Jean-Marie Le Pen, poids lourd de la politique française, s’est éteint mardi à l’âge de 96 ans. Provocateur sulfureux, le finaliste de la présidentielle 2002 aura réussi à banaliser l’extrême droite et contribué à son succès dans les urnes.
Un monstre de la politique française s’en est allé. Jean-Marie Le Pen, leader emblématique de l’extrême droite, est décédé mardi à l’âge de 96 ans. Pendant près de 60 ans, le fondateur du Front national aura marqué les esprits par ses postures xénophobes et ses dérapages à répétition.
Né le 20 juin 1928, à La Trinité-sur-Mer (Bretagne), Jean-Marie Le Pen perd son père à l’âge de 14 ans. Bien qu’attiré dès l’adolescence par une carrière militaire, ce fils unique se concentre d’abord sur des études de droit dans la capitale française. Bagarreur, il délaisse ses cahiers au profit du militantisme. Il cultive à l’époque des amitiés bigarrées, comme le cinéaste de la Nouvelle Vague Claude Chabrol, engagé à gauche, qui verra en lui un «fout-la-merde magnifique».
Engagé dans les parachutistes de la Légion étrangère, Le Pen part combattre en Indochine en 1954, où il se lie avec une future légende du cinéma, Alain Delon. De retour en France, il est élu en 1956 député et devient le benjamin de l’Assemblée nationale. En 1956, il repart cette fois en Algérie, où il sera accusé de torture – ce qu’il a toujours contesté.
Jean-Marie Le Pen ou la haine de l’immigré
A son retour, Le Pen, anticommuniste viscéral, fréquente les milieux d’ultra-droite. En 1972, il est désigné à la tête d’un nouveau parti regroupant des néo-fascistes: le Front national. Le mouvement végète puis perce en 1983, avec un thème obsessionnel : «Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop». Avec son slogan fétiche les «Français d’abord», Jean-Marie Le Pen, orateur hors pair, se fait le champion autoproclamé des «petits», lui qui est devenu millionnaire en héritant de la fortune de son ami Hubert Lambert.
Mais celui qui gère le Front national comme «une boutique familiale» essuie des divisions. A la fin des années 1980, son épouse Pierrette et mère de ses trois filles le quitte brutalement puis pose nue dans le magazine Playboy. Dix ans plus tard, il renie en direct à la télévision sa fille promise à sa succession, Marie-Caroline, qui soutenait un rival au sein du parti.
Malgré ces dissensions, sa carrière politique ne bat pas de l’aile. Elu député à Paris lors des législatives de 1986, il préside le groupe FN-RN à l’Assemblée nationale à plusieurs reprises. Honorant à la fois des mandats de député européen et d’élu local, le leader d’extrême droite forge sa réputation de tribun provocateur, ce qui séduit une frange (bien que limitée) de l’électorat français.
Un duel face à Chirac
Après trois échecs au premier tour (1974, 1988, 1995), Jean-Marie Le Pen accède à la surprise générale au second tour de la présidentielle française en 2002. L’opinion publique, visiblement choquée, se mobilise alors massivement dans les rues contre son élection et le projet de société qu’il incarne. Son rival Jacques Chirac est finalement réélu pour un deuxième mandat.
En 2011, sa plus jeune fille Marine reprend le flambeau de la présidence du FN. Elle clame d’abord sa loyauté avant d’exclure, en 2015, ce père (auteur d’un énième dérapage antisémite) devenu gênant pour son projet de «dédiabolisation» de l’extrême droite. Elle change le nom du parti et entame sa banalisation. «Un suicide», selon Jean-Marie Le Pen, qui avait théorisé le rassemblement de toutes les extrêmes droites.
Ecarté de la vie politique, Jean-Marie Le Pen se replie sur ses Mémoires, où il revient à ses thèmes favoris, comme le «grand remplacement» de la population française par l’immigration. Plus discret ces dernières années, hospitalisé à plusieurs reprises, Jean-Marie Le Pen aura ouvert la voie au succès contemporain du RN en France, ainsi qu’à l’essor de mouvements nationalistes et populistes en Europe.
Jusqu’au bout, le «Mehnir» n’aura exprimé aucun regret pour les dérapages, contrôlés ou non, qui lui ont valu plusieurs condamnations: des chambres à gaz qualifiées de «point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale» (1987) à «l’inégalité des races» (1996), en passant par l’Occupation allemande de la France, «pas particulièrement inhumaine» (2005) ou l’agression physique d’une adversaire socialiste (1997).