L’encre de l’accord de Washington était à peine sèche que les rebelles prorwandais s’emparaient d’Uvira. Les Etats-Unis n’ont pas laissé faire.
Et de trois. Après les prises de Goma et Bukavu en janvier 2025, Uvira est la troisième ville stratégique de l’est du Congo à être tombée, le 10 décembre, aux mains des rebelles du M23, soutenus par le Rwanda. Longtemps annoncée, la chute de cette cité en bordure du lac Tanganyika a provoqué un véritable séisme au sein des forces déployées pour la défendre, où l’on trouvait pêle-mêle des forces loyalistes (FARDC), appuyées par l’armée burundaise, des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et les milices wazalendo (RDC). A la demande des Etats-Unis, les rebelles ont finalement annoncé, le 15 décembre, leur retrait de la ville. Pourtant, des «accords pour la paix et la prospérité entre la République démocratique du Congo et le Rwanda» venaient d’être signés une semaine plus tôt à Washington entre les présidents Kagame et Tshisekedi, en présence de Donald Trump: «Regardez comme ils s’aiment l’un l’autre!», a lancé celui-ci avec ironie. De fait, ils ne se sont même pas serré la main, ni même regardés… L’objectif principal des accords était clair à défaut d’être aisé: établir un climat de confiance entre le Congo et le Rwanda au travers de la neutralisation des FDLR, apparentés aux auteurs du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et le désengagement des forces rwandaises. On est loin du compte.
«Un accord qui met autant l’accent sur la neutralisation des FDLR n’est forcément pas très bon pour le Congo.»
Avantage au Rwanda
Pourquoi, dès lors, avoir signé? «Les Etats-Unis ont exercé beaucoup de pression sur les deux parties, surtout congolaise, observe Joshua Walker, analyste du Groupe d’étude sur le Congo basé à la New York University. Le Rwanda, lui, a joué de manière fort stratégique.» Un exemple: au départ des négociations, l’idée s’est imposée que la condition de la signature de l’accord serait le retrait inconditionnel des troupes rwandaises. Mais dans la version signée, cela n’a plus été le cas. La neutralisation des FDLR a pris le dessus sur le retrait des forces rwandaises, exprimé sous l’euphémisme de «levée des mesures défensives du Rwanda». «Un accord qui met autant l’accent sur la neutralisation des FDLR n’est forcément pas très bon pour la RDC. Parce que ce sera très difficile de prouver qu’il ne reste plus un seul milicien.»
Le même jour, Washington et Kinshasa ont signé un accord bilatéral pour l’exploitation de minéraux stratégiques en échange d’investissements américains massifs. «Quand on l’analyse, on se rend compte que le Congo fait énormément de concessions aux Etats-Unis. C’est même peut-être le document le plus important issu de ce sommet –les autres étaient déjà soit signés, soit paraphés.» Que recevra Tshisekedi en contrepartie? «La question reste ouverte. Pour ramener la paix et la sécurité au Congo, les Etats-Unis n’ont pas encore utilisé tous les outils à leur disposition…» Mais le bâton est déjà brandi: «Les actions du Rwanda dans l’est de la RDC constituent une violation claire des accords de Washington signés par le président Trump, a fustigé le secrétaire d’Etat Marco Rubio sur X. Et les Etats-Unis prendront des mesures pour garantir le respect des engagements pris envers le président.»
Encore faut-il vouloir les mettre en œuvre: le Rwanda est considéré comme un pays pro-occidental qui rend de multiples services sur des terrains de conflit en Afrique, notamment pour contrer l’influence russe. Et qui joue de la culpabilité américaine et européenne de n’avoir pas empêché le génocide de 1994. Pour faire pression sur Kigali, les Américains peuvent actionner plusieurs leviers comme le gel des avoirs, des sanctions économiques, des restrictions de visa, la suspension de la coopération militaire et des ventes d’armes, voire l’augmentation des droits de douane sur des produits comme le café, le thé, le tantale, etc. Paul Kagame, lui, nie toute violation de l’accord, arguant que les combats étaient déjà en cours lors de la signature. D’après l’ambassadeur américain à l’ONU, on comptait début décembre «de 5.000 à 7.000 soldats» rwandais dans l’est du Congo.

Le rôle de l’émirat
L’Etat du Qatar est l’autre négociateur de la crise congolaise. La signature d’un accord-cadre a minima, le 15 novembre à Doha, entre les rebelles et Kinshasa avait également été suivie d’un regain de violence sur le terrain. «Les bonnes relations en matière d’investissements qu’entretient le Qatar avec le Rwanda et aujourd’hui avec le Congo ont permis une percée dans le processus en mars dernier, lorsque –ce fut une surprise– les deux leaders se sont retrouvés à Doha autour de l’émir al-Thani, rappelle Joshua Walker. Mais le Qatar ne dispose pas des mêmes leviers d’influence que les Etats-Unis pour changer le cours des événements.» Interrogé par Le Vif, Majed al-Ansari, conseiller du Premier ministre qatarien, reconnaît qu’«il reste beaucoup de travail à faire. Ce conflit ne se terminera pas par la signature d’un document. Nous continuerons à dialoguer avec les deux parties.»
Jusqu’à quand les protagonistes joueront-ils avec les nerfs des négociateurs? «L’écart entre les accords de paix et la réalité du terrain est un problème qu’on voit de plus en plus, constate Joshua Walker. C’est la conséquence, entre autres, de la volonté de certains acteurs d’avancer rapidement et de vouloir profiter du momentum». Mais si le gap devient trop important, comme actuellement, il pourrait faire dérailler tout le processus… «Au dernier Forum de Doha (NDLR: qui a réuni début décembre plus de 5.000 participants autour de thèmes géostratégiques), le consensus semblait être que l’époque des accords de paix globaux au tournant du XXIe siècle était révolue, poursuit le chercheur new-yorkais. Et qu’à la place, on ne pouvait plus s’attendre qu’à des deals davantage motivés par des intérêts économiques que par des questions humanitaires.» Les grands accords comme celui négocié au début du siècle à Sun City, en Afrique du Sud, pour le partage du pouvoir au Congo ne seraient plus dans l’air du temps. Place aux gains immédiats, de préférence en liasses de dollars.




