samedi, janvier 18

Le gouvernement Bayrou passera-t-il l’hiver? Alors qu’il a échappé à une motion de censure en s’assurant du soutien des socialistes, le Premier ministre français reste confronté à une assemblée ultra-fragmentée. La sortie de crise institutionnelle semble loin d’être imminente.

Il a tangué, mais n’est pas tombé. A peine un mois après son entrée en fonction, François Bayrou a évité le renversement de son exécutif, jeudi, à l’Assemblée nationale. Menacé par une motion de censure déposée par Les Insoumis, les communistes et les écologistes, le Premier ministre a pu compter sur le soutien des socialistes pour éviter de s’octroyer le record du mandat le plus éphémère de la Ve République.

La mode n’est pourtant pas à la longévité gouvernementale. Depuis mai 2022, la durée moyenne d’un bail à Matignon avoisine les neuf mois. Elisabeth Borne (un an et sept mois en fonction), Gabriel Attal (sept mois) et surtout Michel Barnier (trois mois) ont successivement fait les frais de la profonde crise institutionnelle qui secoue la France depuis le renouvellement du mandat présidentiel d’Emmanuel Macron.

Ce chaos politique inédit puise sa source dans la conjonction de trois phénomènes, estime Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’Université de Lille. D’abord, la «tripartition profonde» de la vie politique française, qui n’est autre que le reflet des inégalités économiques et sociales de la population. «Aujourd’hui, les trois blocs politiques (la gauche, l’extrême droite et le centre-droit) représentent trois France différentes, qui ont énormément de difficultés à se mettre d’accord.» Loin de s’apparenter à des clivages artificiels, ces divisions sociétales et politiques rendent la mise sur pied d’une majorité à l’Assemblée nationale extrêmement complexe. «C’est le deuxième problème: les institutions françaises ne sont pas du tout adaptées à cette tripartition, poursuit le chercheur. En France, on est habitué à un système majoritaire, ça a toujours fonctionné comme ça. Or, ce système institutionnel ne répond pas à la réalité actuelle.» Enfin, la «présidentialisation» du régime, à savoir la prééminence (voire la suprématie) du rôle de président, complexifie la situation. «Chaque force politique est d’autant moins encline aux compromis qu’une élection présidentielle se rapproche, observe Rémi Lefebvre. Ce système parasite en quelque sorte la vie politique et son efficacité.»

Macron, le vrai responsable

Ce morcellement du paysage politique français a surtout été exacerbé par la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation de nouvelles élections législatives en juillet dernier. «Emmanuel Macron a une part de responsabilité non-négligeable dans ce chaos, rappelle Sébastien Michon, directeur de recherche au CNRS. Avant de décréter la dissolution, il disposait d’une assemblée beaucoup plus stable. Il n’avait pas la majorité, mais il s’en rappochait bien plus qu’aujourd’hui.» Cette décision, qui relève toujours du mystère pour nombre d’observateurs, n’a servi «ni les intérêts de son parti, ni ceux du pays». «Elle n’a rien résolu, et a au contraire généré bien plus d’instabilité», tranche le politologue.

Un climat d’instabilité dont François Bayrou aura bien du mal à se défaire, malgré ses accointances (temporaires) avec le PS. «Les socialistes ont réussi à obtenir des concessions de la part du Premier ministre, mais cela relève aussi d’une stratégie pour s’autonomiser un peu des Insoumis, dont les positions sont trop clivantes à leur goût, estime Sébastien Michon. Mais à long terme, le PS n’a aucun intérêt à rejoindre un bloc présidentiel qui regroupe des Républicains dont il ne partage pas du tout les valeurs.» Bref, aucune majorité concrète ne se profile à l’horizon. Et s’il a pu échapper à la censure sur le Budget, le Premier ministre n’est pas à l’abri d’une nouvelle motion sur d’autres textes, qui pourrait également obtenir l’aval de l’extrême droite. «A chaque matière polarisante, il y a un risque de blocage», résume le chercheur au CNRS.

Une réforme institutionnelle?

De son côté, Rémi Lefebvre se dit «très pessimiste» sur l’espérance de vie du gouvernement Bayrou. «C’est une question de semaines avant qu’il ne tombe, prédit le professeur de sciences politiques. D’autant que tant le RN que le LFI voient d’un bon oeil l’approfondissement du chaos et de cet impasse. Or, à eux deux, ils représentent 50 % des Français.»

La France pourra-t-elle un jour se dépétrer de ce bourbier? Les leviers d’actions sont en réalité peu nombreux. Une réforme institutionnelle, plus en phase avec la réalité politique contemporaine, semble aujourd’hui inenvisageable. «Une révision du système nécessiterait la majorité, si pas les deux-tiers, des deux chambres, c’est-à-dire de l’Assemblée et du Sénat, rappelle Sébastien Michon. Au vu de leur éclatement actuel, c’est impensable. D’autant que les Républicains sont très attachés au modèle de Ve République établi par De Gaulle.»

Le spectre de la crise de régime

A plus court terme, une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale est exclue jusqu’à l’été prochain. Il doit en effet s’écouler au minimum un an entre les dernières législatives et la convocation d’une telle procédure. Entre-temps, si l’échec de Bayrou se matérialise, la piste d’un gouvernement technique pourrait être explorée. «Cet exécutif gèrerait les affaires courantes jusqu’au prochain scrutin, explique Rémi Lefebvre. Mais encore faut-il qu’il aboutisse à une autre configuration que le morcellement actuel. Il est probable que non, car ces trois blocs politiques et sociétaux semblent profondément enracinés.»

Pour certains, la sortie de crise réside en la démission du président. Un scénario maintes fois exclu par Emmanuel Macron, qui plongerait la France dans une véritable crise de régime, alors que l’Hexagone est déjà menacé d’effondrement économique, avec une dette de 3.300 milliards et un déficit au-delà des 6%. Bref, «la solution miracle, personne ne l’a.»

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