C’est le début d’une belle histoire. L’acteur britannique Idris Elba projette de créer une «smart-city» sur une île de Sierra-Leone, dans l’espoir de servir de modèle au reste du pays et de l’Afrique.
Les fans de la série culte The Wire se souviennent certainement du baron Russell «Stringer» Bell qui contrôlait l’organisation criminelle Barksdale. Il y a vingt déjà… Les aficionados de la série plus récente Luther ont adoré suivre les enquêtes méandreuses de ce flic londonien perturbé aussi dangereux que les criminels qu’il traque. Dans les deux cas, l’acteur britannique Idris Elba a marqué les esprits. Celui qui a aussi incarné Nelson Mandela dans le biopic consacré à l’ex-leader sud-africain en 2013 s’est désormais lancé dans un nouveau rôle. Ou plutôt un nouveau rêve. Celui de construite une «smart-city», soit une ville intelligente et écologique, sur Sherbro, une île au large de la Sierra Leone, son pays d’origine.
La folle ambition de l’acteur de 51 ans paraît séduisante, d’autant que la Sierra Leone, située sur la côte de l’Afrique de l’Ouest, est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Selon le FIDA (Fonds international de développement agricole de l’ONU), les trois quarts des sept millions de Sierra-Léonais vivent dans la pauvreté et un quart n’a pas les moyens de se procurer une alimentation de base. Les taux de mortalité infantile et maternelle ou l’analphabétisme y sont très élevés. Le taux de chômage et de sous-emploi chez les jeunes est de 70 %. Moins d’un tiers de la population seulement a accès à un réseau électrique. Même après 20 ans, le pays riche en ressources naturelles (fer, titane, or, diamants) a toujours du mal à se remettre de la guerre civile qui a duré plus d’une décennie et dont le trafic de diamants fut à l’origine.
On peut évidemment se demander si investir plusieurs milliards de dollars dans un projet d’éco-cité s’avère judicieux dans cette région du continent africain qui a surtout besoin de voir son agriculture se développer et se moderniser. Mais le pari d’Idris Elba est que ça soit un moteur non seulement pour l’île de Sherbro, qui ne compte que 30.000 habitants sur une superficie de 600 kilomètres carrés (équivalent à l’île de Man), mais pour tout le pays. Au-delà d’en faire une destination touristique préservée («Le caractère de l’île doit rester intacte», affirme-t-il à la BBC), dotée tout de même d’un aéroport, l’idée est de développer sur Sherbro un parc éolien et solaire ainsi que des batteries de stockage.
Fabriquer de l’énergie renouvelable à partir d’éolienne serait une première au Sierra Leone et permettrait aux insulaires d’avoir enfin de l’électricité sur place. L’entreprise Octopus Energy Generation, l’un des plus grands investisseurs européens dans le domaine des énergies renouvelables, est de la partie. La construction de la ferme d’éoliennes devait commencer cette année, selon Octopus, en fonction de la saison des pluies qui commence généralement en mai et se termine novembre. Pour l’entreprise, qui prévoit de construire le parc en quelques mois, il s’agit d’un projet pilote qui peut servir de modèle pour d’autres parcs, ailleurs dans le pays et sur le continent africain.
Le rêve d’Idris Elba a commencé à se concrétiser en 2019, lorsqu’un accord a été conclu avec les autorités publiques pour inscrire le projet dans un partenariat privé-public et doter l’île d’un statut économique et juridique distinct du reste du Sierra Leone, avec notamment plusieurs avantages fiscaux, un peu à l’instar de Walt Disney World en Floride. Elba s’est associé avec un ami d’enfance sierraléonais, Siaka Stevens, petits-fils de l’ancien président du même nom. Tous deux ont fondé la Sherbo Alliance Partners. Pour l’instant, aucun budget précis n’est connu, mais, outre Octopus, des contrats ont été signés avec de grands investisseurs comme l’assureur britannique Lloyds ou le bureau d’études Foster connu pour avoir gérer le projet du Millenium Bridge de Londres.
C’est un rêve, mais je travaille dans le domaine de l’imaginaire
L’acteur britannique espère aussi attirer sur l’île la diaspora sierraléonaise et des multinationales, en leur offrant un cadre plus propice pour travailler et investir que dans le reste du pays. Bien qu’éloignée du continent – il faut actuellement près de deux heures en ferry pour y accéder – Sherbro bénéficie d’une situation géographique commerciale idéale à l’ouest du Golfe de Guinée. Elba ne prétend pas que son projet soit un jour rentable. Il veut seulement faire en sorte que cela fonctionne et serve de modèle. Il rêve de changer la perception que l’on a de l’Afrique pauvre et assistée.
Un rêve démesuré? «C’est un rêve oui, mais je travaille dans le domaine de l’imaginaire», a-t-il rappelé à la BBC. Avant lui, d’autres projets mégalomanes ont été lancés sur le continent sans jamais voir le jour. Ainsi, celui du rappeur américano-sénégalais Akon qui veut créer une ville futuriste baptisée Akon City, inspirée du royaume Wakanda du film «Black Panther» de Marvel. Le chantier, qui devait aboutir l’an dernier, n’a jamais vraiment démarré. Si Elba est aussi déterminé que son personnage Luther, il pourrait bien faire de son rêve une belle histoire.