L’Arizona augmente la TVA sur certains produits et services. Mais pourquoi ne pas plutôt lutter efficacement contre la fraude à la TVA? La facturation électronique, obligatoire dès janvier, est un bon pas, mais ne règlera pas tout, loin de là.
Le gap TVA, c’est un peu comme le monstre du Loch Ness. Il pointe sa tête régulièrement, au loin, dans la brume budgétaire. Une créature qui vaut beaucoup d’argent, soit 4,4 milliards d’euros en 2022, selon les derniers chiffres disponibles. Sans doute davantage en 2023 et en 2024, où l’on doit plutôt s’approcher des cinq milliards. Ces montants représentent le manque à gagner annuel pour l’Etat dans le recouvrement de cette taxe «vache à lait» pour le trésor public, qui fait débat aujourd’hui.
Vu les augmentations de TVA décidées par le gouvernement Arizona lors de l’élaboration de son budget, on se dit que s’attaquer sérieusement à la fraude TVA devrait être la priorité des priorités. D’autant que les augmentations de cette taxe pourraient inciter les fraudeurs à frauder encore plus…
Chaque année, la DG Taxud de l’Union européenne publie des statistiques sur le gap TVA dans chaque Etat membre. Gap? Il s’agit de l’écart entre ce que l’Etat prévoit de percevoir et ce qu’il perçoit réellement. La Belgique fait partie des plus mauvais élèves de la classe, depuis longtemps: entre 12 et 13% des recettes TVA ne sont pas perçues. En comparaison, le gap de la Suède varie entre 3 et 5%. L’amélioration constatée en 2021 dans tous les pays (7% pour la Belgique) était due à la perte d’activités durant la pandémie de Covid. «On peut supposer que, pour les deux dernières années, le manque à gagner pour l’Etat belge sera supérieur à 4,4 milliards, car, en 2022, on sortait tout juste du Covid et, depuis lors, la machine économique tourne un peu plus encore», avance Sébastien Nothomb, avocat fiscaliste et professeur à l’Ephec.
Au niveau des 27 pays européens, le gap TVA s’élevait, en 2022, à 89 milliards d’euros. S’il était récupéré, ce montant permettrait, par exemple, de financer plus de la moitié du programme SAFE de 150 milliards d’euros, destiné à stimuler la défense européenne face à la Russie. En Belgique, le montant éludé aurait permis, cette année, de financer l’achat des nouveaux F35.
Alors que cette fraude est endémique depuis belle lurette, ce n’est qu’en 2020 que le gap TVA a fait son entrée dans le programme fiscal du gouvernement, dirigé alors par Alexander de Croo. L’équipe Arizona, elle, a prévu, dans son accord, de s’attaquer au problème en imposant la facturation électronique dès le 1er janvier prochain, conformément à la directive européenne ViDA (VAT in the Digital Age).
Conséquence: à partir du début de 2026, les factures papier ou PDF n’auront plus aucune valeur aux yeux du fisc et les Belges assujettis à la TVA devront passer par le réseau Peppol, établi par l’UE, et s’équiper du logiciel adéquat pour échanger leurs factures de manière numérique. Cela facilitera le boulot des comptables et aussi des contrôleurs du fisc. L’étape suivante: l’e-reporting, ou déclaration électronique, sera rendu obligatoire en 2028, en Belgique, pour les transactions entre assujettis à la TVA et les transactions des systèmes de caisse enregistreuse obligatoires dans la restauration. La facturation électronique permettra d’éviter la falsification des documents comptables ou les déclarations tardives et de conserver l’historique de facturation de façon centralisée. L’e-reporting, lui, permettra à l’administration de recevoir quasi instantanément les données TVA des assujettis et donc d’effectuer des contrôles plus directs et ciblés.
Grâce à ces changements, va-t-on combler le gap TVA? Pas sûr. En tout cas, pas si vite. «D’abord, il faut que le système fonctionne et les tests effectués ont montré qu’il y avait encore pas mal de bugs avec notamment des factures qui disparaissaient», explique Patrick Massias, du Réseau pour la justice fiscale (RJF). Il faut aussi que toutes les entreprises s’enregistrent sur le réseaux Peppol. Pour l’instant, moins de la moitié ont fait les démarches nécessaires. Il y a aura sans doute une grosse accélération en dernière minute. Mais les récalcitrants risquent d’être sanctionnés, a fait savoir le SPF Finances.
Pas les multinationales
Il faudra surtout que les moyens de contrôle fiscal suivent. «Il y a quelques années, le SPF Finances a perdu beaucoup d’agents, pas loin de 3.000, par mesure d’économie, continue Patrick Massias. On a même demandé aux fonctionnaires fiscaux d’être polyvalent pour les trois types d’impôt, sur le revenu, sur les sociétés et sur la TVA… Mais là, il a fallu faire machine arrière. Et, depuis deux ans, on engage à nouveau. Rien qu’à Liège, une centaine de nouvelles recrues, dont 80% pour la TVA. C’est la même chose dans les grandes villes comme Anvers et Bruxelles. Ces stagiaires sont théoriquement opérationnels aujourd’hui, mais ils manquent encore d’expérience dans les contrôles.»
Dans un premier temps, la facturation électronique ne concernera que les transactions nationales. «Cela signifie les transactions entre assujettis belges, explique Sébastien Nothomb. Cela concernera surtout les petits entreprises et des indépendants comme les boulangers, les commerces locaux, etc. Mais pas les exportations-importations, donc beaucoup moins les grandes entreprises et les multinationales. Pour cela, il faudra encore attendre cinq ans, car ce n’est qu’en 2030 que la facturation électronique sera obligatoire dans toute l’Union, ce qui rendra alors l’e-reporting possible partout également.»
Or la fraude intracommunautaire, dont les fameux carrousels TVA, représente une part importante du gap. Par ailleurs, le nouveau système ne règlera pas la non-déclaration du chiffre d’affaires qui reste important en Belgique et grève aussi les recettes de l’Etat de rentrées TVA. Pour cela, il faudrait généraliser les caisses enregistreuses scellées à d’autres secteurs et professions que l’Horeca, comme cela se fait en Tchéquie ou en Pologne par exemple.
On ne sait pas non plus quelle influence auront la facturation et la déclaration électroniques sur l’e-commerce de plateformes chinoises, comme Shein ou Temu, pour ne citer que les plus connues. Ces plateformes ne disposent pas de filiales de vente dans les pays européens ni d’établissements stables pour la TVA. On sait que la vente en ligne de produits de plus en plus souvent fabriqués hors de l’Union européenne facilite l’évitement de la TVA. Il y a deux ans, le parquet européen avait mis au jour en Belgique un système de fraude à la TVA sur des biens importés de Chine, via l’aéroport de Liège. Les protagonistes de ce système frauduleux sont soupçonnés d’avoir permis d’éluder plus de 300 millions d’euros de TVA. La pointe de l’iceberg? Près de 4,5 milliards de colis ont été expédiés en 2024 par les géants asiatiques de l’e-commerce…














