jeudi, décembre 12

Etre constamment interrompu par les notifications de son smartphone génère un stress chronique et un risque accru de burnout, surtout chez les jeunes, observe le neuropsychiatre Theo Compernolle.

Jamais jusqu’ici la Belgique n’avait recensé autant de travailleurs en arrêt maladie de longue durée, selon une vaste enquête menée auprès de 21.689 employeurs et 164.781 travailleurs par RH Securex. La hausse est particulièrement marquée chez les jeunes employés de 25 à 34 ans (+42% comparé à 2022), une tranche d’âge que Securex identifie comme particulièrement vulnérable au burnout. Une des explications avancées par cette étude est l’utilisation intensive des réseaux sociaux.

Une hypothèse jugée tout à fait plausible par le neuropsychiatre et auteur Theo Compernolle. Etre constamment absorbé par les médias numériques, les applications et les écrans a, selon lui, des conséquences néfastes sur la santé mentale et physique. Il souligne une augmentation spectaculaire des cas de burnout (+80% entre 2007 et 2017) chez les jeunes adultes depuis l’apparition des millennials, la première génération de digital natives, dans les statistiques. «Le phénomène se vérifie également dans tous les autres pays où des données similaires sont collectées», affirme-t-il.

Comment une utilisation excessive des écrans peut-elle conduire au burnout?

Un adulte passe en moyenne trois heures quotidiennes sur son téléphone et son attention est interrompue environ 80 fois par jour à cause des notifications des applications. Or, chaque passage de la tâche initiale à l’écran, puis retour à l’activité précédente, impose un coût cognitif élevé. C’est extrêmement fatigant pour le cerveau et le corps. Chaque notification, chaque pop-up sur le téléphone ou l’ordinateur –même si on ne l’ouvre pas–, entraîne une baisse de concentration. Retrouver un niveau de concentration optimal prend alors bien plus de temps qu’on ne l’imagine: entre 20 et 30 minutes. Toute cette énergie dépensée est un gaspillage. Une tâche qui pourrait être réalisée en une demi-heure, avec une concentration soutenue, prendra alors deux fois plus de temps, et sera moins bien mémorisée à cause des interruptions.

Quels sont les autres effets de ces distractions constantes?

La perte de réflexion en profondeur et donc, aussi, une perte de compréhension. Penser de manière approfondie exige une concentration continue. Les interruptions fréquentes augmentent aussi les erreurs. Le cerveau n’est tout simplement pas conçu pour le multitâche. Essayer de tout faire en même temps ne fait qu’accroître les échecs, le stress inutile et, parfois, le danger.

Quel genre de danger?

Une erreur due à un manque de concentration dans un service administratif peut valoir une réprimande, ce qui n’est jamais agréable. Mais dans un environnement industriel, une erreur peut mettre des vies en danger. C’est pourquoi la question des distractions numériques suscite un grand intérêt parmi les experts en sécurité au travail. En outre, toutes ces interruptions ont aussi un effet négatif sur l’humeur. Les personnes constamment distraites deviennent irritables et stressées, et ce stress est contagieux, notamment sur le lieu de travail. Cela ne se limite pas au travail, évidemment. Dans toutes les activités, y compris les loisirs et la vie privée, les gens se laissent constamment interrompre. Près d’un cinquième des individus suspendent même leurs relations intimes pour répondre à une notification téléphonique. Où cela s’arrêtera-t-il?

«Le plus difficile est de se protéger contre les “armes de distraction massive”».

Faut-il jeter son téléphone par la fenêtre?

Ce n’est pas nécessaire, mais l’objectif est d’éviter ce que j’appelle un «cerveau morcelé», à savoir un esprit incapable de maintenir une attention ciblée, ininterrompue et durable sur une tâche choisie. Une des meilleures façons de gérer le stress est de prendre régulièrement de courtes pauses de cinq à dix minutes. J’ai rencontré énormément de personnes en burnout, mais jamais aucune d’elles ne prenait des pauses régulières. Et quand je dit pauses, ce sont bien sûr de véritables pauses, sans écran, sans téléphone et loin de l’espace de travail. Une autre pause essentielle pour le cerveau, c’est évidemment le sommeil.

Cette «hygiène mentale» doit aussi être suivie hors du travail…

Absolument. C’est comme arrêter de fumer: il serait ridicule de dire qu’on stoppe au travail et pas à la maison. Les bénéfices pour la santé seraient négligeables. La vraie solution pour préserver notre cerveau, que chacun devrait apprendre, est de travailler par blocs. Concrètement, il s’agit de diviser toutes les activités –qu’elles soient professionnelles ou personnelles– en blocs distincts et de ne se concentrer que sur une seule tâche par bloc. Le plus difficile est de se protéger contre ce que j’appelle les «armes de distraction massive». Il faut créer une sorte de bunker autour de soi pour ne pas être dérangé. Concrètement, cela signifie limiter les moments où l’on consulte ses messages à quelques fois par jour seulement. En parallèle aux blocs dédiés au travail, il est bon d’en planifier pour le temps passé avec les enfants, le partenaire, ou les séances de sport, et toujours sans être interrompu par les médias numériques. Et après chaque activité, prendre une pause. Cette pratique ne se contente pas de rétablir un équilibre dans la gestion du stress; elle est également cruciale pour le cerveau. Lorsqu’on cesse d’utiliser son «cerveau pensant», c’est le «cerveau activateur» qui prend le relais pour traiter et organiser les informations accumulées. Ce processus est indispensable pour favoriser la créativité.

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