Le bon d’Etat version 2024 marque un retour à la normale. Une bataille politique tenace a finalement accouché d’un précompte à 30%. Avec un rendement net inférieur à celui espéré par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem, qui plaidait pour un prélèvement réduit à 15%, l’épargnant gagne-t-il vraiment à sortir son argent des comptes d’épargne ? On a posé la question à trois économistes.
Il était d’abord un combo gagnant pour tous. Avec le bon d’Etat version 2023, l’épargnant profitait de taux d’intérêt bien plus avantageux que ceux alors proposés par les banques. En parallèle, l’Etat finançait sa dette à moindres frais et incitait les banques, par la même occasion, à sortir de leur immobilisme. L’effet nouveauté et le contraste de rentabilité avaient débouché sur un succès historique : plus de 21 milliards d’euros récoltés en quelques jours et des congratulations unanimes.
Et puis, médiatisé à outrance, le bon d’Etat est petit à petit devenu le sujet financier incontournable, et, par la force des choses, s’est retrouvé au centre du ring politique. Sa version 2024 n’a pu éviter les attaques. D’un côté, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V), bien décidé à boxer pour ses supporters-épargnants et s’offrir une victoire aux poin(g)ts à quatre mois des élections. En face, la Secrétaire d’Etat au Budget Alexia Bertrand (Open Vld), coachée par le premier ministre Alexander De Croo, déterminés à ne pas offrir une victoire symbolique à un de leur concurrent direct lors du prochain scrutin.
Après de âpres débats, le jury Vivaldi tranche finalement en faveur des seconds cités. Résultat des courses : le bon d’Etat version février 2024 propose deux durées : 1 ou 3 ans, avec un taux d’intérêt net de respectivement 2,10% et 1,75%. Quels (dés)avantages pour l’épargnant ?
Bon d’Etat : entre déception et cohérence
« C’est une déception. L’épargnant y gagne très peu, tranche d’emblée l’économiste Paul De Grauwe (London School of Economics). L’Etat avait un instrument pour forcer les banques à hausser leurs taux. Il a raté cette occasion. L’avantage d’opter pour le bon d’Etat plutôt que pour un compte d’épargne classique est désormais très réduit. Les banques vont faire la fête ce soir », dit-il cyniquement.
Un avis qui n’est pas partagé de tous. Pour l’économiste Bruno Colmant (ULB et Académie Royale de Belgique), la décision de maintenir le précompte à 30% est cohérente. « La raison a prévalue, et les attaques contre Alexia Bertrand n’étaient pas justifiées, insiste-t-il. Si l’Etat s’était entêté avec un précompte de 15%, il aurait créé une distorsion de concurrence très importante vis-à-vis des futures obligations. Ce qui aurait pu lui amener des ennuis judiciaires », ajoute-t-il.
Un précompte à 15% aurait créé une distorsion de concurrence très importante.
Bruno Colmant
Avec ce précompte maintenu à 30% pour la version 2024, le premier bon d’Etat cuvée Van Peteghem à 15% fait donc office d’exception. « Il était une sorte de produit d’appel qui a permis de confirmer que l’Etat se réinvitait dans le circuit de l’épargne. Mais aujourd’hui, aucune raison valable ne justifie que le précompte se limite à 15%, estime Bruno Colmant. Des problèmes en matière de stabilité bancaire et de cohérence de la fiscalité auraient pu apparaître. Comment, après coup, justifier une réforme pour plus d’homogénéité et moins de niches fiscales, si l’Etat crée sa propre niche fiscale ? Cela n’aurait aucun sens », souligne l’économiste.
Si un précompte de 15% avait été appliqué, il aurait fait gagner 0,4% à l’épargnant pour le bon d’Etat à un an (2,50% nets au lieu des 2,10% actuels). « On retourne vers le précompte normal appliqué pour tout produit obligataire », confirme l’expert financier Anh Nguyen (UCLouvain, UNamur).
Que valent ces 2,1% par rapport au marché ?
