mardi, mai 21

Le président de la Mutualité chrétienne flamande veut «adoucir l’euthanasie» pour amortir le vieillissement de la population. En parallèle, tous les partis de la Vivaldi (sauf le cd&v) ont cosigné une loi pour permettre à davantage de patients d’y accéder.

En décembre 2019, Georges-Louis Bouchez, fraîchement élu à la tête du Mouvement Réformateur, tentait une blague pour le moins osée lors de son premier bureau de parti en tant que président. Daniel Bacquelaine – actuel député fédéral MR, ministre des Pensions à l’époque et médecin de formation – évoquait la question de l’euthanasie, qu’il ne pratique plus, avant d’être interrompu par son nouveau chef de file: «Dommage! Ce serait une solution pour les pensions.»

Quatre ans et quelques mois plus tard, cette vanne douteuse a quitté le domaine de l’ironie. Pour devenir, dans la bouche du président de la Mutualité chrétienne flamande Luc Van Gorp, une véritable proposition. Celui-ci a estimé que l’euthanasie devrait être envisagée comme une solution au vieillissement annoncé de la population – le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans doublera d’ici 2050. Luc Van Gorp demande d’adoucir les conditions d’accès à l’euthanasie, en préconisant une approche radicalement différente. «Les médecins et autres professionnels de la santé s’efforcent aujourd’hui de faire en sorte que tout le monde vive plus longtemps, mais dans quel but? Vivre plus longtemps n’est pas une fin en soi, n’est-ce pas? Il faudrait avant tout se poser la question suivante: combien de temps puis-je vivre une vie de qualité?»

En 2023, 3.423 personnes ont été euthanasiées en Belgique, ce qui représente 3,1% des décès enregistrés, d’après les chiffres de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Un nombre qui ne cesse d’augmenter d’année en année: c’est 15% de plus qu’en 2022. Le phénomène concerne, sans surprise, surtout les personnes âgées. Il concerne aussi davantage la Flandre que la Wallonie: 2.422 néerlandophones ont été euthanasiés l’an dernier, contre 1.001 francophones. La raison principale invoquée reste la détection d’un cancer ou d’une autre maladie sans perspective de guérison.

Sur le sol belge, l’euthanasie est encadrée par une loi datant de 2002, qui a dépénalisé la pratique via des règles strictes. Le processus se fait en plusieurs étapes. D’abord, il faut formuler une demande. Premier cas: la demande est effectuée par un patient conscient et capable d’exprimer sa volonté, qui désire mettre fin à ses jours en raison d’une situation médicale (psychologique ou physique) sans issue. Depuis 2014, cette demande est accessible aux mineurs d’âge non émancipés dont les souffrances physiques impliquent un décès à brève échéance, sur accord des représentants légaux. Second cas: la demande est effectuée par une personne majeure ou un mineur émancipé – plus sous l’autorité de ses parents – de manière anticipative. La personne donne alors son accord pour qu’un médecin pratique à l’avenir une euthanasie, si jamais elle est dans un état de coma ou végétatif qui l’empêche de formuler la demande à ce moment-là. Cette demande est adressée à un médecin, qui est libre de l’accepter ou de la refuser, le patient pouvant alors se tourner vers un autre praticien.

En cette fin de législature, le débat est revenu à l’agenda politique, remis sur la table par le cd&v. Son président, Sammy Mahdi, s’est exprimé en faveur d’un élargissement de la pratique aux personnes en état de démence avancée. «Nous ne voulons pas laisser le débat sur la vie et la mort à des partis qui ont peu ou des frontières très larges en matière morale», explique le leader des chrétiens-démocrates flamands, tout en affirmant que «l’euthanasie ne peut pas devenir une alternative à des soins palliatifs déficients».

Plusieurs partis de la majorité – tous sauf le cd&v – ont ensuite cosigné une proposition visant à modifier la loi sur l’euthanasie. Ces formations veulent étendre les critères permettant d’introduire une déclaration anticipée aux personnes qui seraient atteintes d’Alzheimer ou d’une autre forme de déficience cognitive, comme la démence. Les six partenaires Vivaldi veulent aussi que la pratique soit reconnue comme un soin à part entière, et donc intégrée à la loi relative aux droits du patient. Ceci afin d’empêcher les partis conservateurs d’éventuellement détricoter les avancées en la matière.

«Il est important pour l’autonomie et l’autodétermination des personnes que l’euthanasie soit reconnue en tant que soin», justifie Daniel Bacquelaine, qui portait déjà le dossier du côté du MR en 2002, lors de l’entrée en vigueur de la loi. De l’autre côté du spectre politique, le PS invoque «le droit de mourir dans la dignité, continuellement attaqué par diverses forces conservatrices», et souhaite faire de l’euthanasie un droit constitutionnel. «Toute personne doit pouvoir choisir la meilleure des fins de vie», rejoint la député Ecolo Laurence Hennuy, qui s’en prend au passage au cd&v et à son parti frère Les Engagés (qui, pour rappel, est dans l’opposition): «L’euthanasie ne fait pas partie de leur ADN, ils essaient de montrer que leur point de vue a évolué, mais le sujet reste compliqué au sein des deux formations».

Dans l’opposition, DéFi se dit prêt à apporter son appui au texte dans le cadre d’une majorité alternative. «Il faut empêcher les partis conservateurs de revenir sur ces avancées, comme pour l’IVG», commente la députée fédérale Sophie Rohonyi. Du côté des Engagés, la députée Catherine Fonck se dit ouverte à la révision de la loi: «Mais il doit y avoir des garde-fous. L’euthanasie ne doit pas être une manière pour les pouvoirs publics d’éviter d’apporter des réponses à la mesure des enjeux, comme le sous-financement des soins palliatifs. L’euthanasie doit être une solution de dernier recours, pour les personnes âgées abandonnées qui n’ont plus d’autre issue».

L’euthanasie, au même titre que l’avortement, fait partie des dossiers sensibles sur lesquels plusieurs partis laissent leurs députés voter en leur âme et conscience. C’est ce qu’affirment, notamment, le MR, Ecolo/Groen et les Engagés. «C’est la grosse différence avec le cdH, explique la porte-parole du dernier cité. Chacun possède son point de vue personnel, lié au vécu, donc c’est important pour nous d’assurer une liberté de vote.» Le PTB non plus n’est pas opposé à un élargissement de la loi. «Un grand nombre de personnes se retrouvent dans des cas qui ne sont pas repris, et ne peuvent avoir une fin de vie digne de ce nom, explique la cheffe de groupe à la Chambre Sofie Merckx. Des personnes démentes demandent à être euthanasiées anticipativement, car elle sait qu’elles ne pourront plus le faire quand leur cas se sera aggravé».

La fin de législature se profilant, les protagonistes confirment que le dossier n’aboutira pas avant les élections. «Il n’est d’ailleurs inscrit à l’ordre du jour d’aucune commission ou séance plénière», rappelle Catherine Fonck. Les discussions sur l’euthanasie seront, comme une centaine d’autres dossiers, renvoyées à la prochaine mandature.

Partager.
Exit mobile version