jeudi, janvier 23

Le Hamas a profité de la première étape de la trêve pour faire une démonstration de force qui laisse un goût amer aux Israéliens. Fragile, l’accord est néanmoins respecté.

La joie, le soulagement, la délivrance… Le 19 janvier, ces sentiments accueillent, place des Otages à Tel-Aviv et partout en Israël, la libération de Romi Gonen (24 ans), Emily Damari (28 ans) et Doron Steinbrecher (31 ans), enlevées le 7 octobre 2023 au festival de musique Nova pour la première, dans le kibboutz de Kfar Aza pour les deux autres, après 471 jours de détention par le groupe islamiste palestinien Hamas. Le bonheur est d’autant plus profond que les captives semblent, à première vue, en bonne santé.

Les autorités médicales de l’hôpital Sheba, dans le quartier de Tel HaShomer à Ramat Gan, où elles sont reçues dans la soirée, le confirment en indiquant que leur état permet de repousser la conduite des premiers examens médicaux et de les laisser se concentrer sur les retrouvailles avec leurs proches. «Avec un immense soulagement, je peux vous dire qu’Emily est maintenant dans un état de santé bien meilleur que ce à quoi nous nous attendions», enchérit Mandy Damari, qui a rejoint sa fille à l’hôpital. Les premières paroles aux familles, l’envie de rassurer, le besoin de ne pas «entacher» des retrouvailles peuvent amener à occulter des réalités douloureuses vécues en captivité. Le 21 janvier, des médias israéliens feront état de leurs conditions de détention extrêmes: elles auraient été utilisées comme boucliers humains lors de déplacements, elles auraient été contraintes de subir des opérations médicales sans anesthésie… De surcroît, le témoignage des premières otages libérées n’augure rien ou si peu des souffrances qu’auront pu endurer les autres captifs, sans compter ceux qui sont morts en captivité.

Les Israéliens ont tenté de minorer la dimension «démonstration de force» de l’opération du Hamas.

Otages: le Hamas incontournable?

Car cette première mise en œuvre de l’accord conclu le 15 janvier entre Israël et le Hamas par l’intermédiaire de l’Egypte, du Qatar et des Etats-Unis (leurs deux administrations, la sortante et la nouvelle) est aussi une opération de communication. Avant de devoir répondre –aux yeux de l’opinion internationale au moins– des souffrances et blessures infligées à certains de ses otages qui seront élargis dans les prochaines semaines, le Hamas s’est empressé d’exploiter la différence de traitement –apparemment avérée, notamment dans le chef de l’ancienne députée membre du Front populaire de libération de la Palestine Khalida Jarrar– réservée à certains des prisonniers palestiniens libérés le même jour par Israël (90 au total). «La restitution des trois prisonnières (NDLR: dans l’entendement des miliciens du Hamas) en pleine santé, mentale et physique, tandis que nos prisonniers, hommes et femmes, présentaient des signes de négligence et d’épuisement, montre la différence entre les valeurs de la résistance et le fascisme de l’occupation (israélienne)», a commenté le Hamas le 20 janvier. Ce dernier, auteur du pogrom du 7-Octobre, donnant une leçon de morale à l’Etat d’Israël, même si la façon dont il traite ses détenus pose question, voilà qui démontre bien que la libération des otages est utilisée à des fins de communication.

Dans la symbolique de la première étape de l’application de l’accord de libération des otages et de respect d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, le plus important n’est pourtant pas là. Il est dans la «démonstration de force» qu’a voulu présenter le Hamas au moment de la remise des otages au personnel de la Croix-Rouge. La présence de miliciens en nombre, uniforme et armement neufs, au milieu d’une foule exaltée sur la place Saraya, à l’ouest de Gaza City, zone du nord du territoire palestinien censée pourtant avoir été «nettoyée» par l’armée israélienne, vise assurément à envoyer un message: le groupe islamiste palestinien est toujours là après quinze mois d’offensive intensive de Tsahal, y compris au cœur de la bande de Gaza, et reste un acteur incontournable de toute initiative dans le territoire. Entendez: l’opération Epées de fer qui visait à éradiquer le Hamas n’a pas rempli ses objectifs.

Pour les familles et les proches des derniers otages, il existe enfin une perspective de délivrance. © GETTY

Consensus israélien

Les Israéliens ont tenté de minorer la dimension «démonstration de force» de l’opération du Hamas, soulignant, moyennant des photos aériennes de l’attroupement du 19 janvier, que la foule palestinienne sur la place Saraya était somme toute réduite et que les hommes du Hamas, pas si nombreux et pas si maîtres de la situation, avaient peiné à contenir les échauffourées. il n’empêche que cette mise en scène laisse un goût amer à la population et aux dirigeants d’Israël. Ce constat n’est pas de nature à menacer le consensus large qui prévaut dans la société pour poursuivre l’application de l’accord du 15 janvier. Pour preuve, même les ministres les plus radicaux du gouvernement Netanyahou et les plus opposés à l’arrangement avec le Hamas se gardent de menacer à ce stade la pérennité du gouvernement. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, et les deux autres représentants de Force juive au sein du gouvernement ont certes démissionné. Mais ils ont assuré ne pas vouloir œuvrer à la chute de l’exécutif. L’autre figure de l’extrême droite, Bezalel Smotrich, ministre des Finances et leader du parti Sionisme religieux, a critiqué l’accord, mais a décidé de rester au gouvernement.

La bataille de communication entre Israël et le Hamas, du reste, n’a pas entravé l’application de l’accord. Nonante prisonniers palestiniens, surtout des femmes et des enfants, ont été libérés conformément aux dispositions à respecter par la partie israélienne. Et près de 1.000 camions d’aide humanitaire étaient entrés dans la bande de Gaza le 21 janvier, les Gazaouis redécouvrant pour la première fois depuis quinze mois, hormis la courte première trêve observée en novembre 2023, une vie quotidienne sans bombardements, mais encore dans un grand dénuement. Si le Hamas respecte l’accord, les Gazaouis pourront retourner dans le nord du territoire, a d’ailleurs promis l’armée israélienne. Toutefois, les prochaines étapes du processus, dont une nouvelle libération d’otages prévue le 25 janvier, constitueront chaque fois un test de la bonne volonté des parties, et une épreuve pour les familles des otages dans l’incertitude du sort des leurs.

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