Comment dès lors estimer la valeur de ces 2,10% par rapport aux autres options sur le marché ? « On peut par exemple les comparer aux 2,8 % d’inflation prévus par le Bureau du Plan, note Anh Nguyen. En valeur réelle, ce bon d’Etat est un produit de placement qui permet de mettre un peu d’argent ‘sous l’oreiller’, mais qui ne compense pas totalement la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation », remarque-t-il. D’autant plus qu’une grande partie des banques proposent actuellement un taux global (prime de fidélité + taux de base) supérieur aux 2,10% nets, certaines dépassant même les 3%. »
Bruno Colmant reconnaît que peu d’avantages font pencher la balance en faveur du bon d’Etat face au compte d’épargne, si ce n’est la sécurité offerte par l’Etat. « Le brouhaha qui a eu lieu autour du précompte n’est pas de nature à donner confiance à l’épargnant. Avoir un débat public sur ce sujet est invraisemblable, s’étonne-t-il. Ce bon d’Etat risque donc d’être abordé avec beaucoup moins de candeur que le premier. »
Bon d’Etat à 1 ou 3 ans : pour qui ?
Paul De Grauwe note également une incertitude quant aux futurs taux d’intérêt appliqués par les banques. « Le choix entre le bon d’Etat de 1 ou 3 ans dépend donc surtout de la situation personnelle de chacun. Si les taux d’intérêt diminuent avec le temps, le bon d’Etat prendra davantage de valeur. Dans le cas contraire, il en perdra. »
Il est donc préférable de souscrire au bon de trois ans si on suppose une forte baisse des taux d’intérêt. « Cependant, la plupart des gens se dirigeront vers la maturité à un an, prédit Bruno Colmant. D’abord parce qu’il rémunère plus, ensuite parce qu’il est plus sécurisant de récupérer son argent rapidement. »
Quant à l’épargnant plus modeste, un simple shopping entre les différentes offres bancaires permet de trouver un rendement identique, voire bien meilleur que ce bon d’Etat.
Anh Nguyen
Pour Anh Nguyen, l’épargnant qui a beaucoup d’argent à investir, en particulier, pourrait trouver son bonheur dans ce bon d’Etat. « Il bénéficiera d’une exonération fiscale un peu plus avantageuse que s’il laisse une grosse somme d’argent sur un compte d’épargne. Quant à l’épargnant plus modeste, un simple shopping entre les différentes offres bancaires permet de trouver un rendement identique, voire bien meilleur. Dans cette affaire, l’Etat y gagne clairement plus que la classe moyenne », avance-t-il. Pour le spécialiste, le bon d’Etat offre cependant l’avantage d’investir « dans la santé financière belge, tout en assurant une sécurité dans son placement. »
6 milliards maximum : une discrimination pour la petite épargne ?
Il ne faudra pas s’attendre à des records pour cette première émission de l’année, puisque l’Etat a lui-même décidé de limiter la levée à 6 milliards d’euros. « Cela traduit une certaine modestie de l’Etat face aux banques, commente Paul De Grauwe. Mais cela laisse aussi transparaître des raisons politiques et budgétaires : personne ne veut se faire de cadeaux ».
Cette auto-restriction s’explique également par une volonté de ne pas déstabiliser le secteur bancaire « par un effet de bord trop important », ajoute Bruno Colmant. Pour Anh Nguyen, c’est aussi une manière de pouvoir « absorber » la somme et éviter un effet de surprise trop important. « Ces 6 milliards correspondent au besoin de financement de l’Etat à court terme, à un taux avantageux. Lorsqu’il se finance via le marché, il paie 3,5%. Or, avec le bon d’Etat, le gouvernement paiera uniquement 2,1%. »
La limitation à 6 milliards traduit une certaine modestie de l’Etat face aux banques. Mais cela laisse aussi transparaître des raisons politiques et budgétaires : personne ne veut se faire de cadeaux.
Paul De Grauwe
Bruno Colmant propose en outre que les souscriptions de petits montants soient totalement honorées et acceptées les premières (moins de 10.000 euros par exemple), afin d’éviter une discrimination au détriment de l’épargnant modeste. « La seule façon démocratique de procéder serait monter dans les tranches de façon proportionnelle. Dans le cas contraire, les gros montants prendraient toute la place, si la demande est forte. Ce n’est pas une technique inhabituelle, par exemple, en matière de souscription de valeur mobilière : une réduction proportionnelle des gros ordres, et un respect intégral des petits ordres. »