La Marche des fiertés a infligé un camouflet au Premier ministre hongrois. Mais son principal opposant, Péter Magyar, aura besoin d’autres atouts pour le battre en 2026.
Elle avait été interdite par le gouvernement du Premier ministre Viktor Orbán, puis maintenue par le maire de Budapest, Gergely Karácsony, une figure de l’opposition. La Marche des fiertés, qui a rassemblé le 28 juin dans la capitale hongroise entre 100.000 et 200.000 personnes, dont des députés européens et Hadja Lahbib, la commissaire en charge de l’Egalité au sein de la Commission européenne, a été un succès. Elle a représenté un camouflet pour Viktor Orbán. La menace d’amendes contre ses participants n’a pas eu l’effet dissuasif qu’il escomptait. Mais cet échec ne dit pas grand-chose de l’effet qu’il pourrait avoir sur le maintien ou non au pouvoir de l’apprenti autocrate à l’issue des élections législatives prévues en avril 2026. Pourquoi? Parce que la défense des minorités sexuelles, au cœur de la manifestation budapestoise et des valeurs de l’Union européenne, est sans doute loin d’unir une majorité de Hongrois…
Il ne faut pas chercher plus loin la raison de l’absence à la plus spectaculaire démonstration de l’opposition hongroise depuis longtemps du principal opposant actuel à Viktor Orbán. Péter Magyar, le chef du parti Respect et liberté, a été avant tout tacticien le 28 juin. «Si vous voulez gagner une élection contre le Fidesz (NDLR: le parti du Premier ministre), vous ne pouvez pas compter seulement sur une alliance des oppositions, allant des Verts jusqu’aux partis libéraux, analyse Jacques Rupnik, historien et directeur de recherche émérite au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris. Viktor Orbán a gagné quatre élections de suite, de quoi faire réfléchir sur la meilleure tactique à adopter. Péter Magyar considère que pour le battre en 2026, il faut non seulement fédérer les partis d’opposition mais aussi « mordre » sur l’électorat du Fidesz.»
«Péter Magyar a comme atout la nouveauté d’un leader de l’opposition qui n’est pas marqué à gauche.»
Les atouts de l’opposition
Respect et liberté, créé le 15 mars 2024, a fait une entrée impressionnante sur la scène politique hongroise dès les élections européennes du 9 juin de la même année. En remportant 29,6% des voix et sept sièges au Parlement européen, il s’est installé d’emblée comme le deuxième parti du pays, derrière le Fidesz (44,82% des suffrages et onze élus). Les élections législatives nationales étant prévues dans moins d’un an, Péter Magyar fait donc figure de principal concurrent au Premier ministre. Pour Jacques Rupnik, il ne manque pas d’atouts. «Viktor Orbán, à la tête du gouvernement depuis quinze ans, pourrait pâtir d’une forme d’usure du pouvoir. Certains électeurs du Fidesz pourraient exprimer leur mécontentement par rapport à son alignement trop explicite sur la politique de la Russie dans la guerre en Ukraine. Car les Hongrois sont tout sauf russophiles. Et puis, il y a la nouveauté que personnifie Péter Magyar en tant que leader de l’opposition qui n’est pas marqué à gauche et qui conteste les différentes turpitudes du régime Orbán. Enfin, il est proeuropéen mais sans en faire des tonnes.» Européisme modéré, critique radicale de Viktor Orbán et de son héritage, et grande prudence sur les questions de société seront-ils les clés d’un succès électoral en 2026?
Le dirigeant du parti Respect et liberté, 44 ans, a aussi l’avantage d’avoir milité au sein du Fidesz, et donc d’en connaître les arcanes, sans être trop marqué par son passé au sein du parti, où il n’a pas exercé de fonction importante (il a travaillé à la représentation de la Hongrie auprès de l’Union européenne à Bruxelles, et il a dirigé, à Budapest, le Centre de prêt étudiants). La principale source de notoriété qu’il a connue au sein du Fidesz l’a été en tant qu’époux de Judit Varga, la ministre de la Justice dans des gouvernements dirigés par Viktor Orbán entre 2019 et 2023. Il en est aujourd’hui séparé. Elle l’a accusé, depuis, de violences conjugales, verbales et physiques. Péter Magyar a évoqué une calomnie téléguidée par le pouvoir. L’affaire n’a pas encore été jugée. Si son compagnonnage avec le Fidesz peut l’aider à en dénoncer les dérives, il peut aussi, le cas échéant, l’exposer à des représailles.
«La Hongrie se dirige vers un régime semi-autoritaire.»
Plus une démocratie
Dans la Hongrie façonnée par Viktor Orbán depuis 2010, l’hypothèse est d’autant moins exclue que le pays a progressivement quitté les rails de la démocratie européenne. Pourtant, «la Hongrie était considérée comme une démocratie exemplaire de l’après-1989 (NDLR: année de la chute du mur de Berlin et du début de l’effondrement du bloc communiste), rappelle Jacques Rupnik. Une fois que Viktor Orbán a accédé au pouvoir en 2010, on a assisté à la mainmise sur l’audiovisuel public, sur la justice, à commencer par la Cour constitutionnelle, sur l’appareil d’Etat, sur la vie culturelle et sur les universités. Que l’université d’Europe centrale, installée à Budapest, ait été forcée de déménager à Vienne, et que dans le même temps, le gouvernement ait invité l’université Fudan de Shanghai à s’y implanter a été le symbole par excellence de la reprise en main du milieu académique.»
Le chercheur émérite de Sciences Po Paris estime donc que «la Hongrie a évolué progressivement vers ce que Viktor Orbán a lui-même appelé « une démocratie illibérale » qui conserve certes des élections libres mais où il n’y a plus de séparation des pouvoirs, plus de pluralisme des médias… Et au cours de la dernière décennie, il a encore durci le ton, ce qui fait que la Hongrie se dirige vers un régime semi-autoritaire.» Cette transformation amène à se poser la question de savoir si le contexte hongrois autorise encore la possibilité d’une alternance démocratique, sachant que les élections, dans ces conditions, ne se disputent pas à armes égales pour tous les candidats puisque le gouvernement abuse de sa position dominante.
«A cet égard, ce qui s’est passé en Pologne peut servir de modèle. Le pouvoir était détenu par un parti de la même obédience que celui de Viktor Orbán, le parti Droit et justice (PiS). En octobre 2023, il n’a pas obtenu la majorité absolue aux élections législatives, malgré un contexte qui n’était pas exemplaire. Et c’est une coalition de l’opposition qui a constitué le nouveau gouvernement. En Hongrie, Viktor Orbán acceptera-t-il une éventuelle défaite? Dans quelle mesure le nouveau pouvoir pourra-t-il démanteler les structures d’un régime illibéral? Et comment y parvenir sans employer des méthodes illibérales? Vous pouvez fermer l’audiovisuel publique un jour et le rouvrir le lendemain avec une nouvelle direction. Mais il n’est pas possible de procéder de la même manière avec la justice.» La suite de la séquence polonaise, avec l’élection à la présidence du candidat du PiS, Karol Nawrocki, le 1er juin, et la capacité de blocage dont il compte bien user à l’égard des projets du gouvernement de l’opposition libérale, situe aussi les difficultés auxquelles les opposants à Viktor Orbán doivent se préparer, même s’ils accèdent au pouvoir.