vendredi, octobre 18

La pluie et le froid du printemps dernier ont été fatals aux vignobles belges. A peine un tiers du rendement habituel est attendu. Maigre consolation: la qualité devrait être rendez-vous.

La catastrophe se profilait depuis des mois. Le printemps était à peine entamé qu’Alec Bol flairait déjà un millésime peu prometteur. «On a eu le temps d’accuser le coup», tente de relativiser l’administrateur-délégué de Vin de Liège, dont les vendanges ont débuté fin septembre. La dragée n’en reste pas moins difficile à avaler: avec une production attendue de 200 à 300 hectolitres, contre 900 habituellement, l’ingénieur commercial connaît sa «pire année» depuis qu’il est à la tête du vignoble liégeois. «Les vendanges 2021 avaient été très mauvaises, mais pas dans les mêmes proportions.»

La déroute s’est produite en trois temps. D’abord, des épisodes de gel tardifs, vers la fin avril, ont détruit les bourgeons primaires des vignes. Ensuite, le froid et la pluie du début de l’été ont sérieusement altéré la floraison. «En juin, les températures nocturnes ont été très basses, aux alentours de 6 à 7 degrés, se remémore John Leroy, oenologue au Vignoble des Agaises, célèbre pour ses cuvées Ruffus. Or, pour que la floraison se passe bien, il faut 13 degrés minimum. On a donc eu de la coulure: la majorité de grains ont avorté et ont été incapables de se développer. On n’a jamais connu ça en 20 ans.» Enfin, le manque d’ensoleillement et l’apparition de maladies fongiques liées à l’humidité, telles que le mildiou, ont affecté la maturation du peu de raisins subsistants.

20 à 30% du rendement habituel

Conséquence: les grappes sont bien moins nombreuses, et surtout bien plus petites. «Pour notre chardonnay, elles pèsent environ 100 grammes, contre 180 en moyenne», précise John Leroy, dont les vendanges ont touché à leur fin début octobre. Au total, l’exploitation binchoise a vu sa production diminuer de moitié par rapport aux années classiques, et de deux tiers par rapport aux «bonnes années». Des pertes qui s’observent chez tous les vignerons wallons. «Ceux qui s’en sortent le mieux récupèrent la moitié, mais les moins chanceux ont tout perdu, déplore Vanessa Vaxelaire, présidente de l’Association des Vignerons de Wallonie. En moyenne, la production atteint 20 à 30% du rendement habituel.»

Heureusement, les millésimes 2024 ne seront généralement en vente qu’à partir de 2026. Les quantités exceptionnelles produites en 2022 et 2023 permettront entre-temps d’éponger les pertes. «Nos ventes n’ont pas augmenté aussi rapidement que notre production, donc nous avons encore pas mal de bouteilles en réserve, assure Alec Bol. Nous allons déstocker ces vins-là pour faire le pont entre les deux millésimes.» Chez Ruffus, l’inquiétude est plus grande. «Depuis plus de dix ans, toutes nos bouteilles sont sous allocation et la liste d’attente s’allonge, note John Leroy. Nous avons un peu de réserve, mas pas suffisamment pour tenir sur la durée. Nous devrons sans doute diminuer fortement les quotas des clients d’ici deux ans.»

Une année à bulles

Maigre consolation: contrairement à la quantité, la qualité devrait être au rendez-vous aux quatre coins de la Wallonie. «Les raisins ont plus d’acidité que les autres années, tout en étant chargés en sucre, se réjouit l’administrateur de Vin de Liège. Cela leur confère plus de fraîcheur et de vivacité.» Un équilibre qui suit la tendance actuelle et semble plaire aux consommateurs.

Les crémants, qui représentent environ 60% de la production en Wallonie, devraient également tirer leur épingle du jeu, rassure Marc Vanel, journaliste spécialisé. Ils nécessitent en effet moins de maturation. «Les producteurs de crémant peuvent ramasser moins mûr et plus vert, confirme Vanessa Vaxelaire. Mais les autres raisins n’ont pas eu le temps de mûrir suffisamment, d’autant que l’été indien tant espéré ne s’est pas concrétisé. 2024 sera donc plutôt une année à bulles qu’une année à vins tranquilles.»

Un essoufflement mondial

La situation n’est pas plus réjouissante ailleurs. La France, l’Espagne ou l’Italie ont également connu de fortes précipitations au cours de l’année écoulée. Bref, le millésime 2024 ne restera pas dans les annales. Une tuile supplémentaire alors que le secteur du vin connaît actuellement un certain essoufflement à l’échelle mondiale. «Les prémices de la crise se font ressentir depuis dix ans et se matérialisent aujourd’hui, estime Alec Bol. De nombreux viticulteurs connaissent des difficultés en raison d’une surproduction globale. Cela se voit dans les rayons: le vin semble être la seule denrée à ne pas subir l’inflation. L’offre est trop importante, donc les producteurs sont obligés de proposer des prix compétitifs pour vendre leurs bouteilles.»

Une crise à laquelle les vignobles wallons semblent pour l’heure échapper. «En Belgique, nous avons réussi à développer une viticulture propre, à taille humaine, et avec un prix qui respecte le vigneron et son travail, se réjouit Vanessa Vaxelaire. La filière est cohérente de A à Z. Mais notre survie dépendra du client belge et de ses envies.»

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