrey Epstein, c’est aussi cela: un échec judiciaire sans précédent, qui s’est étendu sur plus de deux décennies.

Sur le podium devant le Capitole, Teresa Helm lit maintenant sur un bout de papier comment Ghislaine Maxwell l’a entraînée dans le réseau d’Epstein. Sa voix tremble légèrement. Après tant d’années, la colère est toujours vive.

Elle parle de «tous les autres qui étaient impliqués». Et qui restent toujours impunis.

«Il est temps que nous nous débarrassions des coupables», déclare-t-elle.

Les complices, les complices passifs. Mais personne ici, devant le Capitole, ne cite de noms.

La crainte des poursuites pour diffamation peut en être une raison, mais Jeffrey Epstein a également multiplié la culpabilité par ses abus. Son système pyramidal perfide prévoyait que les filles recrutent d’autres filles et soient également rémunérées pour cela. Qu’elles s’exploitent elles-mêmes.

Certaines victimes semblent détester davantage l’ancienne petite amie ou camarade de classe qui les a entraînées dans le réseau d’Epstein qu’Epstein ou Maxwell eux-mêmes, comme le prouvent les témoignages. A cela s’ajoutent sans doute des accords juridiques secrets; les auteurs sont riches, il y a beaucoup d’argent en jeu. A ce jour, la succession d’Epstein a versé 170 millions de dollars aux victimes.

(Photo Andrew Harnik/Getty Images) © Getty Images

Pendant que teresa Helm et les autres femmes racontent leur histoire devant le Capitole, Donald Trump est interrogé par des journalistes dans le Bureau ovale au sujet d’Epstein. «Ça suffit», répond-il sèchement.

Teresa Helm n’était pas une victime typique. Elle n’était pas assez jeune, pas assez pauvre, pas assez brisée. Beaucoup l’étaient: pauvres et d’une certaine manière brisées. Des filles qu’on aurait eu du mal à croire si elles avaient raconté ce qui leur était arrivé, dans la maison de ville de l’Upper East Side ou dans la propriété d’El Brillo Way. Leurs familles ne représentaient aucun danger.

En Floride, il les trouvait dans les parcs de caravanes de West Palm Beach, qui n’a en commun avec la riche péninsule de Palm Beach que le pont qui relie les deux quartiers. A New York, il les trouvait dans des banlieues comme le Queens. C’était Ghislaine Maxwell, sa fidèle collaboratrice, qui jouait le rôle de recruteuse de victimes. Maxwell a dit à Teresa Helm qu’elle cherchait une assistante pour voyager avec elle à travers le monde: une kinésithérapeute en formation serait parfaite.

«Veille à donner à Jeffrey ce qu’il veut. Jeffrey obtient toujours ce qu’il veut.»

Pour l’entretien d’embauche, Maxwell l’a fait venir de Los Angeles à New York en avion, où un chauffeur l’attendait à l’aéroport. Il l’a conduite dans un appartement de l’Upper East Side, où un panier garni de biscuits et de fruits l’attendait dans la cuisine.

Elle a passé la journée suivante chez Maxwell, qui lui a fait un massage jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Selon Teresa Helm, Maxwell était aimable, drôle et chaleureuse.

Le lendemain, elle l’a envoyée chez son «partenaire Jeffrey».

«Veille à donner à Jeffrey ce qu’il veut, lui aurait dit Ghislaine Maxwell. Jeffrey obtient toujours ce qu’il veut. »

Epstein l’aurait accueillie dans la cuisine, en peignoir.

Une scène courante, si l’on en croit les plus de 150 femmes qui accusent encore aujourd’hui Epstein de les avoir abusées sexuellement. Beaucoup d’entre elles étaient mineures à l’époque des faits.

Epstein, raconte Teresa Helm, l’aurait emmenée dans son bureau à l’étage supérieur. Elle lui aurait d’abord massé les pieds, puis il l’aurait violée.

Teresa Helm quitte précipitamment la maison d’Epstein. «Ne fais rien que je ne ferais moi-même», lui crie-t-il. Elle le prend comme une menace.

Quand on interroge Teresa Helm sur les dossiers Epstein, sur ce qu’elle attend des responsables politiques et judiciaires, elle répond qu’elle ne sait pas ce que signifient «ces dossiers», ce qu’ils contiennent. Mais elle sait «que ceux qui sont responsables de ces crimes ont laissé des traces».

«Il est impossible de maintenir une telle situation aussi longtemps sans aide, affirme Teresa Helm. Ils ont bénéficié d’une aide considérable – alors, qui sont ces personnes ?»

Pour le savoir, Teresa Helm a voté pour Donald Trump en novembre 2024. Il devait révéler ce que d’autres gardaient secret. L’espère-t-elle encore aujourd’hui ?

Oui, dit-elle. Elle s’accroche à cette conviction. A l’idée que la vérité finira par éclater et que les complices et les complices passifs seront enfin amenés à rendre des comptes.

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