mardi, avril 29

L’Arizona et Annelies Verlinden souhaitent rendre punissables les évasions de prison et le fait de se débarrasser d’un bracelet électronique, ce qui l’est déjà dans les faits, mais pas dans la loi. Les experts judiciaires sont (très) critiques.

La scène est tellement incroyable qu’elle a fait le tour du monde. Robin Singh, condamné pour des faits de prostitution de mineurs, quitte la prison de Lantin dans le cadre d’un transfert en ce 23 janvier 2024. Pieds nus, menotté, il s’extrait de la banquette arrière de la voiture de police qui le transporte par la fenêtre, prend ses jambes à son cou et sème les policiers qui partent à sa poursuite. Robin Singh, bien que rattrapé une semaine plus tard, ne risque aucune condamnation pour cette évasion. La loi belge ne le prévoit pas.

L’Arizona, dans sa volonté de serrer les vis judiciaires, compte y remédier. Dans le cadre de l’accord de Pâques, la ministre de la Justice Annelies Verlinden (CD&V) a rédigé une note décrivant «un plan d’action structurel global de lutte contre la surpopulation carcérale, assorti de mesures d’urgence». Celui-ci comprend plusieurs dispositions réparties en trois phases qui devraient s’enclencher d’ici l’été, et dont celle de rendre punissable l’évasion de prison et le fait de couper un bracelet électronique.

Pour la section belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP), il s’agit là d’un «non-débat», tonne son président, Harold Sax. Il existe deux conditions pour être «sous bracelet». Soit via une libération conditionnelle assortie de plusieurs conditions (dont le port du bracelet, naturellement). Si celles-ci ne sont pas respectées, le Tribunal d’Application des Peines (TAP) renvoie le détenu en prison. Soit dans le cadre d’une détention préventive. Dans le cas où le bracelet est coupé, la détention préventive se transforme alors en incarcération. Le non-respect des conditions implique donc, déjà, un passage par la case prison presque automatique.

L’Arizona, par le truchement de sa ministre de la Justice, cherche donc plutôt à rectifier le tir par rapport à certaines décisions de la Vivaldi. «A la fin de la législature précédente, l’ancien ministre de la Justice a pris deux mesures d’urgence, à savoir l’introduction du congé pénitentiaire prolongé (CPP) et le report du début de l’exécution des peines de prison inférieures ou égales à cinq ans (NDLR: finalement rabattue aux peines de moins de trois ans uniquement)», rappelle le cabinet Verlinden. Deux mesures qui augmentent de facto le recours aux bracelets électroniques. Le gouvernement De Wever veut donc couper l’herbe sous le pied des potentiels «briseurs de bracelet» en faisant planer le risque d’une condamnation.

«Une motion de défiance envers le pouvoir judiciaire»

Les avocats voient cette mesure d’un très mauvais œil. «Jusqu’ici, la Belgique était un état qui protégeait les droits de l’Homme, assène le pénaliste Olivier Martins. Le droit à la liberté prime sur la détention et il est possible de s’évader pour un motif considéré juste, et aucune peine n’est prévue s’il n’y a aucune dégradation ou violence.» En 2022, seule une vingtaine d’évasions ont eu lieu (dont 15 depuis les établissements ouverts de Marneffe et Ruislede). «En revanche, le fait de couper son bracelet électronique ou de ne pas faire son retour en prison dans le cadre d’une conditionnel sont plus fréquents», note Yannick De Vlaemynck, avocat au barreau de Bruxelles.

Il arrive aussi, dans des cas rares, que le bracelet soit coupé dans un cas de force majeure, pour des raisons de santé, familiales, professionnelles, ou que le détenu en préventive ne «bipe» pas depuis chez lui à l’heure prévue «parce que le tram qui le ramène du boulot a du retard, par exemple». Dans ce genre de cas, le juge peut élargir les conditions afin de faciliter la réintégration du détenu dans la société. «Couper son bracelet est contre-productif, souligne Me De Vlaemynck. C’est lourd de conséquences pour la suite. Lors d’une demande de libération conditionnelle, il faut regagner la confiance de l’institution pour bénéficier d’un plan de reclassement.»

«Tout automatiser, c’est presque une motion de défiance du pouvoir judiciaire en lui disant qu’il fait mal son boulot», déplore le président de l’OIP. Et de rappeler que la Belgique est un pays où la détention préventive est particulièrement courante. 36% de la population carcérale y est en fait dans l’attente d’un jugement, pour 24,5% dans le reste de l’Europe, selon le Conseil Central de la Surveillance Pénitentiaire et l’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits Humains.

De l’autre côté de la chaîne, Olivier Martins (qui connaît bien la question, ayant lui-même fait cinq jours de détention préventive après avoir été inculpé pour assistanat d’une évasion pour laquelle il bénéficie d’un non-lieu) déplore également une justice trop ferme. «Une peine juste est une peine acceptée et comprise. Quand on prononce des peines incompressibles, et qu’on ne prend pas en compte le changement psychologique de la personne, l’envie d’évasion devient la seule obsession.» Une obsession que l’Arizona entend donc rendre punissable.

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