Du mythe de la «mémoire visuelle» à la diabolisation du «par cœur», les idées reçues sur la mémorisation dans le contexte scolaire sont nombreuses. Quelles méthodes éviter, lesquelles privilégier?
Les mains tremblantes, le front en sueur, l’étudiant pioche une fiche au hasard. Un coup d’œil rapide à la question, puis le cerveau se fige subitement. «Le théorème de Bernoulli, c’était quel chapitre encore?» Tic, tac, tic, tac. Le temps de préparation file. Le trou noir, lui, subsiste.
Des années après avoir quitté les bancs de l’université, les souvenirs d’examens oraux impitoyables continuent de hanter de nombreux diplômés. Qui ressassent, non sans amertume, les heures passées à réviser leurs cours, sous les conseils (pas toujours très avisés) de leurs proches. Car entre neuromythes et légendes urbaines, les clichés sur les techniques de mémorisation ont la vie dure. Ces sept idées reçues sont loin, en effet, d’être efficaces.
1. «Relire le cours plusieurs fois aide à le mémoriser»
C’est un conseil classique, rabâché à l’envi par tout parent angoissé: «Relis encore une fois avant de dormir, ça finira par rentrer.» L’expérience prouve souvent le contraire. «La relecture passive entretient en réalité une illusion de la connaissance, nuance Sébastien Martinez (1), coach en mémorisation et champion de France de mémoire. L’apprenant risque de se concentrer sur ce qu’il sait déjà et de minimiser ses lacunes.»
La relecture n’est pas en soi contre-productive, «mais à temps de travail égal, ce n’est pas la méthode la plus efficace», complète Mathieu Hainselin, maître de conférences en psychologie à l’université de Picardie Jules Verne. Elle créera un «sentiment de familiarité» avec certains concepts («la loi de Pareto, ça me dit quelque chose»), qui peut s’avérer utile pour réussir un questionnaire à choix multiple, mais qui se révèlera «trop superficiel» pour s’en sortir face à des questions ouvertes.
La clé de la mémorisation réside plutôt dans un «entraînement par effort de récupération», avance Sébastien Martinez. Une stratégie d’apprentissage active, qui consiste à se tester pour tenter de se souvenir de la matière ingurgitée. «Par exemple, on prendra le plan du cours sous les yeux, puis on essayera de restituer tous les détails cachés derrière ce plan. Ce processus rendra la relecture bien plus efficiente ensuite, car on passera moins de temps sur les principes déjà maîtrisés, mais davantage sur les concepts oubliés ou les erreurs commises.» Plus l’effort de récupération sera régulièrement activé, plus le chemin d’accès vers la connaissance sera facile et rapide, insiste, de son côté, Mathieu Hainselin.
Plus on active de sens différents, plus la rétention d’informations sera efficace.
2. «Certains étudiants ont une mémoire visuelle»
Réviser avec des images pour les uns, réécouter le cours pour d’autres: la méthode miracle de mémorisation résiderait, selon 60% à 75% de la population, en une adaptation personnalisée à chaque profil d’apprenant, selon qu’il soit visuel, auditif, scriptural ou encore kinésique. Or, la science a démontré que cette croyance populaire n’était autre qu’un neuromythe. Cette hypothèse séduisante n’a en réalité «aucune incidence sur les performances mnésiques», tranche Mathieu Hainselin, qui évoque une «confusion» entre une préférence et un déterminant performatif. «Certains privilégieront la lecture d’un support plutôt que son écoute, comme certains préfèreront le chocolat blanc au chocolat noir, ce qui n’a rien de discutable en soi, reconnaît le maître de conférences. Mais le danger, c’est de se limiter à une modalité unique d’apprentissage.»
L’être humain est en réalité «profondément multisensoriel», confirme Sébastien Martinez. Plus il activera de sens différents, plus sa rétention d’informations sera efficace. Le cerveau fonctionne à l’image d’un réseau routier, via des chemins interconnectés. Si l’endroit où est stockée la connaissance n’est accessible que par une seule route, mais que celle-ci est fermée en raison d’un effondrement de voirie, l’apprenant sera incapable de la restituer. «En revanche, si cet endroit est accessible par différents moyens de transports –en train, en bus ou en bateau– l’apprenant aura plus de chances de s’en souvenir, même en cas de perturbations sur le rail», schématise Mathieu Hainselin.
