Interdire le smartphone dans les écoles maternelles, primaires, et secondaires. Telle est la volonté du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui veut remettre les élèves sur le droit chemin scolaire.
Cet extrait de la Déclaration de politique communautaire (DPC) a sauté aux yeux des observateurs: «Prenant en compte l’impact des écrans sur la santé, la concentration, le harcèlement, le Gouvernement (NDLR: de la Fédération Wallonie-Bruxelles) déploiera une politique veillant à protéger les élèves, particulièrement à l’école, en incitant les établissements secondaires à interdire l’utilisation des smartphones, montres connectées etc. à des fins récréatives jusqu’à la fin du tronc commun. […] S’agissant des écoles primaires, le Gouvernement entend proscrire l’usage du smartphone.»
Quelque 373 établissements au sud du pays sont concernés par cette mesure. «Quand j’étais institutrice, je me suis déjà retrouvée face à un enfant qui faisait des photos et vidéos en classe avec son smartphone», se remémore Corinne Duculot, actuelle directrice d’une école maternelle et primaire à Braine-l’Alleud. Elle explique que la question de l’usage des GSM – discutée avec les parents en début d’année – ne pose pas de problème. «Avant d’entrer en classe, les enfants sont invités à déposer leur appareil dans une boite. Ils le récupèrent en fin de journée, pour effectuer le trajet de retour en transport en commun ou contacter leurs parents.» La directrice confirme que peu d’élèves (une poignée de cinquièmes-sixièmes sur les 140 inscrits) viennent à l’école munis d’un smartphone.
Avec le secondaire, le recours aux GSM s’étend, alors que beaucoup de jeunes reçoivent leur premier appareil. À l’Athénée Royal d’Auderghem, son usage à l’intérieur de l’enceinte est proscrit depuis «trois-quatre ans», selon son directeur Jean-Pierre Cazzaro. «Nous avons d’abord interdit les smartphones dans les locaux, avant de le faire aussi dans la cour de récréation. On s’est rendu compte que les élèves s’isolaient et ne se parlaient plus.» L’interdiction au sein de l’établissement est désormais complète, hormis à des fins pédagogiques (laboratoires de science et cours de français). Dans la pratique, chaque élève de l’Athénée Royal d’Auderghem est prié de laisser son appareil éteint ou en silencieux, qu’il soit rangé dans son cartable ou dans sa poche. «En cas de non-respect de la règle, le smartphone est confisqué pour la journée, explique Jean-Pierre Cazzaro. Et si l’élève continue malgré tout, d’autres sanctions peuvent s’appliquer.»
Cette volonté politique d’interdire le smartphone dans l’enseignement obligatoire ne sort pas de nulle part. Elle est le fruit d’une demande grandissante des écoles, relayée par le réseau officiel Wallonie-Bruxelles Enseignement. Qui veut «fixer une ligne transversale» au-dessus des réalités diverses vécues par les écoles. «Nous voulons encadrer l’usage du smartphone, tout en s’assurant que nos écoles restent à la pointe en matière de digital», précise la porte-parole de l’organisation. Qui cite en exemple l’Athénée Royal de Nivelles, première «école numérique» en Fédération Wallonie-Bruxelles. «Ils ont mis en place d’impressionnantes innovations technologiques, tout en parvenant à interdire le smartphone à l’intérieur de l’école. Ce qui démontre que combiner les deux est envisageable.»
Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, représenté par Valérie Glatigny (MR) pour l’Enseignement obligatoire, veut donc s’attaquer au niveau primaire en priorité. Avant «de mener une réflexion pour pouvoir étendre cette interdiction dans tout le tronc commun (jusque la 3e secondaire), en limitant son utilisation à des fins pédagogiques», développe le cabinet de l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur. «Le faire depuis la maternelle tient surtout de la cohérence en termes d’application sur le terrain par les écoles. Nous n’avons aucune indication sur la présence de GSM en maternelle».
Interdire le smartphone dans les écoles, ne serait-ce pas aussi une façon de «gonfler les muscles» pour le nouveau gouvernement, avec une mesure qui sonne bien aux oreilles des parents? «C’est une demande du secteur de l’enseignement même, qui fait face à de graves problèmes de concentration des élèves en classe, rétorque le cabinet Glatigny. Cela complique les apprentissages. C’est une demande aussi en termes de lutte contre le cyberharcèlement. Même si ce phénomène dépasse les murs de l’école, cela permet malgré tout de pouvoir le limiter.»
Jean-Yves Hayez, professeur émérite de la Faculté de médecine de l’UCLouvain et ancien pédopsychiatre, voit cette interdiction du smartphone dans les écoles d’un bon œil. «Cette mesure permettra de reconstruire du lien social direct. Le spectacle d’enfants absorbés par leur GSM dans la cour de récré est affligeant». Ensuite, cela permettra de sortir de la «philosophie du presse bouton», continue Jean-Yves Hayez: «Nous sommes tous un peu prisonniers de cette technologie, qui sous-tend que la façon de se réaliser est d’appuyer sur un bouton apportant la réponse à toutes nos questions, sans faire d’effort.» Enfin, termine le pédopsychiatre à la retraite, encadrer l’usage du smartphone dans l’enseignement permet de réaffirmer l’autorité de l’école dans la société. «Il ne faut pas voir ça comme une interdiction bête et méchante. Plutôt comme un modèle alternatif, une réaffirmation du primat du groupe sur l’individu. C’est essentiel, alors que certains jeunes se croient tout-puissants et tout permis face à l’autorité.»
Si le réseau officiel de Wallonie-Bruxelles Enseignement a décidé d’une interdiction du smartphone dans les écoles, qu’en est-il du SeGEC, qui chapeaute les écoles catholiques? «Le débat vit chez nous aussi, affirme son porte-parole Arnaud Michel. Mais au vu des différences entre les écoles, nous attendons de prendre part à la concertation menée par Valérie Glatigny pour nous positionner».