L’essentiel
• Le gouvernement MR-Les Engagés en Wallonie veut réformer le paysage socioprofessionnel pour accélérer la mise à l’emploi et la formation. Objectif : atteindre 80% de taux d’emploi en 2030.
• Les acteurs sont nombreux et les structures complexes: Forem, Mire, maisons de l’emploi, ALE, centres d’insertion socioprofessionnelle, etc.
• La Déclaration de politique régionale (DPR) prévoit une réorganisation du Forem, une rationalisation des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle et une meilleure lisibilité du parcours des demandeurs d’emploi.
• Le retour de Pierre-Yves Jeholet comme ministre de l’Emploi et de la Formation suscite des inquiétudes.
Le tandem MR-Les Engagés veut réformer sans tarder le secteur socioprofessionnel et tout en accélérant la mise à l’emploi et la formation. Pourra-t-il le faire avec nuance et discernement?
«Efficience, cohérence et responsabilisation.» Tels sont les mots d’ordre de la Déclaration de politique régionale (DPR) en matière d’emploi. Le constat dressé est peu flatteur: alors que la Wallonie figure dans le Top 3 des régions européennes à la plus grande proportion de postes non pourvus (3,6%), elle affiche paradoxalement un «taux d’emploi parmi les plus bas d’Europe (66,2% au premier trimestre 2024)». En sachant que la Région dépensait jusqu’ici «plus de trois milliards pour ses politiques de l’emploi et de la formation», le MR et Les Engagés entendent réformer en profondeur les acteurs concernés, tout en visant 80% de taux d’emploi en 2030. Un objectif couramment cité lors de la campagne électorale, qui ne dit toutefois rien de la qualité des jobs concernés.
Face à la volonté du duo Azur de rationaliser le secteur, bon nombre de structures socioprofessionnelles ont pu craindre pour leur avenir. Après les élections de juin dernier, le «round de concertations» mené par Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot a toutefois permis à ces dernières d’expliquer leurs rôles respectifs. «Les deux présidents de parti ont demandé à chaque partie d’identifier une mesure opportune pour l’emploi, tout en précisant qu’il ne pourrait s’agir d’obtenir davantage de moyens», relate Thierry Dock, président d’InterMire, l’association de soutien aux onze Missions régionales pour l’emploi (Mire) en Wallonie, des asbl spécialisées dans l’accompagnement des personnes faiblement qualifiées et des chômeurs de très longue durée. «On a ressenti une certaine pression sur les acteurs publics, singulièrement le Forem, et sur les acteurs associatifs.»
Emploi et formation: un paysage complexe
Il est vrai que le paysage socioprofessionnel est particulièrement complexe. Forem, Mire, maisons de l’emploi, agences locales pour l’emploi (ALE), structure d’accompagnement à l’autocréation d’emploi (Saace), centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP), Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises (IfaPME)… Si chaque acteur se voit appelé à balayer devant sa porte, la DPR n’acte pas la disparition de l’un ou l’autre pan du secteur. Elle clarifie trois intentions majeures pour les prochaines années. D’abord, une réorganisation en profondeur du Forem, appelé à se recentrer sur ses missions de première ligne, à savoir l’accompagnement rapide et personnalisé des récents demandeurs d’emploi. Ensuite, une «rationalisation de l’ensemble des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle présents sur le territoire wallon», associée à une révision du mécanisme d’agrément et de financement. Enfin, une meilleure lisibilité du parcours des demandeurs d’emploi.
«Les bénéficiaires – entreprises ou demandeurs d’emploi – ne savent pas toujours qui fait quoi.»