«Pour qu’un mot soit mémorisé de manière implicite, il faut y être exposé à peu près huit fois.»
3. «Apprendre par cœur ne sert à rien»
Tout étudiant en langue y a été confronté: des listes de vocabulaire à rallonge, recrachées le jour de l’examen, puis enterrées 48 heures plus tard. Souvent diabolisé, le «par cœur» a pourtant de nombreuses vertus. «On a tendance à associer ce type de mémorisation à une absence totale de compréhension, et donc à quelque chose de très négatif, observe Serge Bibauw, professeur de didactique du français langue étrangère à l’UCLouvain. Or, cela reste un des outils les plus efficaces pour un apprentissage rapide.»
Comme le rappelle le professeur, la maîtrise d’une langue (ou de toute autre matière) repose sur deux socles fondamentaux: les connaissances et les compétences. Les premières sont indispensables au développement des secondes. En langues, l’acquisition de ces connaissances peut se faire de manière implicite, c’est-à-dire dans un contexte d’apprentissage informel (à travers les séries, les livres ou la musique), ou de manière explicite, par l’étude pure de listes de vocabulaire. «Les deux méthodes fonctionnent, reconnaît Serge Bibauw. Le problème, c’est que pour qu’un mot soit mémorisé de manière implicite, il faut à peu près huit expositions (NDLR: les estimations varient entre cinq et quinze) à celui-ci avant d’être enregistrer définitivement, même s’il a été décodé et compris lors de la première exposition.»
Les listes de vocabulaire, a fortiori ciblées sur le domaine d’expertise souhaité, ont donc la vertu d’optimiser l’apprentissage et de le rendre plus rapide. Un avantage non négligeable dans un contexte scolaire où le nombre d’heures de langues étrangères enseignées hebdomadairement restent encore limitées.
4. «Faire trop de pauses nuit aux apprentissages»
Contrairement aux idées reçues, les sessions d’apprentissage doivent être courtes (voire très courtes) pour être les plus efficaces. Et toujours entrecoupées d’une pause. Un principe qui tient aux capacités d’attention relativement limitées de l’être humain. «Or, l’attention est la première faculté nécessaire à la mémorisation, avant l’encodage et la répétition», rappelle Sébastien Martinez.
Pour un apprentissage efficient, le champion de France de mémoire conseille la méthode Pomodoro, qui consiste en un apprentissage fractionné en sessions de 25 minutes. «Chaque bloc doit être entrecoupé de micropauses d’environ cinq minutes, précise le coach en mémorisation. Au bout de quatre séances de 25 minutes, l’étudiant peut s’autoriser une pause plus longue, de quinze à 20 minutes.» Grâce à cette optimisation des capacités attentionnelles, l’apprenant pourra retenir davantage de contenu sur une même durée d’étude, et ce, de manière plus durable, complète Mathieu Hainselin.
«Autorisons-nous à inventer des histoires pour retenir les choses, quitte à partir sur des associations loufoques.»
5. «Ecouter de la musique favorise la concentration»
Réciter ses verbes irréguliers sur du Britney Spears, le combo gagnant? Pour les experts en mémorisation, c’est (plutôt) non. Car là encore, les capacités attentionnelles risquent d’être mises à mal. «L’être humain est simplement incapable de s’adonner à deux tâches coûteuses en attention de manière simultanée», tranche Mathieu Hainselin. Si un fond sonore est envisageable dans le cadre d’une tâche automatique (vider le lave-vaisselle, remplir un tableur Excel…), il est inconcevable dans le cadre de la mémorisation pure. A fortiori si la musique comporte des paroles, qui plus est dans la langue maternelle de l’apprenant. Le recours à la musique classique ou au bruit blanc pour couvrir une pollution sonore peut, en revanche, s’avérer utile, à défaut d’un casque antibruit.
Cela dit, la musique peut avoir une vertu énergisante, qui peut motiver l’apprenant à débuter sa session. «Elle est également associée au plaisir, ce qui peut rendre le processus d’apprentissage plus ludique», rappelle Sébastien Martinez. Globalement, le coach en mémorisation insiste pour intégrer cette dimension divertissante tout au long du procédé. «Autorisons-nous à nous inventer des histoires pour retenir les choses, quitte à partir sur des associations complètement loufoques, suggère-t-il. Quand la logique ne suffit pas à retenir un concept, il faut faire preuve d’imagination.» L’expert prend l’exemple du mot hindi «bhāī», qui signifie «frère» en français: pourquoi ne pas imaginer son frère en train de bailler pour encoder le terme?
