lundi, mai 20

Ils comptent, parmi leurs proches, une personne qui souffre de troubles psychiques. Pour eux non plus, l’épreuve n’est pas facile à vivre. Mais ils n’ont pas souvent l’occasion d’en parler. Témoignages.

Par Benjamin Hermann

Petit à petit, dans les médias, au sein des familles ou dans les sphères politiques, la parole liée aux questions de troubles psychiques se libère. Le sujet reste sensible, souvent, mais du chemin a tout de même été parcouru, reconnaissent les professionnels. La santé mentale, dans l’idéal, devrait être l’affaire l’affaire de tous, de la même manière que la santé en général.

Parmi les sujets qui recueillent assez peu d’attention, cependant, subsiste celui des proches, de l’entourage des personnes directement touchées. Vivre aux côtés d’une personne traversant un burnout ou une dépression, par exemple, ou des maladies chroniques et gravement invalidante, comme la schizophrénie, n’est guère évident. Certaines associations, comme l’asbl Similes, ont toutefois été créées spécifiquement pour venir en aide aux familles et aux amis des personnes atteintes de troubles psychiques.

Le Vif s’est intéressé à la question, en interrogeant des spécialistes de la santé mentale, mais aussi en donnant la parole aux personnes concernées. Elles ne sont pas elles-mêmes concernées par le trouble, mais partagent le quotidien d’une autre personne qui, elle, en souffre. Voici quelques témoignages qui permet d’en savoir un peu plus sur leur vécu. La plupart des prénoms ont été modifiés, pour préserver l’anonymat des témoins.

Mathieu: «Il est tout le temps là et a besoin d’attention»

«Mon compagnon est en arrêt de travail depuis peu, à cause d’un burnout. Une des difficultés, pour moi, c’est de ne plus avoir cette zone tampon, cet espace rassurant et stable à la maison. Il est tout le temps là, et il a besoin d’attention. Comment, dans ce contexte, trouver l’équilibre de mes propres besoins? Il me semble aussi important de conserver des moments de qualité en famille et à deux, ce qui n’est pas évident. Et comme il a tendance à tout remettre en question pour l’instant, j’ai eu droit à mon tour aussi. C’est déstabilisant. L’ensemble du système familial est déstabilisé. Ça fait beaucoup à encaisser, surtout si on est soi-même un peu « juste » en ressources personnelles. Je me trouve actuellement face à d’importants enjeux professionnels. Je dois composer avec mes propres incertitudes, en plus des siennes. Notre vie de couple et de famille se situe à une bifurcation. Forcément, notre vie changera, puisque lui va changer de vie. Je me rends compte que notre système fonctionnait bien tant que tout allait bien. Maintenant qu’il y a un problème, c’est tendu. Mon propre mode de vie devra-t-il changer? A-t-on la capacité d’y arriver à deux? Vivre au quotidien avec ces incertitudes n’est pas facile.»

Valérie: «Je lui ai dit qu’il allait devoir compter sur lui-même»

«Ce qui est très dur, c’est l’attente. L’attente de voir si ça ira mieux un jour. Si quelqu’un se casse une jambe, on pose un plâtre et on sait que ça se réparera. Ici, on doit attendre plusieurs semaines avant que les antidépresseurs ne fassent effet et on ne sait même pas s’ils fonctionneront. Je suis impuissante, sans contrôle sur la situation. Mon mari a fait un burnout en 2018, qui s’est soldé par un épuisement total, vraiment très très sérieux, l’an dernier. Aujourd’hui, ça va mieux. Mais moi, j’en ai énormément bavé. Heureusement, j’ai consulté une psychologue, elle m’a sauvé la vie. Ma grande erreur a été de penser que son rétablissement reposait sur moi. Je pense que c’est le propre de beaucoup de femmes, d’épouses, de mères, de confondre leur rôle avec celui d’infirmière. Beaucoup ont cette capacité à s’effacer. Moi, je me suis complètement oubliée, pour finir par toucher le fond. Puis j’ai compris que c’était à lui de se sauver. J’ai été honnête avec lui, un peu trop peut-être. Il me l’a reproché, d’ailleurs. Mais je lui ai dit qu’il allait devoir compter sur lui-même, que je l’aimais, mais que ce n’était pas moi qui le sauverait.»