Pour Thierry Dock, il y a effectivement moyen de faire mieux à deux niveaux, au moins. «Il faut développer une vraie culture du partenariat, sans que le Forem, en tant que régisseur ensemblier, ne considère les autres structures comme des sous-traitants, détaille-t-il. Ces derniers mois, on a clairement vu des améliorations en ce sens, notamment depuis l’arrivée de Raymonde Yerna comme administratrice générale du Forem (NDLR: en octobre 2023).» Il reste à savoir si cette logique se poursuivra, sachant que son étiquette socialiste pourrait poser problème au gouvernement de centre-droit. Le deuxième point d’amélioration cité par le président d’InterMire est précisément la lisibilité: «Les bénéficiaires –entreprises ou demandeurs d’emploi– ne savent pas toujours qui fait quoi», concède-t-il. «Il faut rendre le paysage plus lisible mais aussi plus visible, abonde Anne-Hélène Lulling, secrétaire générale de l’Interfédération des 157 centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP). Si on réalise un micro-trottoir, il est fort probable que beaucoup de personnes ne connaissent pas l’existence des CISP. Malheureusement, en tant qu’asbl, nous communiquons dans la limite des moyens disponibles.»
La voie privilégiée par laquelle les gens poussent la porte des Mire constitue un autre exemple éloquent. Alors que le Forem a la capacité «d’adresser» des personnes très éloignées de l’emploi vers ces dernières, la grande majorité de leur public y parvient grâce au bouche-à-oreille, ou sur la recommandation d’un acteur local (CPAS, maison de l’emploi, ALE…). En juin 2018, Pierre-Yves Jeholet (MR), alors ministre de l’Emploi et de retour à cette fonction sous cette nouvelle législature, avait exigé qu’au moins 75% du public des Mire soit adressé par le Forem, contre 10% à l’époque. Un objectif alors jugé irréaliste par Eliane Tillieux (PS), compétente en la matière de 2014 à 2017: «Le surcroît de travail pour les conseillers référents du Forem sera énorme, alors qu’ils sont déjà trop peu nombreux, avait contesté l’ancienne ministre. Si les Mire fonctionnent bien, c’est parce que les personnes qui les fréquentent sont extrêmement motivées, ce qui ne sera pas le cas si le Forem décide de cet aiguillage à la place des demandeurs d’emploi.»
La barre des 75% ne fut effectivement jamais atteinte. En 2023, le taux d’adressage n’était encore que de 29,8%. Ce qui n’enlève rien aux bons résultats qu’affichent les Mire: environ 5.000 remises à l’emploi par an, dont 3.500 d’au moins six mois. «On estime le coût d’une mise à l’emploi grâce à une Mire à environ 7.000 euros, chiffre Thierry Dock. Le coût annuel moyen d’une personne au chômage s’élève à 28.000 euros, selon Dulbea, le Centre de recherche d’économie appliquée de l’ULB. Les Mire sont donc déjà particulièrement rentables à l’heure actuelle. Mais si demain, on parvenait à adresser plus finement les demandeurs d’emploi et à rendre les parcours plus fluides, ce serait tout bénéfice pour la Wallonie et pour les acteurs de l’insertion.» A cet égard, le renforcement des effectifs de première ligne au Forem est une intention que saluent le président d’InterMire et la secrétaire générale de l’Interfédération des CISP.
Le simplisme de la performance
Les années à venir s’annoncent cependant contraignantes pour les acteurs de l’emploi et de la formation, qui ignorent encore à ce stade s’ils devront faire mieux avec autant ou avec moins, alors que leurs moyens humains et financiers étaient déjà limités. La confection du budget 2025, prévu pour cet automne, apportera des premières réponses. A cela s’ajoute le spectre du simplisme derrière le culte de la «performance», un terme récurrent dans la DPR. Celle-ci prévoit, entre autres, un «financement lié à la performance des activités réalisées, aussi bien sur le plan de la reconnaissance des acquis en matière de compétences que de l’insertion vers un emploi durable et de qualité.»
