lundi, mai 20

Le journaliste Alain Gresh questionne le traitement des drames du Proche-Orient par les Européens, qui transforme les musulmans en «barbares» de l’intérieur.

La couverture médiatique du massacre du 7 octobre perpétré par le mouvement islamiste palestinien Hamas et de la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza en représailles est-elle empreinte en Europe d’un parti-pris pro-israélien, par solidarité mimétique entre démocraties, réflexe colonial sous-jacent, et racisme antimusulman? C’est l’hypothèse défendue par le directeur des journaux en ligne OrientXXI.info et AfriqueXXI.info dans son livre Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir (1).

Cibles militaires

L’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique reproche aux commentateurs d’appréhender les faits sans profondeur historique et de réagir comme si le conflit israélo-palestinien avait commencé le 7 octobre 2023, faisant fi de près de 60 ans d’occupation et d’embargo à l’encontre des territoires palestiniens. «Quand aucune autre voie ne s’offre aux Palestiniens, la violence peut apparaître comme la seule porte de sortie, même si elle est désespérée tant le rapport de forces est déséquilibré, même si elle s’accompagne de crimes de guerre.» Alain Gresh n’élude pas l’horreur des actes commis par les miliciens du Hamas. Il tente de convaincre que l’attaque n’avait pas nécessairement le caractère de pogrom antijuif, visant indistinctement militaires et civils, que lui attribuent les Israéliens. Il explique qu’elle a d’abord consisté en l’assaut par 1.200 combattants du Hamas «aguerris« de cibles militaires précises – une demi-douzaine, ce qui a entraîné le mort de près de 400 soldats –, opération menée avec une facilité à laquelle les agresseurs ne s’attendaient pas. Ces «succès» auraient poussé des civils à s’engouffrer dans la brèche et à mener eux-mêmes des exactions. «Cette forme d’anarchie a favorisé ce que le Hamas reconnaîtra comme « certaines fautes », en réalité des crimes de guerre et des débordements meurtriers, qui s’expliquent aussi – expliquer n’est pas justifier – par la rage provoquée par près de 20 ans de blocus des territoires, mais aussi par l’histoire», analyse Alain Gresh. «Ceux qui ont été tués l’ont-ils été parce qu’ils étaient Juifs ou parce qu’ils étaient des occupants?», interroge dès lors le journaliste. Sans totalement convaincre.

Il déplore par ailleurs les excès qui ont accompagné le traitement du massacre du 7 octobre par la partie israélienne. «Aucun nouveau-né décapité, aucune rescapée de l’Holocauste égorgée, aucun groupe d’enfants attachés et tués», assène le directeur de OrientXXI.info en réaction à des informations relayées par les autorités israéliennes pour, dit-il en substance, accréditer l’idée que tous les Palestiniens sont des «barbares». Dans le livre mémorial des victimes, intitulé 07 Octobre (Grasset, 2024), Lee Yaron, journaliste au quotidien Haaretz auquel Alain Gresh se réfère souvent parce qu’il s’oppose au gouvernement Netanyahou, évoque, à l’appui d’une enquête fouillée, «des corps de femmes et de jeunes filles […] retrouvés nus dans les maisons en ruines, à côté d’hommes décapités et d’enfants brûlés vifs». Les morts de vieillards et d’enfants, que Mohammed Deif, le chef des brigades Al-Qassam du Hamas et grand ordonnateur de l’opération Déluge d’al-Aqsa, avait demandé d’épargner, sont-elles seulement le fait de «certaines fautes»?

Objectifs de guerre

Soucieux de replacer l’actualité dans son contexte historique, l’auteur de Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir évoque les objectifs poursuivis par le Hamas en attaquant l’Etat hébreu le 7 octobre. Il voulait ébranler le sentiment de sécurité d’Israël, porter un coup d’arrêt à la normalisation des relations entre celui-ci et les pays arabes, prendre des otages pour les échanger contre des détenus palestiniens, accroître sa popularité auprès des Palestiniens et des populations des Etats de la région, et remettre la question palestinienne au cœur des discussions politiques internationales… Tous ces buts de guerre ont été quasiment atteints, comme le souligne Alain Gresh. Mais une fois la guerre finie, difficile de penser que le Hamas puisse demeurer un interlocuteur pour trouver une solution au conflit. L’auteur l’envisage pourtant, s’appuyant là aussi sur l’histoire et en particulier celle de l’Organisation de libération de la Palestine, de Yasser Arafat, groupe terroriste, ou résistant, devenu partenaire d’Israël dans la conclusion des Accords de paix en 1993. Ce serait cependant faire abstraction du traumatisme subi par la société israélienne le 7 octobre et de la nature islamiste radicale du Hamas.

Alain Gresh insiste aussi sur la responsabilité des Etats européens dans la situation actuelle au Proche-Orient, même si l’alignement sur la politique du gouvernement Netanyahou s’est délité au fur et à mesure de la progression de Tsahal dans la bande de Gaza. Il cite à à cet effet Peter Harling, directeur de Synaps, un centre de recherche sur la Méditerranée, préoccupé par «la rupture dangereuse et de plus en plus profonde entre l’Europe et le monde arabe». «Gaza crée une situation où les différences sont non seulement profondes, mais incommunicables. […] Il ne s’agit pas d’un nouveau cycle: cette fois, la plupart des Etats européens auront choisi de soutenir, ouvertement ou indirectement, un génocide en Méditerranée. […] L’idée que l’Europe représente les valeurs et les droits universels est ébranlée.»

Alain Gresh, en tant qu’«observateur engagé depuis 50 ans des évolutions d’un région si proche du Vieux continent», déplore lui aussi ce divorce et l’indifférence qu’il suscite dans son pays. «L’Europe se mobilise contre l’antisémitisme, mais ferme les yeux sur l’islamophobie, se ralliant aux thèse de l’extrême droite qui, du fait de son soutien à Tel-Aviv, se voit blanchie de sa judéophobie tenace. Partout, notamment en France, s’intensifie la campagne contre les « barbares » de l’intérieur, les musulmans accusés de « séparatisme », complices supposés des terroristes.» Il en donne pour preuve «la campagne la plus active depuis des décennies [en France] de criminalisation de la solidarité avec la Palestine».

DR © DR

«Ceux qui ont été tués le 7 octobre l’ont-ils été parce qu’ils étaient Juifs ou parce qu’ils étaient des occupants?»

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