Quentin: «Ce rôle d’aidant proche chamboule l’existence»

«Je suis psychologue de profession, ce qui ne m’empêche pas d’être un humain comme un autre. Je me suis moi-même retrouvé dans une situation d’aidant proche, pour mon beau-père, qui souffrait d’un cancer. Un pilier dans la famille, qui est resté stoïque. Je peux dire qu’il m’est arrivé de me retrouver chez moi et de pleurer comme une madeleine, tant les émotions étaient intenses. Il m’avait sollicité, nous étions proches, mais il avait aussi ses deux filles… Quelle était ma place? Comment s’adapter à la nouvelle situation? Aujourd’hui, nous vivons une autre expérience, en accueillant à la maison une proche qui souffre d’un trouble bipolaire. Mon épouse a accepté. Nous ne regrettons rien, mais cela demande une adaptation de notre quotidien. La situation n’est pas toujours comme nous l’imaginions au début. Jusqu’où puis-je demander à mon épouse d’y participer? Moi-même, j’ai une vie active, des activités planifiées, que je vais peut-être devoir modifier. Ce rôle d’aidant proche chamboule un peu l’existence.»

Dominique: «La quiétude, je peux m’asseoir dessus jusqu’à la fin de mes jours»

«Les contacts avec le psychiatre se résument à des conversations autour de la médication: plus de ceci, moins de cela, etc. Pour le reste, c’est rien, nada. On est livré à soi-même. Jamais personne dans le corps médical ne m’a demandé comment moi, je vivais la situation. Après, libre à chacun de fréquenter une association de proches, par exemple. Personnellement, je n’en ressens pas le besoin. Mon fils est atteint de schizophrénie depuis une dizaine d’années, en plus d’une dyspraxie sévère. Il ne peut pas vivre de manière autonome. Il habite dans un studio supervisé, mais il me contacte très régulièrement lorsque ses crises reviennent. Il faut se rendre compte de ce dont on parle: tête pliée à 180 degrés, yeux révulsés… On n’est pas préparé à cela. Je ne jette la pierre à personne, mais rien n’est prévu pour nous. On fait ce qu’on peut, de manière empirique. Et parfois, c’est l’horreur, il faut bien le dire. On vieillit, avec beaucoup d’interrogations pour la suite. Que va-t-il devenir? Nos autres enfants auront-ils à supporter tout ça? La quiétude, je peux m’asseoir dessus jusqu’à la fin de mes jours. C’est une situation de vigilance et d’angoisse presque permanente.»

Jocelyne: «On est en inadéquation totale avec les autres»

«Notre fils est atteint d’un trouble psychique. Il faut avouer que c’est très éprouvant pour les familles. Il avait bien démarré dans la vie: il était sportif, avait beaucoup d’amis, etc. Et puis, une fois que ça apparaît, on ne reconnaît plus son enfant. Son enveloppe corporelle reste la même, mais lui n’est plus là. C’est très déstabilisant… et culpabilisant. Les gens, même avec les meilleures intentions du monde, font des remarques: « N’aurais-tu pas pu voir plus tôt? », « N’as-tu pas été trop sévère? », « Il n’y a qu’à faire ceci ou cela ». Les conséquences sont parfois lourdes, même physiquement. Sans oublier les bouleversements que ça peut entraîner dans la vie professionnelle, avec des pertes de revenus éventuelles. Quand on doit hospitaliser son fils, la facture de 500 euros de l’ambulance arrive rapidement. En plus de l’anxiété et de la culpabilité, pas mal de cellules familiales éclatent, avec des divorces. Et souvent, il faut bien l’admettre, c’est la maman qui reste. La vie sociale est également affectée. Il est difficile d’inviter des gens chez soi quand un proche se comporte de manière étrange. Tout le monde est mal à l’aise, on est en inadéquation totale avec les autres. Alors on s’isole, on est tellement pris par cette foutue maladie que ça occupe toutes les pensées.»

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