lundi, mai 20

Les unions entre Israéliens et Palestiniens étaient rares. Elles le seront encore plus désormais. Mais parfois, l’inventivité pallie le manque de contact.

Lucy Aharish, 39 ans, musulmane, et Tsahi Halevi, 45 ans, juif, forment un couple rare, mais néanmoins emblématique de la diversité israélienne et palestinienne. Elle, journaliste, fut la première Arabe israélienne à présenter les informations en hébreu sur une chaîne de télévision israélienne. Lui, acteur, a été rendu célèbre pour son rôle dans la série Fauda (diffusée sur Netflix) qui décrit les opérations d’une unité spéciale de l’armée à l’intérieur des territoires palestiniens. C’était avant le massacre du 7 octobre dernier, au bilan sans précédent pour les Israéliens, et avant la guerre dans la bande de Gaza, au bilan sans précédent pour les Palestiniens.

Lucy Aharish et Tsahi Halevi devaient figurer dans l’enquête que la journaliste Salomé Parent-Rachdi a menée en Israël et au sein de l’Autorité palestinienne sur les pratiques amoureuses et sexuelles de leurs habitants et qu’elle donne à voir, sous le dessin de Deloupy, dans la BD Amour, sexe et terre promise (1). «En tant que correspondante de presse, j’ai assisté au phénomène de société qu’a constitué cette histoire et aux réactions qu’elle a suscitée, notamment des critiques d’une partie de la droite et de l’extrême droite israéliennes. En même temps, il y a eu plein de réactions positives. Eux-mêmes ont beaucoup parlé de leur histoire. Ils se sont « mariés ». Ils ont aussi eu un enfant. Parler du couple permettait d’évoquer ce que pareille union implique concrètement. Pour appeler leur enfant, ils ont choisi le prénom Adam, qui fonctionne pour les deux religions. Il était intéressant aussi de voir comment ils allaient l’éduquer, quelle religion ils lui enseigneraient, etc. Il n’y a évidemment pas qu’en Israël et en Palestine qu’existent des couples mixtes. Mais au vu du conflit, la charge symbolique est d’autant plus forte», souligne Salomé Parent-Rachdi. Depuis le 7 octobre, Tsahi Halevi a rejoint l’unité Inbar, unité de réserve de la police des frontières israélienne, et Lucy Aharish, interrogée par Salomé Parent-Rachdi à la fin de la BD sur le massacre du Hamas, explique que «voir les images que les terroristes ont eux-mêmes enregistrées, en train de tuer, torturer, kidnapper des civils innocents, […] c’est de la haine pure, du racisme, de l’antisémitisme.»

Les couples mixtes sont rares, très rares: selon des chiffres de 2015, sur 58.000 mariages recensés en Israël, seuls 23 étaient des unions entre Juifs et Arabes. Les interdits des religions – Lucy Aharish et Tsahi Halevi ne sont d’ailleurs qu’officieusement mariés parce que ni l’un ni l’autre n’a souhaité se convertir à l’autre confession – expliquent ce chiffre dérisoire. Aux traditions, s’ajoute le contexte sécuritaire, encore aggravé depuis sept mois. «Les gens d’une trentaine d’années ont vécu les intifadas, la construction du mur, l’enlisement du conflit et la montée des extrêmes. Autant d’éléments qui font que les Israéliens et les Palestiniens, en définitive, se côtoient peu», détaille la journaliste.

Le poids de la religion dans les sociétés israélienne et palestinienne ne facilite pas la liberté amoureuse et sexuelle. © Getty images

Transgression contrainte

Le contexte politique et le conservatisme des religions obligent à trouver des chemins de traverse quand il est question d’amour, de procréation et de sexe. «Ce qui m’intéresse, c’est lorsque le désir passe à la transgression ultime, s’affranchir des règles de son groupe pour s’offrir à l’autre ou s’émanciper», résume Salomé Parent-Rachdi. Deux histoires qu’elle conte dans la bande dessinée l’illustrent parfaitement. Fathiya, 39 ans, qui vit à Naplouse, en territoire palestinien, procède à une insémination différée auprès d’un personnel médical rompu à cette pratique avec le sperme de son mari détenu dans une prison israélienne. Jean-Marc, Juif religieux, «qui n’a pas trouvé de femme mais veux absolument avoir un enfant», recourt pour y arriver à un système de coparentalité, avec une partenaire inconnue, même pas religieuse, qui partagera avec lui la vie de l’enfant. «Malgré l’occupation pour Fathiya, malgré les contradictions pour Jean-Marc, ils trouvent une manière d’avoir des enfants», décrypte Salomé Parent-Rachdi.

«La procréation est une arme de survie pour les Palestiniens comme pour les Israéliens.»

Ces deux récits montrent que la procréation est une arme de survie et de guerre pour les Palestiniens, par rapport au conflit et à l’occupation, et qu’elle est aussi une arme de survie et de réparation, en regard de la Shoah, pour les Israéliens. «Il existe une vraie lutte démographique entre Israéliens et Palestiniens, complète Salomé Parent-Rachdi. D’un côté comme de l’autre, plus on fait d’enfants, plus on est nombreux, moins on peut disparaître. C’est une réflexion très présente dans les psychés.» Encore plus depuis le 7 octobre.

Amour, sexe et terre promise ne traite pas uniquement des amours et des haines entre Israéliens et Palestiniens. La BD présente aussi l’extrême diversité des pratiques amoureuses et sexuelles. L’homosexualité, par exemple: impossible à assumer publiquement, sauf à risquer la mort, sous le régime du Hamas; difficile à faire accepter chez les Juifs orthodoxes; compliquée à vivre entre une cinéaste palestinienne et une soldate israélienne. La relation a bien existé mais elle n’a pas surmonté l’épreuve de l’opposition entre les communautés. Car pour Samira l’Arabe israélienne, «la langue dans laquelle elle discutait avec sa compagne était l’hébreu et rien que cela installait un rapport de domination entre elles…» Israéliens ou Palestiniens, personne n’échappe aux conséquences de la guerre. Et ce n’est pas près de changer. Sauf à espérer, comme Salomé Parent-Rachdi, que du chaos sorte quelque chose de meilleur.

(1) Amour, sexe et terre promise. Reportage en Israël et Palestine, par Salomé Parent-Rachdi et Deloupy, Les Arènes, 160 p.

© DR
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