Le gouvernement augmente régulièrement les accises sur le tabac. Ce fut encore le cas lors d’une récente batterie de mesures contre le tabagisme. Malgré une idée reçue, il semble en réalité que le tabagisme coûte bien plus qu’il ne rapporte à l’Etat, donc à la collectivité.
Quelques dizaines de millions par-ci, quelques dizaines de millions par-là. Il n’est pas rare, à l’occasion de la confection d’un budget, que le gouvernement fédéral annonce une augmentation des accises sur le tabac.
En ce début d’année 2025, le ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke (Vooruit) a confirmé une série de mesures visant à lutter contre le tabagisme. Parmi elles, une augmentation de la fiscalité, comme attendu. Le revenu supplémentaire annuel devait se chiffrer à 120 millions sur la période 2021-2024, selon l’accord conclu au sein de la Vivaldi.
«L’impact d’une série de décisions qui ont été prises au moment de la formation du gouvernement et lors de la confection du budget 2024 se traduit par une augmentation des accises nominales totales de 52 euros par 1.000 cigarettes et de 42,6 euros par kilo de tabac à fumer, a-t-il précisé. Pour un paquet de cigarettes, le prix a donc augmenté d’environ deux euros (+/- 25 %, en fonction du prix fixé par le fabriquant, évidemment). Pour les cigarettes électroniques, une accise de 0,15 euro par millilitre est instaurée.»
La fiscalité sur le tabac se situe pile au croisement des enjeux budgétaires et des objectifs en matière de santé publique, même si les accises préexistaient aux politiques de lutte contre le tabagisme.
En attendant, l’idée selon laquelle l’Etat s’enrichit sur le dos des fumeurs circule. Au fil des années, les recettes des accises sur les tabacs manufacturés ont connu une longue courbe ascendante: 197 millions d’euros en 1970, pour franchir le seuil du milliard en 1996, puis celui de deux milliards en 2012. Les recettes se chiffraient à 2,7 milliards en 2023, auxquelles on peut encore ajouter la TVA, pour dépasser allègrement les trois milliards au total.
La hausse des prix incite bien au sevrage, selon les experts en tabacologie. C’est une méthode qui fonctionne. A l’inverse, selon Cimabel, la fédération belgo-luxembourgeoise des fabricants de cigarettes, la fiscalité sur le tabac est un citron qui a déjà été suffisamment pressé, à tel point que les augmentations provoqueraient un manque à gagner, en poussant les fumeurs à acheter à l’étranger ou en contrebande. En 2022, selon cette fédération, une cigarette sur cinq consommée en Belgique y échappait à l’impôt.
Mais la bonne question à poser est sans doute celle, complexe, des coûts du tabac mis en balance avec les recettes. La stratégie interfédérale adoptée en 2022 avance quelques chiffres basés sur des données de 2012, à savoir près de 1,5 milliard de coûts directs et indirects de la consommation de tabac, auxquels il convient d’ajouter plus de… onze milliards d’euros qu’occasionnerait la dégradation de la santé des personnes qui fument.
Toute estimation est nécessairement approximative, comme le reconnaissent d’ailleurs les experts. En 2016 étaient publiés les résultats d’une étude menée par des chercheurs de la VUB et de l’UGent sur les substances légales et illégales, qui traduisaient donc une proportion de coûts largement supérieure aux recettes engendrées.
Cette étude baptisée «Socost», qui donc portait sur des données de 2012 et subdivisait en trois grandes catégories les coûts engendrés: directs, indirects et intangibles.
Les coûts directs incluent les effets produits par la consommation (hospitalisations, soins de santé) mais aussi leurs conséquences en termes d’activité policière et judiciaire (ce point-là concerne surtout les substances illégales) et d’accidents de la route. Sur les 2,86 milliards d’euros de coûts directs provoqués par la consommation de substances diverses, le tabac représentait un quart du total (727 millions).
Les coûts indirects concernent plutôt la «perte de productivité humaine» due à l’incapacité, à l’invalidité et à la mortalité. Là, le tabac représente 42% du total de 1,8 milliard, soit 746 millions d’euros selon l’estimation.
Enfin, les coûts intangibles «résultent de a douleur, de la souffrance et des perdes de vie», indiquait l’étude. Les chercheurs se basaient sur le concept des «années de vie corrigées de l’incapacité» (AVCI) pour fournir une estimation de 515.000 AVCI causées par l’ensemble des substances, alcool, drogues et médicaments psychoactifs compris. La perte totale pour la société était estimée à une vingtaine de milliards d’euros, dont 57% pour le seul tabac, responsable d’une part importante des taux de morbidité et de mortalité prématurée.