6. «Trois semaines de blocus suffisent à maîtriser un cours»
L’étudiant belge en est friand: trois mois de sorties à gogo, avant trois semaines de révisions acharnées. Mais l’efficacité des blocus, aussi intensifs soient-ils, ne rivalisera jamais avec celle d’une étude régulière de la matière. «L’apprentissage massé, à savoir des révisions très denses sur une période courte (généralement au dernier moment) peut sauver légèrement les meubles, mais ne permettra jamais une consolidation de la matière à long terme, insiste Mathieu Hainselin. Car plus la courbe d’apprentissage monte très vite, plus elle chute aussi rapidement.» Or, la majorité des formations universitaires sont cumulatives et nécessitent de maîtriser certains concepts durant des années avant d’en emmagasiner d’autres, rappelle Sébastien Martinez.
Ces blocus intensifs augmentent en outre le stress et nuisent à la qualité du sommeil, qui a pourtant une vertu de consolidation du savoir, indispensable à la fonction mémorielle.
La clé réside donc dans la régularité. «Apprendre, ce n’est pas un bouton on-off, insiste Sébastien Martinez. C’est un long processus, presque un voyage.» A ce titre, le système de récupération (ou de répétition) espacée est le plus souvent cité par les experts. «En langues, on testera par exemple régulièrement son vocabulaire avec des petites cartes à tirer, expose Serge Bibauw. Si on réussit tout de suite à trouver la traduction, on replacera la carte à l’arrière de la pile. Si pas, on la remettra au milieu pour être à nouveau confronté à son erreur rapidement.» Une méthode qui porte ses fruits, selon Mathieu Hainselin. «Entre un apprentissage massé et une récupération espacée, l’étudiant peut passer d’une note de 14/20 à 18/20, et ce, à volume de travail équivalent.»
7. «Recopier plusieurs fois un mot permet de l’ancrer dans sa mémoire»
Dans la lignée du mythe de la mémoire scripturale, certains étudiants ont tendance à recopier des théories, voire des chapitres de cours entiers, pour parvenir à les mémoriser. Une méthode totalement inefficace, même dans le cas de l’apprentissage des langues. «Si on recopie un mot 30 fois, on apprend à l’écrire, absolument pas à le mémoriser, tranche Serge Bibauw. Cela peut entraîner la reconnaissance visuelle du mot et consolider l’orthographe, mais ça s’arrête là.»
En effet, l’acte de recopiage sollicite uniquement la boucle phonologique de la mémoire de travail, qui ne suffit pas à mémoriser un mot. «Le plus important pour retenir ce terme, c’est de faire le lien entre sa forme et son sens, pointe le professeur de français langue étrangère. Là encore, la récupération est indispensable: il faut s’obliger à se tester, à retrouver sa traduction ou son synonyme pour l’imprimer définitivement.»
(1) Sébastien Martinez, Les Champions de la mémoire: la méthode extraordinaire pour apprendre aux enfants et aux ados à tout retenir, Premier Parallèle, 176 p.
Mémoire et TDAH
Les élèves ou les étudiants souffrant de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) éprouvent-ils davantage de difficultés à mémoriser leurs leçons? «Le TDA est dominé par une perturbation de la sphère attentionnelle, rappelle le Pr. Joachim Schulz, directeur du service de neurologie du CHU Saint-Pierre. Or, l’attention est vraiment «la» sphère cognitive en lien avec toutes les autres sphères. Par conséquent, si l’attention est perturbée, il y aura potentiellement une incidence sur toutes les autres sphères cognitives.»
Les TDA rencontreront généralement une moindre efficacité de leur mémoire de travail et de leur mémoire à court terme, en raison de ce système attentionnel déficitaire et de stratégies de rétention de l’information moins fluides. Cela peut conduire à des oublis fréquents et à une désorganisation importante, qui peuvent nuire aux apprentissages.
Toutefois, les capacités de mémorisation à long terme ne sont pas affectées à proprement parler par le TDAH. «La mémoire en tant que telle peut être tout à fait fonctionnelle, insiste Joachim Schulz, et ce, en dépit des difficultés de concentration rendant leurs processus stratégiques et exécutifs d’entrée en mémoire moins efficients que la moyenne.»
















