La Loterie nationale a voulu assurer le coup avant de s’adresser à la justice, mais n’a pas lâché l’affaire. Quitte à relancer le dossier auprès du parquet plus d’un an après avoir émis un signalement.
Entre le moment où la Loterie nationale a identifié des anomalies dans les habitudes de jeu de Didier Reynders (en 2021), et l’étalage de l’affaire dans la presse en cette fin d’année 2024, il se sera écoulé trois ans. Trois années au terme desquelles Didier Reynders, ex-ministre fédéral, et son épouse, ancienne magistrate, soupçonnés de blanchiment, ont été perquisitionnés et longuement interrogés, après que la Loterie a signalé ce cas politiquement sensible au parquet fédéral, début 2022.
Depuis lors, les enquêteurs s’intéressent manifestement à d’autres mouvements suspects (hors Loterie), impliquant — a priori — de grosses sommes en cash sur une quinzaine d’années. Montant enquêté pour l’instant: environ un million d’euros.
Prudente, la Loterie nationale a pris le temps de l’analyse du cas Reynders
Concernant strictement le volet «Loterie», l’ancien Commissaire européen a, semble-t-il, fait valoir une pratique «compulsive» auprès des enquêteurs pour justifier l’achat, dans des proportions jamais vues, des tickets lui permettant de jouer — et donc blanchir, une fois les gains encaissés — de l’argent potentiellement sale (on rappellera qu’à ce stade, Didier Reynders et son épouse sont présumés innocents). Mais la Loterie, en proie au doute sur les justifications du libéral et de son épouse, a mandaté un cabinet d’audit (KPMG) début 2022 pour analyser ses données de jeu — anonymisées — et tâcher de déterminer les véritables motivations du couple. La thèse de jeu compulsif semble avoir été, dans ce cadre, écartée.
Dans un communiqué délivré ce mardi, la Loterie nationale indique ainsi que c’est sur base de ce rapport, rendu début février 2022, qu’elle a véritablement suspecté une activité de blanchiment, entraînant le signalement au parquet, mi-mars 2022, un mois après que KPMG a rendu son rapport. Près de deux ans plus tard, la Loterie a refusé de livrer ces informations à la Cellule de traitement des informations financières (Ctif), invoquant des «raisons juridiques» et le fait que la loi relative à la prévention du blanchiment ne l’y oblige pas. Les informations ont par contre été transmises à la police judiciaire moins de deux mois plus tard.
Cette prudence de la Loterie semble s’expliquer par deux facteurs, nous revient-il. D’abord, parce que cette méthode de blanchiment, par ailleurs peu efficace, est risquée. Comment un ex-ministre des Finances supposé connaître l’ampleur des contrôles au sein de l’institution de jeu (dont il a par ailleurs eu la tutelle dans le passé) a-t-il pu croire qu’il passerait inaperçu? En bref: la Loterie a eu du mal à croire à ses propres soupçons…
Éviter l’accusation de manipulation
L’autre facteur, est, lui, plus politique. Il y a, bien sûr, la personnalité de Didier Reynders, figure libérale passée par les plus hauts postes exécutifs en Belgique et à l’Europe. Mais aussi l’étiquette socialiste (Vooruit) du patron de la Loterie, Jannie Haek. «C’était une responsabilité particulière pour lui», nous confirme-t-on au sein de la Loterie, où l’on souligne «le risque qu’on puisse l’accuser, lui ou d’autres à la Loterie, de manipulation». Raison pour laquelle, au sein de l’institution, seules «quelques personnes», en plus du CEO, connaissaient l’identité des mis en cause.
Le parquet connaissait-il, de son côté, l’identité du «signalé»? Apparemment oui, dit un administrateur, une autre source faisant état d’une «note verbale» auprès du parquet.
Toujours est-il que la justice s’est montrée, elle aussi, très prudente à l’égard du cas Reynders. Une fois le rapport de KPMG transmis au parquet, il s’est écoulé plus d’un an avant que celui-ci ne se décide à se saisir du dossier et à demander des informations sous l’impulsion et un rappel de la Loterie. On était alors courant juillet 2023, et l’historique des données concernant Didier Reynders et son épouse risquaient de disparaître suite à une recomposition de l’environnement informatique de l’institution. Ce n’est qu’à partir de ce moment que les événements se sont accélérés, jusqu’en janvier 2024, date à laquelle l’enquête a véritablement décollé. Jusqu’aux perquisitions et auditions de ce mois de décembre.