Du côté des Mire, ce ne serait nullement une révolution, puisque leur financement est déjà conditionné à une obligation de résultat: pour le préserver, elles doivent prouver qu’au moins 50% des personnes accompagnées ont trouvé un emploi durable, c’est-à-dire d’au minimum six mois. Toutefois, il serait inopportun de relever ce seuil, avertit Thierry Dock. «Il ne faudrait pas qu’afin de remplir nos objectifs, nous soyons contraints de privilégier l’accompagnement d’une personne présentant un plus petit handicap qu’une autre. Parmi nos accompagnateurs, certains réussissent des paris qui semblent impossibles au premier abord avec des personnes. Nous sommes convaincus que si nous ne les prenions pas en charge, personne ne le ferait.»
«D’accord pour des résultats quantifiables, à condition qu’il y ait aussi des indicateurs qualitatifs.»
Même préoccupation en ce qui concerne la formation. Alors que la DPR préconise «la reconnaissance des acquis en matière de compétences», des structures comme les centres d’insertion socioprofessionnelle n’ont pas vocation à dispenser des certifications. Ceux-ci forment des personnes très éloignées de l’emploi et souvent précarisées, ce qui suppose un accompagnement bien plus subtil que la seule obtention d’un diplôme. Parmi les publics-cibles de ces centres, 40% sont au chômage de longue durée, 33% bénéficient du revenu d’intégration sociale (RIS) et 25% ne disposent même d’aucun revenu. «D’accord pour des résultats quantifiables, à condition qu’il y ait aussi des indicateurs qualitatifs, résume Anne-Hélène Lulling. Parfois, la première chose que nous devons faire avec ces personnes, c’est reconstruire leur confiance. Il nous faut tenir compte de toutes les préoccupations qui gravitent autour de leur recherche d’emploi: beaucoup ont des problèmes de logement, de santé, de mobilité, ne mangent pas suffisamment ou ne trouvent pas de place en crèche. Souvent, la remise rapide à l’emploi n’est pas faisable. Le fait que nous ne soyons pas certifiant –nous donnons cependant une attestation de compétences à l’issue des formations– dérange sans doute le nouveau gouvernement. Mais il faut savoir que beaucoup de nos demandeurs d’emploi ont été en échec dans le système scolaire; il serait inefficace de chercher à le reproduire.»
Le Forem, juge et partie?
Désigné par la DPR comme l’arbitre de «la rationalisation de l’ensemble des acteurs», le Forem serait par ailleurs juge et partie sur le plan de la formation, estime Anne-Hélène Lulling. D’après son plus récent rapport annuel, celui de 2022, l’unité d’administration publique a formé près de 21.900 demandeurs d’emplois cette année-là. Sera-t-elle amenée à tirer la couverture vers elle, si l’enveloppe globale de la formation venait à se réduire dans les prochains mois? A ce stade, la DPR précise simplement que sa gouvernance et ses missions évolueront conformément à son rôle de régisseur ensemblier.
Au niveau des moyens destinés à la formation, la DPR annonce déjà la couleur: «Les contraintes budgétaires ne permettent pas d’envisager de refinancement massif de ces politiques. […] La Belgique se trouve dans le top 5 des pays investissant le plus de fonds publics dans la formation professionnelle pour adulte. Par conséquent, l’optimisation des ressources et/ou l’autofinancement des mesures seront privilégiées.»
En fixant des obligations de résultats trop ambitieuses, la nouvelle législature pourrait conduire à marginaliser davantage des personnes qui le sont déjà, au même titre que l’hypothétique aiguillage de ce public vers les CPAS, qui ne sont nullement des spécialistes de la remise à l’emploi. Pour d’autres acteurs sondés, le retour de Pierre-Yves Jeholet à la barre de l’emploi et de la formation n’augure en outre pas cinq années de nuances. De 2017 à 2019, ce dernier avait visiblement laissé un souvenir traumatisant dans bon nombre de structures, au point d’inciter des dizaines de travailleurs à les quitter pour un cadre professionnel plus stable ou mieux valorisé.